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Que serait une société sans artiste ?

Publié le 29/01/2004

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On peut y lire « les anciens codes moraux et politiques que les personnages sacrés avaient la charge de maintenir [...]. Les masques veulent être, dans le secret des cours d'initiation, les principaux éducateurs des générations nouvelles : ce sont eux qui font les hommes estimables [...]. Ils apportent, en même temps qu'un reflet de la société, un reflet de l'image que l'homme dessine, de lui-même, pour lui-même » (ibid., p. 125). Les masques sont ainsi les vecteurs de grandes émotions sacrées, quand les sociétés sont cohérentes par tradition religieuse. L'art répond alors à un besoin de la société, en lui donnant les moyens de la reconnaissance symbolique de sa propre identité.* La modernité artistique modelée par l'aspiration au progrès cultive plutôt l'effacement, la simplicité des formes empruntées à la géométrie, non seulement pour satisfaire à des nécessités « fonctionnelles », mais en vue d'une « signification ».

« morale de l'homme à l'égard et au sein de lui-même.• On ne peut donc soutenir qu'il y a une continuité simple ni un rapport de pure expression entre la créationartistique et la réalité sociale.

La forme esthétique constitue une réélaboration des données sociales.

D'un côté, il ya une solidarité entre les langages de l'art et de la société : par exemple, « sont sociales chez Shakespeare descatégories comme individu et passion, des caractères comme le concrétisme bourgeois de Caliban », etc.

(Adorno,Théorie esthétique.

Ed.

Klincksieck, p.

336).

D'un autre côté, « l'art transcende sa détermination sociale » et produitsur cette base une « désublimation de la perception individuelle [...], une invalidation des normes, des besoins etdes valeurs dominantes », une « mise en accusation de la réalité établie ».

Non seulement le roman ou le tableaurévolutionnaires, mais déjà le temple ou la cathédrale « sont des modes de refus, de rupture, de recréation » del'existence factuelle des choses (Marcuse, La dimension esthétique, Ed.

Le Seuil).

Il ne s'agit pas que l'artrevendique contre la société en vertu d'une vision du monde (comme si, par ex., il adoptait le schéma historique dela lutte des classes) : car « s'opposer aux normes sociales existantes », c'est encore « se qualifier commesocialement utile ».

En revanche, le fait qu'il se pose comme « art autonome » le rend déjà antagoniste par rapportau social : et « les antagonismes non résolus de la réalité s'impriment à nouveau dans les oeuvres d'art commeproblèmes immanents de leur forme » (Adorno, op.

cit., p.

299).• Déployant en image des mondes analogiques, prophète de l'ailleurs, l'artiste peine, cependant, à exercer l'actionrévolutionnaire à laquelle l'excellence de sa création devrait l'appeler (cf.

Sartre, Situations, IV : le Tintoret).

Ceuxmêmes qui, bien plus tard, voulaient « discréditer le réel », tels les surréalistes, se bornent à porter au crédit du réel« une surréalité qui lui est immanente », et même les artistes « progressistes » aspirés par la référence à un avenird'utopie, s'enferment dans un dilemme autodestructeur : « Libérer le Peuple par l'Art ou libérer l'Art par le Peuple »(E.

Michaud, Fabriques de l'homme nouveau, Ed.

Arts & esthétique).

Quant à la littérature héritée du XIXe siècle,elle ne joue guère que le rôle d'une « soupape de sûreté » et la littérature engagée du XXe siècle meurt de l'écartgrandissant entre le public idéal et le public réel (Sartre, Qu'est-ce que la littérature ?, Ed.

Gallimard, p.

151).

« Leprincipe de l'art pour l'art [...] fut reçu par la bourgeoisie comme contrainte morale institutionnalisée, moyen deneutraliser l'art, aussi sciemment qu'on incorporait l'art à l'ordre comme citoyen déguisé du contrôle social »(Adorno, op.

cit., p.

313). Platon attribue à Socrate la volonté d'exclure les artistes de la Cité.

Ceux-ci, maîtres du semblant, sontd'inacceptables concurrents des gouvernants véritables et des philosophes (République, III).

