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La science n'a pas, croyez-le bien, le monopole de la sagesse - 3 février 1848. Jules MICHELET, L'Étudiant.

Publié le 14/02/2011

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« La science n'a pas, croyez-le bien, le monopole de la sagesse. Il y a la sagesse instinctive, la rectitude de l'instinct naturel, dont il faut aussi tenir compte, il y a l'inspiration populaire, il y a l'expérience pratique de ceux qui font et qui souffrent, qui portent le plus lourd poids de la vie. Consultez l'histoire. Elle vous montre des sociétés qui existent pendant des milliers d'années, où la spéculation est inconnue encore. — L'humanité eût péri cent fois, s'il eût fallu attendre que les théories fussent nées, pour créer l'ordre social qui assurait son salut. Religions, institutions, poésies, tout cela a fleuri spontanément du génie populaire. Puis quelques-uns ont écrit, rédigé, résumé, imposé de haut aux autres ce qui fut l'œuvre de tous. La matrice du genre humain, c'est la sagesse instinctive, celle des masses populaires. C'est elle qui commence tout, qui commence surtout sa rivale, la sagesse philosophique; elle la suit modestement, mais finalement encore, c'est elle qui contrôle tout. En elle est le droit du peuple. La nature que Rousseau atteste, est un mot trop vague, employé dans des sens trop différents pour en faire la base du droit. Lui-même, dans ses premiers discours, semble y voir l'excellence de l'état sauvage, la condamnation des sciences et des arts. Dans l'Emile il y voit l'instinct naturel, bon, mais qu'il faut diriger. Dans le Contrat social, il ne parle plus d'instinct, il semble ne plus connaître que la pensée réfléchie, organiser une cité de sages et de philosophes. Mais la sagesse réfléchie, philosophique, est celle du petit nombre; comment en tirer le droit du gouvernement de tous? Rousseau ne fonde point le droit du peuple ; la Révolution non plus : elle ajoute peu à ses théories. Aussi, après eux, revient plus insolent que jamais le gouvernement des minorités. La question, laissée obscure s'embrouille de plus en plus, avec les écoles bâtardes, éclectiques, de la Restauration. Les doctrinaires arrivent, lesquels, au nom de la philosophie qu'ils n'ont pas, nient l'aptitude des masses : « Arrière le peuple! Un jour peut-être, éclairé, formé par nous, il deviendra digne. Aujourd'hui gouvernons seuls. Nous seuls avons la sagesse. Pour le salut du peuple, le peuple ne doit pas se mêler de ses affaires «. Voilà comment naïvement les sages de la Restauration ont restauré le droit des petites minorités, le droit que l'on suit encore. A ces vaines théories, trois voix à la fois répondent : La voix du présent, qui nous montre l'impuissance, la stérilité actuelle des classes cultivées qui croyaient pouvoir se passer du concours moral du peuple. La voix du passé; elle montre que le peuple des temps barbares et poétiques a pu, sans culture, dans la rectitude de son instinct naturel, se créer un ordre civil; la philosophie est née des milliers d'années après. Enfin la voix éternelle de l'âme humaine nous montre, dans l'individu, que rien de puissant, de fécond, ne se fait en lui que par le concours de deux forces, inspiration, réflexion. L'inspiration, ou l'instinct, va s'éclairant, se changeant en lumière réfléchie, et, devenue telle, elle revient se revivifier à sa source, l'inspiration. Tel est le roulement de l'âme humaine. Et tel doit être celui de la Cité; son idéal est une âme. Dans la Cité, les hommes instinctifs et inspirés doivent incessamment se transformer en hommes cultivés, et devenus tels, ayant gagné en lumière, revenir prendre la chaleur au sein des classes instinctives. La Cité n'est nullement une loi fixe et morte de bronze, c'est une initiation, — c'est l'éducation mutuelle de l'ignorant par le savant, et du savant par l'ignorant — Ce que vous appelez ignorance dans les masses, c'est l'instinct, la force instinctive, par moments l'inspiration, toujours la chaleur et la vie. Voilà ce que j'ai dit, trop faiblement, il est vrai, dans mon livre du Peuple, reprenant le fil où Rousseau l'avait laissé, et fondant le droit du peuple sur la sagesse instinctive «. 3 février 1848. Jules MICHELET, L'Étudiant. Rédigez de ce texte soit un résumé qui respecte l'ordre des idées

