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L'histoire peut-elle être contemporaine ?

Publié le 11/01/2004

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. et que la quinine fut peut-être indispensable à la prospection et à l'occupation de toute la terre qui est à mes yeux le fait dominant de notre siècle » (« Variété IV »). Ce qu'il faut retenir de la boutade de Valéry, c'est qu'il n'y a pas en histoire de signification absolument « objective » d'un fait et que c'est en fonction du présent que nous donnons à tel ou tel fait passé une signification et une valeur. Nous autres, hommes du XX ième, nous sommes surtout attentifs dans le passé aux faits économiques, tandis que par exemple les chroniqueurs du moyen âge voyaient d'abord les faits religieux (le récit du moindre « miracle » était pour eux essentiel). Aucun historien, prétend-on communément aujourd'hui, ne peut échapper à sa subjectivité. Michelet, pour écrire son « Histoire de France », voulait oublier l'époque contemporaine, s'interdisait de lire le journal, s'enfermait toute la journée aux Archives. Cela ne l'a pas empêché d'écrire une histoire à la fois jacobine et romantique, une « épopée lyrique » de la France. Il a projeté dans son oeuvre des valeurs sentimentales, des partialités politiques, si bien qu'on a pu dire que « l'histoire de France de Michelet nous apprend plus de choses sur Michelet lui-même que sur la France » !Raymond Aron a bien mis en lumière la subjectivité de la connaissance historique. Pour lui, la réalité historique est « équivoque et inépuisable ». Valéry dit que l'histoire « justifie ce que l'on veut ». Dans sa richesse hétéroclite, il y a toujours de quoi justifier n'importe quelle position a priori de l'historien.
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« que la concevait Hérodote.

Au Moyen Age, la rédaction des Chroniques (qui précisément ne sont pas encore, àstrictement parler, un récit historique) a bien pour fonction de fixer par écrit la diversité de ce qui a lieu : on yconsigne des événements hétérogènes dès lors que, d'une façon ou d'une autre, ils paraissent tous dignes de nepas être oubliés.• Il est clair que l'actualité, aujourd'hui, risque d'apparaître comme un univers d'une extrême confusion.

Pluss'accumulent à son sujet les informations disponibles, plus on peut constater à la fois la diversité des domainesqu'elle inclut (politique, militaire, social, culturel, religieux, jusqu'aux faits divers tout à fait locaux) et leur caractèreénigmatique.

Le lecteur d'un journal ne peut trouver quelque sens à ce sur quoi il est informé que s'il est déjà dotéd'un « savoir » minimal sur les périodes (plus ou moins longues selon les secteurs) antérieures : apprendre tel jourqu'un combat a lieu à tel endroit de la planète serait rigoureusement insignifiant pour qui ignorerait tout du contextepolitique ou militaire dans lequel ce combat s'inscrit.• Ce qui est toujours « sensationnel » dans le fait divers tel qu'il est originellement annoncé, c'est précisément sabrutalité, sa dimension imprévue, imprévisible dès lors que le fait ne peut être relié à ce qui l'a précédé.

Le faitdivers est d'abord sans cause apparente ou perceptible : s'il frappe et attire l'attention, c'est par ce qui, à premièrevue, le rend injustifiable et incompréhensible.

De manière plus générale, tout fait contemporain demeuresemblablement incompréhensible si l'on demeure incapable de le situer dans un environnement et de le rattacher àquelques antécédents.• Complémentairement, on peut constater que, plus les moyens dits d'information se développent, plus l'hommed'aujourd'hui est averti de faits parmi lesquels il est d'abord incapable d'effectuer un tri et de trouver des repères.L'information tous azimuts ne facilite pas l'interprétation, loin de là, elle semble plutôt la différer, sinon l'interdire,faisant glisser tout événement du côté du fait divers.

Une telle situation détermine un besoin de compréhension quidevrait, semble-t-il, être satisfait par une histoire du contemporain si elle pouvait se constituer sereinement :l'historien prendrait alors le relais du journaliste, et le monde du contemporain accèderait à l'intelligibilité.• Mais l'histoire est-elle à même de rendre compte à chaud de la confusion dans laquelle le contemporain seprésente ? On entrevoit des objections immédiates : outre l'absence de recul par rapport aux événements, quiinterdit leur mise en perspective et, en conséquence, leur véritable explication, c'est le fait même de la proximitéentre l'historien et ce qu'il devrait analyser qui risque d'empêcher son interprétation, dans la mesure où l'historienest lui-même un des acteurs du contemporain, comme citoyen ayant des choix politiques et des engagementsparticuliers.• Sans doute de tels choix interviennent-ils également lorsque son domaine d'étude est éloigné dans le temps.Raymond Aron a fortement souligné qu'en histoire tout particulièrement, un jugement de fait est déjà un jugementde valeur —qui intervient donc dès le choix des événements, et plus encore lorsque l'étude met en place une formede causalité.

De ce point de vue, l'historien du contemporain ne ferait que ressentir de façon particulièrementintense les contraintes de son métier habituel.

Si l'on n'admet plus aujourd'hui que le bon historien devrait n'être «d'aucun temps ni d'aucun pays », si cette « objectivité » illusoire a laissé place à la nécessaire affirmation de sesprincipes explicatifs et du courant de pensée auquel il se rattache, on doit reconnaître qu'expliquer le contemporainrisque de surcroît d'impliquer des conséquences tout autres que l'explication du passé.• Expliquer le contemporain, c'est en effet en souligner certaines potentialités et, de la sorte, s'inscrire parmi ceuxqui entendent le faire évoluer dans telle ou telle direction.

Si l'historien évoquant la Révolution française oul'accession au pouvoir de Mao Tse Tung révèle nécessairement les valeurs idéologiques qui sont les siennes, sontexte ne risque pas de modifier la suite des événements qu'il raconte.

À l'inverse, le même texte, s'il porte sur lecontemporain, tracera des lignes de force dans ce dernier et déterminera des réactions susceptibles de le prolongerdans un sens plutôt que dans un autre.

On voit que sa responsabilité n'est pas la même dans les deux cas.• C'est précisément parce qu'il n'y a pas de récit historique « objectif » qu'il n'y en a pas davantage de définitif :l'histoire est inlassablement à refaire — parce qu'elle est toujours produite à partir d'un point de vue, lui-même prisdans une évolution sociale.

Dans cette optique, toute histoire est contemporaine...

Mais celle qui tente de rendrecompte du présent risque d'y être piégée parce qu'elle s'inscrit dans ce que trame le présent lui-même.

Libre àl'historien de ressentir le besoin, sinon le devoir, d'inscrire sa pratique même dans le champ des forces qui agitent lecontemporain : il se rapproche alors du commentateur journalistique, sinon du propagandiste — et s'éloigne d'autantdes exigences scientifiques de sa discipline.. »

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