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WEINGARTEN Romain : sa vie et son oeuvre

Publié le 12/11/2018

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WEINGARTEN Romain (né en 1926). Par la liberté d’une écriture où jeux de mots, inventions et associations verbales rappellent avec humour les procédés de l’écriture automatique, Weingarten appartient à la frange surréaliste du « nouveau théâtre » né après la guerre. Son discours rejoint également celui d’Artaud dans la poursuite d’une insaisissable réalité « du dedans ». Il enrichit ce double héritage d’un goût pour le merveilleux, entretenu grâce au rapport qu’il a su conserver avec le monde de l’enfance : ses pièces sont aussi de véritables féeries, tout imprégnées de fraîcheur et d’humour. Mais il dénonce par ailleurs la malignité et les ridicules de l’univers adulte avec un acharnement féroce dont la violence, cependant, est toujours tamisée par l'écran du rêve.

 

Un long apprentissage

 

Romain Weingarten garde de son enfance un souvenir « idyllique » : né à Paris, fils unique choyé, vivant souvent à la campagne, il s’intéresse tôt à la peinture, à la danse, aux arts plastiques. Dans le Paris de 1945, écrivant des poèmes marqués par l’influence d’Artaud (cf. le Théâtre de la Chrysalide, achevé en 1948, publié en 1950), le jeune homme assure sa subsistance grâce à

 

des besognes artisanales (encadreur rue des Beaux-Arts, correcteur-typographe, etc.) et, à vingt ans, compose sa première pièce, Akara. Jouée en 1948 par des amateurs comme Roland Dubillard, Claude Sarraute et l’auteur lui-même, l’œuvre est accueillie par des hurlements scandalisés. On parle d’un « Hernani 48 », mais Audi-berti soutient la pièce, et Jean Marchât propose de la prendre aux Mathurins. Weingarten refuse : le silence retombe autour de lui. En 1960, les Nourrices, une « charge bouffonne et grinçante » du milieu des affaires, remporte auprès de la critique un succès d’estime. Mais il faut attendre 1966 pour que Weingarten triomphe enfin avec l’Été (joué au théâtre de Poche, après avoir été monté en 1965 en Allemagne). « Poème d’amour scénique » (Jean-François Adam), la pièce se situe dans un jardin merveilleux où, invisibles aux spectateurs, des amants s’enlaceront sous le regard de deux adolescents troublés et de deux chats goguenards. Ce succès amène une reprise remarquée à.” Akara (1967) au Studio des Champs-Élysées. Puis, en 1970, c’est Comme la pierre, à la Comédie-Française, et Alice dans les jardins du Luxembourg, spectacle de « danse », si l’on entend par là « la gravitation d’un personnage autour d’un autre personnage immobile » : de la mère d’Alice d’abord, autour du lit où se dissimule sa fille, qu’elle tracasse et qui finit par la tuer; d’Alice ensuite, autour de Dodu, œuf posé sur un socle de jardin public symbolisant « la surface lisse du vaste monde » que la petite fille doit affronter seule. Avec la Mandore (1973) et Neige ( 1979), les pièces de Weingarten s’enferment dans des espaces scéniques toujours plus confinés, soit un immeuble isolé pour « insalubrité » dont le public embrasse d’un seul coup d’œil l’ensemble des appartements (la Mandore), soit une cabane cernée par les frimas, véritable huis clos où se déploie autour d’un poète amoureux qui rêve à sa belle le ballet de trois sœurs en guenilles (Neige). Et la Mort d'Auguste (1982) n’est qu’un spectacle pour trois clowns.

 

Acteur (Weingarten joue le chat dans Akara et dans l’Été), le dramaturge se fait metteur en scène à l’occasion, tantôt de ses propres pièces (les Nourrices, Alice, Neige), tantôt d’œuvres présentant des affinités avec les siennes, notamment le Loup-garou d’Audiberti dans la reprise posthume de 1980.

 

Onirisme et réalité

 

Lisant en 1955 l'Akara de Weingarten, Ionesco s’étonne de trouver un précurseur en ce dramaturge dont l’œuvre n’est alors connue que de quelques rares amateurs. Un an avant la Cantatrice chauve (1949), Weingarten supprime toute intrigue, divisant ses pièces en tableaux souvent scandés par l’alternance du jour et de la nuit; désarticulant le langage, il use d’onomatopées, invente des mots qui singent mécaniquement certains jargons (telles, dans Akara, ces annonces au cours d’une extravagante partie de cartes : « trigle dièse avec cynique jumelé », « quinte minette pointée avec mise de genre »); il anime les objets de mouvements spontanés (chaises arrivant d’elles-mêmes dans un salon où il faut s’agripper à une table pour l’empêcher de filer toute seule); il crée des personnages humains qui, avec ou sans masques, sont en même temps des animaux.

