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L'ÉDITION CRITIQUE (Histoire de la littérature)

Publié le 05/12/2018

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ÉDITION CRITIQUE. L’édition critique prétend apporter au lecteur le meilleur texte possible d’un ouvrage quelconque. Elle résulte d’un choix raisonné entre les exemplaires différents qui en ont été mis au jour. En effet, la confrontation de diverses éditions d’un même ouvrage fait toujours apparaître des variations de l’une à l’autre; elle montre que chaque édition, prise comme un tout, constitue un état variant (ou témoin) du texte. La tâche du critique consiste à discerner le meilleur témoin et à le reproduire. Pour ce faire, il dispose d’une méthode, mais dépend aussi des conditions culturelles de son temps. Une édition critique, comme toute autre édition, est une réactualisation d’un texte donné. C’est bien pourquoi le lecteur exigeant doit, au moins une fois en sa vie, s’interroger sur le statut de l’objet, de la marchandise qui lui est proposée. Ce statut tient en deux propositions conjointes : les éditions ont une valeur inégale; il n’existe pas d’édition définitive. Le lecteur, qu’il le veuille ou non, se voit ainsi impliqué dans un choix historique.

 

Un texte est, certes, un produit de l’esprit, mais également et nécessairement un produit matériel et temporel. La critique textuelle s’efforce de réparer les outrages du temps et de restituer l’ouvrage dans sa forme idéale, la plus proche de celle qu’a pu vouloir l’auteur. Mais l’évolution économique et culturelle rend littéralement impossible une nouvelle production à l’identique de l’objet livre, qu’il s’agisse d’un in-12 du xviie siècle ou d’un manuscrit du xivc siècle : le coût en serait excessif. Quant à la reproduction offset, elle interpose une technique moderne entre l’original et sa duplication.

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« grec de la Bible au texte latin de la Vulgate, mais ne peut vérifier une tradition dont la complexité dépasse de très loin celle des littératures classique et médiévale : il y a des milliers de témoins orientaux et occidentaux des É van__giles.

Les préjugés idéologiques ont freiné 1' étude des Ecritures saintes comme ils ont contribué à séparer les biblistes, les classicistes, les médiévistes et les spé­ cialistes de courtes périodes de la littérature française moderne et de la tradition populaire orale.

La localisation et la consultation des exemplaires n'ont été facilitées qu'à partir du xix• siècle; elles restent coûteuses et malaisées aujourd'hui, singulièrement pour nous à qui manque un catalogue collectif de nos fonds anciens.

La comparaison (ou recension) des exemplaires manuscrits a été établie sur une base méthodique par le philologue allemand Ph.

Lachmann, il y a cent cinquante ans.

Des préceptes salutaires mais d'application incer­ taine existaient de longue date.

Comment choisir entre deux leçons (portions de texte) acceptables? Que lire en face de leçons corrompues? Réponses : lectio difficilior, lectio melior (la leçon la plus difficile est la meilleure) ou bien utrum in alterum abiturum erat (laquelle de deux lectures pouvait engendrer l'autre), etc.

Mais comment choisir entre plusieurs exemplaires, sinon globalement? D'où la constitution de textes éclectiques, fondés sur le «meilleur>> exemplaire mais le corrigeant aussi d'après les « meilleures » leçons rencontrées au hasard des exemplaires.

Seul le classement des exemplaires les uns par rapport aux autres permet d'obvier à l'arbitraire.

L'arbre généalogique ou stemma une fois constitué en tenant compte des fautes communes, on évite Je recours à de nombreux choix subjectifs.

Cet arbre montre la filiation et non l'âge des exemplaires; Mabillon avait déjà posé que les exemplaires plus récents ne sont pas de ce fait plus mauvais (recentiores non deteriores).

Mais la filiation est souvent obscurcie par le hasard et la conta­ mination (mélange des sources).

L'étude systématique des groupes variants, proposée par dom Quentin et révi­ sée par dom Froger, apporte la solution la plus sOre.

L'avantage est de repousser jusqu'à la fin de l'étude l'analyse qualitative des fautes, ultime recours mais nécessairement chanceux.

Le scepticisme de Joseph Bédier a été le produit d'une démarche imprudente, mêlant les approches quantitative et qualitative.

