Devoir de Philosophie

Conscience de soi et Sincérité

Publié le 03/10/2010

Extrait du document

conscience

Introduction 1) Légitimité de la question - La connaissance de soi semble, pour le sens commun, évidente : ne suis-je pas, parmi tous les objets de connaissance, celui qui m'est le plus proche et le plus familier ? Pourtant, il arrive que je me mente lorsque je présente une image de moi-même que je sais contraire à la réalité. Cette duperie n'est - elle pas une des figures de l'ignorance ou de la méconnaissance de soi ? La complaisance envers soi ne rend-elle pas caduque la sincérité de cette connaissance ? 2) Position du sujet - La connaissance de soi peut-elle alors être sincère ? 3) Analyse des termes du sujet et reformulation synthétique du libellé - On nous demande ici de dire si la connaissance de soi et la sincérité peuvent coïncider. La connaissance de soi est une entreprise de découverte de soi et de ses capacités, ainsi que le résultat positif de ce travail. La sincérité consiste à croire en ce qu'on dit. La sincérité : la franchise, la loyauté, l'authenticité, ce qui est réellement et en toute bonne foi senti ou pensé. Est sincère celui qui est disposé à reconnaître la vérité et à faire connaître ce qu'il pense et sent réellement, sans consentir à se tromper soi-même ni à tromper les autres. Dès lors, la tâche qui consiste à savoir qui je suis et ce que je suis peut-elle en fait et en droit être authentique et loyale? 4) Problématique Questionnement du sujet, mise en évidence de ses présupposés - La question posée sous-entend que la connaissance de soi est généralement une entreprise vaine ou illusoire, dans la mesure où le moi est en même temps le sujet et l'objet de la connaissance de soi. A la fois juge et partie, le sujet partant à la recherche de lui-même serait un observateur intéressé, partial, ce qui rendrait suspecte l'idée d'une connaissance fiable ou objective de soi. Or, si la connaissance de soi peut ne pas être sincère, est-il concevable qu'elle le devienne ? Quelles seraient alors les conditions d'une connaissance de soi authentique ? La sincérité n'est - elle pas d'ailleurs la condition sine qua non de la connaissance de soi ? 5) Problème - Il s'agit de se demander si la connaissance de soi est par nature duplicité ou si elle peut devenir authentique. Dans l'acte de se connaître, la parole de bonne foi et l'être du moi (à supposer du reste qu'il en ait un) peuvent-ils coïncider ? 6) Enjeu - Si la connaissance de soi peut ne pas être sincère, ne sommes-nous pas condamnés à vivre dans l'ignorance de nous - même, dans le mensonge à soi ? Faut-il alors renoncer à se connaître ? Un tel renoncement ne nous condamnerait-il pas à l'aveuglement et à l'aliénation (si la connaissance de soi est la condition de la maîtrise de soi) ? I) La connaissance de soi peut être sincère (thèse) - Il semble, aux yeux de celui qui tente de se connaître, que la connaissance de soi soit sincère : il suffirait, pour savoir qui je suis, de faire l'effort de me penser, de dire ce que je crois vrai à mon sujet et d'agir en fonction de mes convictions. Comment la connaissance de soi pourrait-elle ne pas être sincère puisque c'est moi, en mon âme et conscience, par un acte délibéré, qui choisis de partir à la rencontre de moi-même ? A) La connaissance de soi, définition - Définition de la connaissance de soi : acte de la pensée qui pénètre et définit l'objet du sens intime - le soi ou le moi -, c'est-à-dire une réalité supposée permanente, support des qualités et des changements divers, principe de l'identité individuelle. - La connaissance de soi se différencie de la conscience de soi : savoir que je suis (conscience de soi) n'est pas la même chose que savoir qui je suis et ce que je suis (connaissance de soi). La connaissance est une entreprise de découverte, passant par l'expérience, l'épreuve, les comparaisons, les erreurs, les corrections, le travail. La connaissance signifie également le résultat positif de ce long travail (comme quand on dit : " je connais ma leçon ", " je connais le sujet "). - Se connaître, c'est alors savoir ce dont on est capable, les limites de ses capacités face à une tâche ou plus généralement une situation à laquelle on va être ou on pourrait être confronté. " Je me connais ! " : " je sais ce que je ferais (en bien ou en mal). " Dans le domaine de l'action, qui est toujours tournée vers l'avenir, se connaître veut dire : se prévoir, pouvoir se prévoir. Que puis-je connaître de moi ? - Je peux apparemment connaître