 

Dans cet univers onirique, l’impossible devient normal (un chat avocat? « on a vu des choses plus curieuses... » [Akara]) et s’impose au spectateur avec justement ce fort sentiment de réalité que donne le rêve à condition que l’insolite se détache sur du quotidien, ce que Weingarten obtient par un subtil dosage du saugrenu et de l’ordinaire. Éclairages jouant sur les éléments dépouillés du décor (« un lit, une chaise, une porte, pour Alice, et c’est tout ») et les déformant, musique désaccordée avec

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« la nature de la scène (une cantate de Bach se fait enten­ dre, tandis que le père des trois sœurs de Neige disparaît dans un poêle), bruitages obsédants accentuent l'étran­ geté de spectacles qui déclenchent un rire parfois contraint, voisin de la peur.

En effet, arrachés aux nor­ mes de J'éveil, de la vie en société, les personnages de Weingarten obéissent à la logique pulsionnelle du rêve.

On peut tout attendre de leurs instincts libérés : qu'un avocat, «chat» dans son tréfonds, manifeste son «ina­ liénable » fierté ancestrale en assassinant un garnement familier qui l'importunait de ses «minou, minou»; qu'une enfant tue sa mère puis sorte tranquillement avec son cartable (Alice); que deux matous se fassent les gen­ daqnes d'un Ordre que ne dérangerait pas le Désir (l 'Ete) ...

Cet .oni ris m e contrôlé s'accommode des thèmes les plus variés, celui de la critique sociale en particulier, avec les Nourrices, où les apparentes incongruités du rêve dénoncent plus fortement que ne le ferait une des­ cription réaliste un monde en folie, travaillé par une agressivité qu'extériorisent, sur les planches, scènes bouffonnes et cauchema1·s.

Une grande bourgeoise omet de porter la jupe de son élégant tailleur, un capitaliste cynique s'affuble d'une peau de tigre, dont il ne parvient plus à se défaire, sans que pour autant le jeu des acteurs perde le naturel qui rend la scène crédible: voilà le spectateur emporté parmi les bizarreries du rêve.

Mais cette symbolique trahit les appétits d'une société où la femme est une « ogr�sse » et l'homme d'affaires un fauve.

Lorsque avec l'Été ou Neige Weingarten aborde le thème de 1' amour, restant fidèle à son écriture il se garde bien de faire platement naître quelque idylle devant nous.

De l'amour il capte l'essence dans cette réalité en creux d'une présence-absence, poignante figure du rêve où l'émotion étreint le dormeur sans cris­ talliser en images :dans l'Été, le public ne verra jamais des amants qu'une symbolique bague perdue ...

Mais envahissant un jardin magique où chats, > ou au crépuscule, et presque toutes de la même façon : un cri, puis une lente mimique silencieuse.

Au cinquième jour, les amants de l'Été quitteront l'Éden, abandonnant les enfants à la nostalgie et le jardin au silence; le chat-« tzigane>> d'Akara sera exterminé au bruit strident des sirènes dans un monde qui hait la >; et l'affrontement des hommes-rats, chiens ou oiseaux, dans la Mandore, précipitera leur chute dans une trappe ubuesque, d'où ils n'émergeront que pour une ultime et muette danse macabre avec draps et clochettes.

Comme si la parole n'avait existé fugitive­ ment que pour dire le malheur du monde ou l'in­ constance du bonheur.

Les personnages se taisent ensuite 2682 -- ----------------------- pour une dernière méditation, avant de retourner, ani­ maux et hommes confondus, à un antérieur indicible.

Si la , comme Weingarten l'appelle, prend une place aussi importante dans ses pièces (les indications scéniques occupent trois fois plus d'espace que les dialo­ gues dans la Mandore), si les,> sont aussi nombreux, par exemple dans l'Eté, c'est que la parole, « entre bonjour et bonsoir », n'est qu'une dérisoire lueur humaine jetée sur un drame dont elle effleure seulement la surface de son vide et de ses clichés.

Retourner à la > .

N'est-ce pas là une aspiration vers un paradis situé en deçà plutôt qu'au-delà de notre monde, comme l'enfance précède l'âge adulte? Certains moments de grâce dans l'Été ou Neige en donnent une intuition approximative : ces instants où 1 'on est enfin silencieux « ensemble >>, cette fusion bienheureuse des amants vivant sans mot dire « l'accord parfait dans la façon de regarder les cho­ ses >>.

Une image rêvée du grand Accord rompu par les futilités du verbe.

M.-A.

DE BEAUMARCHAIS. »

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