La transmission des textes imprimés partage en gros les mêmes caractéristiques que celle des textes manus­ crits : détérioration cumulative (aux corrections conjec­ turales heureuses près); filiation directe et indirecte indé­ pendante de la chronologie; contamination des lignées.

Comme les textes modernes ont été très souvent revus et corrigés par leurs auteurs et que les variantes autorisées éclairent le goût et la pensée de l'auteur (académisme, autocensure, etc.), il faut décider si les lieux variants résultent de la volonté libre de l'auteur.

Trois cas en effet se présentent; celui-ci laisse passer une faute (triviale ou non); il corrige une faute ex ingenio (sans vérifier 1' original), auquel cas sa conjecture ou sa réécriture sont souvent inférieures à sa première version; enfin il modi­ fie souverainement son écriture.

Les deux premiers cas font problème.

Voici un exemple de correction ex inge­ nio faite par Flaubert (sachant que le pharmacien Homais a quatre enfants) : - état original : « les petits Homais, marmots de cinq à dix ans, toujours barbouillés »; - état intermédiaire : « les petits Homais, marmots de cinq à six ans, toujours barbouillés »; - état corrigé : « les petits Homais, marmots tou­ jours barbouillés ».

Les principes de la critique textuelle n'ont été appli­ qués à notre littérature que vers le milieu du siècle der­ nier.

Et il nous resterait encore beaucoup à apprendre en distinguant avec les biblistes la critique textuelle, la critique littéraire (langue, milieu, sources, genres, auteur), historique (valeur documentaire), herméneuti­ que (interprétation critique du sens) pour fonder un plu­ ralisme ouvert.

En retour, la recension complète des témoins d'un texte moderne largement diffusé apporte­ rait une connaissance fine et contrôlée des mécanismes de la transmission.

Les particularités matérielles de la fabrication des livres expliquent aussi certaines singularités de transmis­ sion.

Pour les manuscrits, la codicologie a cherché à comprendre la division du travail dans les ateliers ou scriptoria des xm• et x1v• siècles, les procédés d'assem­ blage et de reliure.

L'examen minutieux du papier du manuscrit a jeté sur les Pensées de Pascal un jour nou­ veau.

L'étude des cahiers de Proust dans leur disposition permet de suivre le processus rédactionnel.

L'édition critique des auteurs modernes s'appuie sur les manus­ crits originaux, qui subsistent de plus en plus nombreux depuis l'époque romantique : outre la genèse du texte, elle éclaire l'aspect socioculturel de la publication impri­ mée.

La recherche, en ce domaine, est variée et flo­ rissante.

Le bilan est plus sombre pour l'édition des textes dont ne subsistent que des témoins imprimés.

La bibliogra­ phie matérielle (ou analytique) d'origine anglo-saxonne a montré combien la connaissance des techniques de l'imprimerie était importante pour comprendre les ano­ malies de la transmission textuelle.

Cette connaissance reste négligée chez nous.

Il est pourtant établi que les exemplaires d'une même édition peuvent varier entre eux de façon irrégulière, au gré du brochage.

Deux prati­ ques, courantes encore au xvm• siècle, en sont la cause : la correction sous presse (en cours de tirage et sans sup­ pression des feuilles non corrigées) et la substitution de feuillets corrigés (dits cartons) aux feuillets originaux lors du brochage.

Il faut savoir repérer les cartons et analyser le mode d'imposition.

Or, le texte du carton répond souvent aux exigences de la censure : l'édition de 1670 des Pensées de Pascal, l'Encyclopédie en appor­ tent des exemples.

Au XIx• siècle, le procédé du clichage a entraîné des modifications du texte.

qui n'ont pas encore été étudiées en France.

Au lecteur averti de se tenir sur ses gardes.

[Voir aussi CRI TIQUE LITTÉRAIRE).

BIBLIOGRAPHIE J.

Froger, la Critique des textes et son automatisation, Dunod, 1968; L.

Hay et P.

Nagy, Avant-texte, texte, après-texte, Akadé­ miai Kiado, Budapest- C.N.R.S., Paris, 1982; R.

Laufer, buro­ duction.

à la texrologie, Larousse, 1972.. »

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