Encore les arts, lamusique, par exemple, sont-ils partie prenante dans la formation des meilleurs dans la République des philosophes(ibid., 398 c) : ils constituent, en revanche, un danger s'ils s'adressent aux ignorants.

Cependant, nous voyons quetoutes les sociétés existantes, loin de se fonder sur le vrai, se structurent autour de lois de circonstance ; et lepeuple est avide de spectacles ; et les puissants ne peuvent les lui refuser.

Les artistes ont donc part à la société,tout en constituant un problème pour elle.

Le type de production qui les caractérise est-il en continuité ou enrupture avec les productions dites « sociales » ? Une société et une histoire humaine sans art sont-ellesconcevables ? â–º Le symbolisme artistique soude les sociétés. • Les sociétés éloignées de nous intègrent à leur fonctionnement même les produits de l'art, qui constituent lesarchives du peuple, à défaut de l'écriture.

Par exemple, « la société des masques tend à devenir une sorte deconservatoire.

Elle témoigne » (G.

Balandier, Afrique ambiguë, coll.

« 10/18 »).

On peut y lire « les anciens codesmoraux et politiques que les personnages sacrés avaient la charge de maintenir [...].

Les masques veulent être,dans le secret des cours d'initiation, les principaux éducateurs des générations nouvelles : ce sont eux qui font leshommes estimables [...].

Ils apportent, en même temps qu'un reflet de la société, un reflet de l'image que l'hommedessine, de lui-même, pour lui-même » (ibid., p.

125).

Les masques sont ainsi les vecteurs de grandes émotionssacrées, quand les sociétés sont cohérentes par tradition religieuse.

L'art répond alors à un besoin de la société, enlui donnant les moyens de la reconnaissance symbolique de sa propre identité.• La modernité artistique modelée par l'aspiration au progrès cultive plutôt l'effacement, la simplicité des formesempruntées à la géométrie, non seulement pour satisfaire à des nécessités « fonctionnelles », mais en vue d'une «signification ».

Ainsi, dans la monumentalité nue des édifices de l'époque révolutionnaire française, « la forme sert lafonction, mais la fonction se réfléchit à son tour dans la forme pour s'y rendre manifeste : une symbolique de lafonction se surajoute à la fonction même » (J.

Starobinski, 1789, les emblèmes de la raison, Éd.

Flammarion).

« Dansl'architecture parlante, l'utile se manifeste à tous les regards et se proclame ainsi utile au bien commun.

»L'architecture devient langage homogène à la cohésion sociale et emblème expressif des principes (Liberté, Égalité,Fraternité).

L'art monumental, qui a pu être conçu pendant des siècles comme le réceptacle d'une puissancesupérieure (les cathédrales), devient autocélébration et autocommémoration d'une autofondation démocratique.• Enfin, nombre d'auteurs ont souligné la puissance des spectacles de scène, qui mêlent étroitement les effetsémotifs et les paroles, qui captent l'attention d'autant plus que l'auditoire s'est assemblé en plus grand nombre.

Lesouvenir d'Athènes (« quatre-vingt mille citoyens », le peuple « en corps » à l'amphithéâtre) rend Diderot trèssévère, par contraste, à l'égard des maigres assemblées de son époque (cf.

Entretiens sur le Fils naturel).

Il estconscient que le drame bourgeois, auquel il contribue, fait la promotion d'une classe qui veut imposer publiquementles valeurs qui la constituent en élite sociale.

Mais « les hommes sont tous amis au sortir du spectacle.

Ils ont haï levice, aimé la vertu » (Correspondance littéraire, VI, 170).

L'art est ainsi une pédagogie sociale, et le théâtre, une expérimentation des hypothèses sur l'homme : la mise en scène doit avoir pour but un dépassement des mécanismesd'aliénation qui enferment l'individu et la société tout entière dans l'idéalisation idéologique d'elle-même ; le dramesérieux veut éviter les pièges de la tragédie (aristocratique) et de la comédie (dérision des valeurs).. »

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