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Je n'ai jamais parlé d'autre chose que de moi. Alain Robbe-Grillet

Publié le 22/02/2012

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La formule pourrait sembler banale. Par elle, un écrivain confesserait que, tel Montaigne, il est à lui-même la matière de son livre. Elle constitua en fait pour son auteur un véritable geste de provocation par lequel il semblait tout à coup aller comme à rebours de tout ce que son oeuvre antérieure avait proclamé. On la trouve en tête d'un texte publié par Alain Robbe-Grillet en 1977, texte qui sera ultérieurement intégré au premier volume de son cycle autobiographique des «Romanesques» publié en 1985, aux Éditions de Minuit : Le Miroir qui revient. Écrire sur soi-même? Ce projet, chez Robbe-Grillet, est plus ancien qu'on ne le croit d'ordinaire. Au début des années 60, Tel quel, la revue d'avant-garde dirigée par Philippe Sollers, annonçait la parution prochaine dans ses colonnes des Fragments pour une autobiographie d'Alain Robbe-Grillet. Le projet cependant ne vit jamais le jour. La cause en est peut-être la brouille qui rapidement s'installa entre Sollers et Robbe-Grillet à moins qu'il ne s'agisse d'un pur et simple abandon du projet par ce dernier.
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« chaque roman de Robbe-Grillet donne en effet à lire le retour des mêmes obsessions : sadisme, masochisme, etc.Maurice Blanchot, d'ailleurs, l'avait bien perçu qui démontrait que l'essentiel du Voyeur était ce crime sexuel que lenarrateur ne cherchait tant à dissimuler — et même au lecteur — que pour essayer d'en éluder la culpabilité.Dans ces conditions, la pseudo-objectivité du nouveau roman n'est rien d'autre que le masque derrière lequel sedissimule une subjectivité totale.

Robbe-Grillet le déclarait d'ailleurs on ne peut plus clairement dans un article de1961 repris dans Pour un nouveau roman (1963) : « Comme il y avait beaucoup d'objets dans nos livres, et qu'on leur trouvait quelque chose d'insolite, on a bien vitefait un sort au mot "objectivité", prononcé à leur sujet par certains critiques dans un sens pourtant très spécial :tourné vers l'objet.

Pris dans son sens habituel — neutre, froid, impartial —, le mot devenait une absurdité.

Nonseulement c'est un homme qui, dans mes romans par exemple, décrit toute chose, mais c'est le moins neutre, lemoins impartial des hommes : engagé au contraire toujours dans une aventure passionnelle des plus obsédantes, aupoint de déformer souvent sa vision et de produire chez lui des imaginations proches du délire.» En un sens, Le Miroir qui revient ne fait que renouer avec ces lignes de 1961, allant cependant un peu plus loin encela que le livre publié en 1985 nous autorise à attribuer à l'auteur les délires et les obsessions qui saisissent lespersonnages de ses livres.On écrit donc pour dire son moi, affirme Robbe-Grillet.

Mais le jeu, poursuit-il, est plus complexe car on ne peutjamais exprimer directement celui-ci.

Il faut nécessairement passer par le prisme du langage.

La littérature est doncmoins expression du moi que « représentation impossible », reconstruction vouée à l'échec de celui-ci.

Mais cetéchec n'est rien d'autre que la littérature elle-même : «Première position : j'écris pour détruire, en les décrivant avec précision, des monstres nocturnes qui menacentd'envahir ma vie éveillée.

Mais — second point —toute réalité est indescriptible, et je le sais d'instinct : laconscience est structurée comme notre langage (et pour cause !), mais ni le monde ni l'inconscient ; avec des motset des phrases, je ne peux représenter ni ce que j'ai devant les yeux, ni ce qui se cache dans ma tête, ou dans monsexe (...).La littérature est ainsi — troisième position — la poursuite d'une représentation impossible.» La question du rapport de l'écrivain à son oeuvre est l'une des plus classiques qui soient.

Faut-il que l'auteur soitprésent dans son texte ou absent de celui-ci ? Écrit-on pour se dire ou pour se taire? Les romantiques voyaientdans le Moi la source de toute inspiration et de tout génie.

Les parnassiens quant à eux pensaient quel'impersonnalité était le prix à payer pour parvenir à la Beauté.

Flaubert voulait que l'auteur soit aussi invisible de sonoeuvre que Dieu de sa création.

Proust a fait, lui, de sa vie et de lui-même la matière de son oeuvre.L'intérêt de la position de Robbe-Grillet est peut-être de nous montrer qu'il est tout aussi impossible de direentièrement son Moi que de le taire complètement.

Même derrière les descriptions en apparence les plus objectives,au sein des machineries textuelles les plus complexes, percent les obsessions de qui écrit.

Mais, à l'inverse, écrireson Moi, c'est déjà, par la force des choses, basculer dans la fiction, donner à son existence un peu de cettecohérence factice qui n'appartient qu'aux romans.

Ce n'est pas par pur jeu que Robbe-Grillet a choisi d'intituler «Romanesques » son autobiographie.

Fiction autobiographique ou autobiographie fictive : la frontière est des plusincertaines.. »

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