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ROUSSEAU: Animal, sens et idées

Publié le 27/04/2005

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rousseau
Tout animal a des idées puisqu'il a des sens, il combine même ses idées jusqu'à un certain point, et l'homme ne diffère à cet égard de la bête que du plus au moins. Quelques philosophes ont même avancé qu'il y a plus de différence de tel homme à tel homme que de tel homme à telle bête ; ce n'est donc pas tant l'entendement qui fait parmi les animaux la distinction spécifique de l'homme que sa qualité d'agent libre. La nature commande à tout animal, et la bête obéit. L'homme éprouve la même impression, mais il se reconnaît libre d'acquiescer, ou de résister ; et c'est surtout dans la conscience de cette liberté que se montre la spiritualité de son âme : car la physique explique en quelque manière le mécanisme des sens et la formation des idées ; mais dans la puissance de vouloir ou plutôt de choisir, et dans le sentiment de cette puissance, on ne trouve que des actes purement spirituels, dont on n'explique rien par les lois de la mécanique. ROUSSEAU
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« 4.

Cet objet qui me tente et que je peux acheter puisque je dispose de la somme nécessaire, suis-je conduitnécessairement à l'acheter ? Au moment de la décision, l'hésitation qui me prend, ne serait-ce qu'un court instant,me signale la liberté de ma volonté : c'est qu'elle me révèle à moi-même la possibilité de faire ou de ne pas faire,donc d'agir sans être strictement déterminé, mais en me déterminant moi-même.

Me voilà en un sens conscientd'être libre.

Je décide.

Mais le contenu de ma décision ne traduit-il pas l'efficacité d'un conditionnement publicitairesubtil, qui s'imposerait à moi dans la forme même de la liberté de choix et d'action? Est-ce par hasard que lesgrandes firmes consacrent des budgets énormes non à l'information du consommateur, mais à la publicité ? Lefficacité reconnue de celle-ci, conjuguée avec la persistance de la conscience d'être libre chez la plupart de ceuxqu'elle touche, soulève une interrogation plus générale : « la conscience d'être libre peut-elle être illusoire ? »Qu'est-ce que la conscience d'être libre ? C'est, dans son acception première, le fait d'éprouver comme telle laliberté, découverte en soi comme une caractéristique fondamentale de la disposition à agir et à penser.

Laconscience peut porter, en sa généralité, non seulement sur telle ou telle occasion de choix qui lui est donnée, maissur une disposition constante de l'être lui-même.

« Je suis libre, et je le sais » peut se dire à propos d'une action etpas d'une autre ou, plus généralement, du comportement global.

Libre dans mes pensées, libre dans mes actions :ces deux caractéristiques pourraient être d'ailleurs précisées à partir de la distinction du droit et du fait.

Réduit enesclavage, et ne disposant d'aucun droit, « je n'en pense pas moins » : je persiste à me révolter intérieurementcontre ce qui m'opprime, sauf si, de fait, la résignation a eu raison de mes pensées elles-mêmes.

Conscient descontraintes extérieures, je le suis aussi de ma révolte, qui marque ma liberté intérieure.

Dans une autre perspective,prenant la mesure de ce que je peux faire concrètement, car la force et la liberté de mouvement dont je dispose mele permettent, j'accède à la conscience d'être libre.La question posée est de savoir si une telle conscience peut, sans que cela implique contradiction avec ce qui ladéfinit, être illusoire, c'est-à-dire relever d'une illusion.

Qu'est-ce que l'illusion ? La tromperie propre à l'apparencequi, lorsqu'elle se donne à moi comme ce qui est réellement, m'abuse (latin : illudere, « se jouer de »).