telles qu'elles sont présentées, soit une analyse qui regroupe les idées essentielles. Vous dégagerez ensuite un problème auquel vous attachez un intérêt particulier, vous en préciserez les données et vous exposerez, en les justifiant, vos propres vues sur la question. CORRIGÉ Remarques préalables La date du texte a son importance : c'est à la fin du mois de février 1848 que la révolution va emporter la monarchie de Louis-Philippe. Michelet est connu comme historien, mais ici il nous livre des réflexions politiques qui, malgré leur romantisme (populisme), restent d'actualité.

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« Remarques préalables La date du texte a son importance : c'est à la fin du mois de février 1848 que la révolution va emporter la monarchiede Louis-Philippe. Michelet est connu comme historien, mais ici il nous livre des réflexions politiques qui, malgré leur romantisme(populisme), restent d'actualité. I.

Analyse entièrement rédigée a) Sous la monarchie censitaire, le corps électoral est constitué de citoyens aisés auxquels s'adjoignent desintellectuels (les capacités). Michelet, démocrate, souffre de voir que la masse du peuple n'a pas voix au chapitre.

Ce texte est en fait unplaidoyer en faveur du suffrage universel.

Il s'agit de mettre en lumière la capacité du peuple, en distinguant sciencelivresque et sagesse d'expérience, instinct et raison, en prouvant que les intellectuels et les artistes doivent tout aupeuple dont ils ne sont que les porte-parole prétentieux. On pense aux théories exprimées par Hugo dans la préface de Cromwell : les Romantiques plaçaient aux origines dela littérature une création populaire collective. Ici le peuple détient non seulement cette créativité mais encore un sens politique profond, fondamental. b) La démonstration s'appuie sur une analyse de la pensée de Rousseau, le précurseur, chez qui Michelet discernedes contradictions et des lacunes : Rousseau a été « récupéré » par les théoriciens politiques de la Restauration,fondateurs du système censitaire qui dénie au peuple les droits politiques. c) Michelet se montre éloquent et visionnaire : la voix du présent annonce la faillite de la monarchieconstitutionnelle (en février 1848, ce n'est pas exactement une prophétie!). La voix éternelle de l'âme humaine doit représenter en fait la conscience de Michelet.

Elle décrit une sorte dedialectique de l'instinct et de la raison. L'évocation de la Cité doit plaire à certains : ce retour nécessaire de l'intellectuel dans le sein du peuple, dépositairede toute vérité, cette éducation mutuelle du savant et de l'ignorant, font songer aux principes de la Révolutionculturelle.

II.

Discussion d'un point intéressant : suggestions Il est évident que le choix d'un tel texte a été inspiré par des considérations d'actualité.

Les candidats peuventdonc noter que la question de la maturité politique des classes populaires suscite encore des discussions qui, danscertains milieux ou certains pays, n'ont rien d'académique.

Les propos que Michelet attribue aux doctrinaires, on enretrouve l'écho : — dans la polémique qui oppose, chez les révolutionnaires, les théoriciens de l'action de masse et ceux des minoritésagissantes, — dans les déclarations des hommes politiques d'un pays en révolution : faut-il donner tout de suite un bulletin devote au paysan illettré, avec les risques que cela comporte, et faire confiance au peuple sans attendre qu'il ait reçude l'instruction? On pourrait remarquer que Michelet a vécu assez vieux pour voir ce paradoxe : un régime autoritaire, celui deNapoléon III, solidement appuyé sur le suffrage universel.

Lors des persécutions subies, sous le Second Empire,conservait-il sa confiance dans l'instinct politique du peuple des campagnes, base du régime?. »

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