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LE PASSAGE DE LA NATURE A LA CULTURE ?

Publié le 15/03/2004

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Nulle trace de ce qu'on pourrait appeler « le modèle culturel universel » (langage, outil, institutions sociales, et système de valeurs esthétiques, morales ou religieuses).Tournons-nous alors vers les mammifères supérieurs. Nous constatons qu'il n'existe, au niveau du langage, des outils, des institutions, des valeurs que de pauvres esquisses, de simples ébauches. Même les grands singes, dit Lévi-Strauss, sont décourageants à cet égard : « Aucun obstacle anatomique n'interdit au singe d'articuler les sons du langage, et même des ensembles syllabiques, on ne peut qu'être frappé davantage par sa totale incapacité d'attribuer aux sons émis ou entendus le caractères de signes . » Les recherches poursuivies ces dernières décennies montrent, dit Lévi-Strauss que « dans certaines limites le chimpanzé peut utiliser des outils élémentaires et éventuellement en improviser », que « des relations temporaires de solidarité et de subordination peuvent apparaître et se défaire au sein d'un groupe donné » et enfin qu' « on peut se plaire à reconnaître dans certaines attitudes singulières l'esquisse de formes désintéressées d'activité ou de contemplation ». Mais, ajoute Lévi-Strauss, « si tous ces phénomènes plaident par leur présence, ils sont plus éloquents encore -et dans un tout autre sens, par leur pauvreté ». De plus, et c'est là sans doute la caractéristique la plus importante, « la vie sociale des singes ne se prête à la formulation d'aucune norme ».A partir de cette constatation, Lévi-Strauss indique ce qui lui semble être le critère de la culture : « Partout où la règle se manifeste, nous savons avec certitude être à l'étage de la culture. » Mais les règles institutionnelles qui fondent la culture sont particulières et varient d'une société à l'autre. On peut donc affirmer que l'universel, ce qui est commun à tous les hommes, et la marque de leur nature.
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« Nous pouvons en particulier suivre la description donnée à deux reprises de la manière dont Victor utilise le mot « lait ».

Itard s'attache d'abord à éduquer l'appareil auditif de son patient : en condillacien, il estime que la vie de l'esprit commence par les sensations, et, en clinicien, il a observé que l'acquisition du langage exigeait une oreilleapte à apprécier les articulations des sons de la voix.

Il essaie ensuite de lui faire imiter la parole en s'appuyant surla loi de la nécessité.

Quand Victor a soif, il tient devant ses yeux un pot de lait en criant fréquemment le mot « lait » ; il donne le pot à une personne qui prononce le même mot ; il se fait donner du lait toujours par le même moyen.

Un jour, il a la satisfaction d'entendre Victor prononcer le mot au moment où le lait est versé dans sa tasse. Est-ce le succès, la preuve que Victor utilise maintenant le mot pour parler de la chose ? En observant davantage, Itard s'aperçoit que ce n'est pas le cas.

Victor en effet ne prononce le mot qu'après avoir reçu le lait : le mot exprime un état purement subjectif de joie à propos du lait, mais n'établit pas un lien de communication avec Itard , comme ç'aurait été le cas si Victor avait employé le mot pour demander du lait.

Le mot n'est pas un véritable signe car il n'est pas encore le moyen de parler de la chose à autrui.

Il s'est bien établi une relation entre le mot et lachose, mais ce n'est pas le relation de signification, c'est une relation plus complexe par laquelle le mot exprime unétat subjectif éprouvé à propos de la chose. Ayant pris conscience des difficultés considérables que représentait l'acquisition de la parole, Itard décide ensuite de recourir à des procédés graphiques, comme on faisait avec les sourds-muets de l'Institution.

Il fait reconnaître àVictor les lettres de l'alphabet tracées sur des morceaux de carton, et il reprend sa tentative.

Quand Victor attend avec impatience sa tasse de lait, Itard dispose les quatre lettres sur une planche ; une personne prévenue regarde les lettres et donne du lait à Itard .

Ce dernier s'approche de Victor , lui remet les lettres et lui désigne la planche tout en lui présentant la tasse.

Victor compose alors le mot et reçoit le lait.

Cette fois tout suggère qu'il a bien formé le mot pour demander du lait.

Et la partie semble gagnée quand Victor, en partant chez un voisin auprès dequi il goûtait avec du lait, se munit des quatre lettres et, dès son arrivée, compose le mot sur une table.

Lareprésentativité du mot s'est incontestablement renforcée depuis la première expérience ; nous ne sommes pourtantpas encore en présence du signe linguistique car le mot n'est toujours composé que dans des circonstancesstrictement déterminées : au moment où Victor a coutume de prendre du lait, quand il comprend qu'on va lui en donner ; bref, dans l'imminence de la chose.

Pour vérifier, Itard lui enlève sa tasse de lait pendant le déjeuner et l'enferme dans une armoire ; Victor ne compose pas le mot.

C'est donc qu'il n'est pas un signe utilisable en dehors de la chose, que sa formation n'est pas l'expression du besoin, mais seulement « une sorte d'exercice préliminaire dont il faisait machinalement précéder la satisfaction de ses appétits ». Hegel l'a dit : « il faut considérer le signe comme quelque chose de grand ».

Au delà de toutes les raisons scrupuleusement recensées par Itard , c'est cette grandeur qui n'arrive pas à se lever au milieu des brumes dans lesquelles se déroule la vie de Victor .

On l'aura déjà remarqué, pas plus que chez Sarah , on ne voit à aucun moment se déclencher en lui un goût, un plaisir du signe, comme on peut l'observer chez l'enfant qui, au moment oùil conquiert le langage, entretient souvent un rapport ludique avec lui, et se porte en quelque sorte au devant del'univers des signes dont il semble entrevoir la constante disponibilité et l'indéfinie fécondité.

Rien de tel chezVictor : il subit les apprentissages ; même quand il prend l'initiative d'emporter ses morceaux de carton, ce n'est pas qu'il se soit hissé au niveau du symbolisme : la coopération de l'entendement, sans laquelle on n'y accède pas,fait toujours défaut.

Itard a bien noté que l'obstacle majeur auquel il se heurtait résidait dans l'inertie intellectuelle de Victor , avec son « intelligence tendant sans cesse au repos et sans cesse mue par des moyens artificiels ». C'est ce facteur qui explique les succès apparents et l'échec terminal.

Du fait que Victor n'applique pas son intelligence au langage, Itard est obligé d'user d'artifices pour lui faire e quelque sorte assumer de force le comportement symbolique : il associe sans cesse le langage aux besoins, il le conditionne affectivement, il nepropose les signes qu'en présence des choses.

Il tente ainsi d'enraciner dans le moi le rapport du langage à autrui etau monde.

Mais tout se passe comme si cet enracinement devait être voulu par le moi lui-même.

Quand on chercheà l'imposer, une conscience propre du signe ne parvient pas à se désengluer complètement de l'affectivité et durapport à l'objet présent, si bien que les supports de symbole qu' Itard entraîne Victor à manipuler ne deviennent pas d'authentiques signes, mais restent à l'état d'accompagnement écrits ou oraux des objets, auxquels ilsfournissent seulement une sorte de complément et un vain appendice.

Ce qui est signe pour nous est pour Victor une partie de la chose ou un élément de la situation, et c'est plutôt la chose qui, par sa présence, effective ouimminente, appelle son escorte, écrite ou orale, que le signe qui évoque la chose en son absence. Ce qui fait défaut chez Victor n'est rien de positif.

C'est, paradoxalement peut-être, la dimension de négativité. »

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