Se demandersi la conscience d'être libre peut être illusoire, c'est donc s'interroger sur la portée et la validité de cette conscience: témoignage authentique d'une liberté réelle, ou faux semblant ? L'enjeu d'une telle interrogation est décisif pourl'action elle-même, et la conduite de l'existence : comment agir si l'on se sait d'emblée prisonnier d'une illusion alorsmême qu'on a la conscience interne d'être libre ? Dans le moment où cette conscience se manifeste, elle estaussitôt disqualifiée, et l'effort qui la prolongeait dans la pratique se trouve du même coup privé de toute raisond'être.L'immédiateté de la conscience d'être libre ne la place-t-elle pas en deçà de toute emprise de l'illusion ? Descartes :« Que la liberté de notre volontése connaît sans preuve, par la seule expérience que nous en avons » (Principes de la philosophie, I, paragraphe 39).Le sentiment interne, ici évoqué, peut-il seulement avoir un aspect illusoire ? La vivacité même de l'intuition qui lesous-tend n'est-elle pas incontestable ? Rien ne peut faire que je n'éprouve pas cette liberté de choisir (même sipar ailleurs l'objet de ce choix est dérisoire : changer de produit lessiviel alors que tous ont les mêmes propriétésphysico-chimiques).Le doute lui-même, comme le fait remarquer Descartes, atteste l'authenticité d'un pouvoir de réflexion et dejugement (la liberté de penser) qui se comprend lui-même dès lors qu'il se saisit comme un terme à part entière, àdistance des représentations auxquelles il peut adhérer ou ne pas adhérer.

Et cela paraît incontestable, si du moinsla notion de conscience garde son sens distinctif.La chose est différente si l'on évoque non plus la conscience, mais la croyance, avec laquelle elle est trop souventconfondue.

Tel homme peut se croire libre dans le moment même où il méconnaît ce qui le fait agir.

Ce n'est pas laconscience qui est illusoire, mais l'adhésion spontanée à une opinion, enveloppant en réalité une méconnaissance dece qui la fait être.

Conscients de leurs désirs, les hommes peuvent être ignorants de ce qui les détermine ils croientalors être libres, mais cette croyance ne se produit qu'à partir d'un certain aveuglement : « Les hommes se figurentêtre libres, parce qu'ils ont conscience de leurs volitions et de leur appétit et ne pensent pas, même en rêve, auxcauses par lesquelles ils sont disposés à appéter et à vouloir, n'en ayant aucune connaissance.

» (Spinoza, Éthique,livre I, appendice).La conscience d'être libre, associée à la méconnaissance, et/ou à l'ignorance, est-elle donc véritablementconscience d'être libre ou conscience d'une croyance en la liberté ? N'est-elle pas simplement impression, convictionspontanée qui pourrait tenir à l'illusion du moment ? Tout dépend donc en fin de compte de l'acception que l'onretient du mot conscience l'identifier à la croyance spontanée, c'est peut-être lui ôter ce qui la spécifie en tant queconscience, à savoir un minimum de distance, de réflexivité.

La conscience d'être libre implique cette réflexivité, ousi l'on veut le dépassement de la « conscience naturelle » vers la « conscience de soi », dans laquelle je suisattentif à ce qui se passe en moi, ou entre moi et le Monde.

Par un tel dédoublement réflexif, le Monde cesse d'êtresimplement vécu, pour être soumis à une activité de réappropriation.

Spinoza écrit : « libre la chose qui existe depar la seule nécessité de sa nature et n'est déterminée à agir que par elle-même seulement.

Nécessaire ou plutôtcontrainte celle qui est déterminée par autre chose à exister et à opérer d'une certaine manière déterminée.

»(définition 7 de l'Éthique).

En ce sens, l'homme, réalité particulière au sein d'un tout, n'est pas pleinement libre.

Maispeut-être la culture, qui tend à l'émanciper du déterminisme naturel, pourrait-elle lui conférer cette liberté dont il nedispose pas spontanément au sein de la nature.

Sur cette voie, la conscience réfléchie d'une liberté possible et nonpas d'emblée en acte doit délivrer le sujet des illusions qui s'attachent à sa situation particulière dans la mesure oùcelle-ci est au départ aveugle à ce qui la détermine.

L'effort qu'accomplit l'homme vers une réalisation de soi plusparfaite implique pour lui une compréhension active de la nature, avec laquelle il s'agit de vivre harmonieusement.

Laconduite raisonnable suppose que chaque homme se place du point de vue de la nature comme totalité, au lieu desubir en la place particulière qu'il occupe un déterminisme auquel il reste aveugle.

À cette condition, la conscience. »

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