assez facilement certaines de mes qualités (fonction sociale, origine, certains traits de caractère…), selon la nature des relations que j'ai avec autrui, selon la manière dont autrui se rapporte à moi. Je puis connaître ce qui en moi est plus ou moins mesurable et j'ai même le devoir, par égard pour autrui, de le faire, si ces qualités mettent en danger autrui, par exemple : les performances physiques notamment. Mais si je considère ma personne dans son intégralité, comme l'ensemble infiniment complexe de possibilités qui dépendent de ma liberté d'en user, des occasions, des empêchements venus du monde extérieur, il est évident que la connaissance de moi-même (ce que je peux prévoir) est largement aléatoire. Elle ne peut prendre que le sens d'un travail d'approche interminable, d'expérience et d'invention, par opposition à un modèle achevé, à une image idéale de soi à laquelle il ne faudrait qu'obéir. - Que serait alors une connaissance de soi sincère ? Une intention honnête de savoir qui je suis. Un acte ou un travail du sujet acceptant de se regarder en face, de voir sa propre vérité, sans complaisance, avec honnêteté et engagement. S'observer, s'étudier, se penser et livrer avec le maximum de franchise et d'objectivité ce que l'examen de soi révèle. En clair, dire, accepter ce qu'on croit être notre vérité, que cela nous plaise ou nous dérange. Reconnaître ses défauts, comme ses qualités, pour ne pas se tromper sur soi-même, agir plus efficacement et en fonction de valeurs librement choisies ou élaborées. - Or, qu'est-ce qui rendrait possible une connaissance de soi sincère ? B) Conscience de soi et connaissance de soi - Pour que cette connaissance soit sincère, il faut d'abord que le sujet prenne conscience de son ignorance. Il faut donc un désir de savoir qui corresponde à une possibilité réelle, la question étant précisément de savoir si l'idéal de se connaître sincèrement peut correspondre à une réalité. - Descartes : la conscience de soi se donne immédiatement à elle-même; elle est la première et la plus certaines de nos connaissances. Avec le cogito, l’être et la conscience coïncident : je suis avant tout une chose qui pense. Immédiateté et proximité de l’objet : l’esprit et plus facile à connaître que le corps (dualisme cartésien qui établit une distance entre le moi conscient et les choses, le sujet connaissant et l’objet à connaître). Par des précautions, une prudence méthodologique radicale mais suffisante, on peut passer de la conscience spontanée de soi à la conscience vraie, à la connaissance de soi. L’épreuve du doute radical est la garantie de la vérité de mes représentations de moi-même. - La connaissance de soi est nécessairement sincère puisque nul ne peut douter sérieusement de sa propre pensée. La réflexion explicite sur cette pensée traduit un niveau supérieur de la conscience. Possibilité donc substantielle de se connaître liée au caractère substantiel de la conscience elle-même. - La sincérité de la connaissance de soi est donc rendue possible par la structure même de la conscience et de la subjectivité qui fait que je suis de plain-pied avec moi-même, dans une proximité et intimité qui rendent la sincérité plausible. Par quels moyens puis-je espérer, dès lors, une connaissance authentique de moi-même ? C) L'action, l'expérience, le regard d'autrui - La sincérité suppose que je réunisse toutes les conditions pour me connaître : nécessité de l'expérience (circonstances, événements, vécus affectifs, conflits traversés, etc.); je me connais ainsi à travers mes actes, mes oeuvres, mes projets. La sincérité ne se réduit pas à l'acte de dire vrai (dans la confidence, la confession, l'introspection). Elle se vit tout entière dans le feu de l'action. Exemple de l'émotion : coïncidence entre ce que je perçois de moi, ce que je manifeste de aux autres et ce que je suis réellement; la sincérité m'envahit sans que je le décide vraiment. L'expérience également de l'extase, de la création et de la contemplation esthétiques, de l'amour, etc. La conscience affective comme composante de la sincérité de la connaissance de soi, en ce qu'elle me permet d'accéder à des couches plus profondes de moi-même. - Nécessité aussi des autres. La sincérité n'est pas seulement de soi à soi mais aussi de soi aux autres. Je ne peux pas passer par moi-même, seul, de la conscience de moi à la connaissance de ce que je suis. Le discours des autres sur moi est indispensable. cf. Sartre : "Autrui est le médiateur indispensable entre moi et moi-même." L’extériorité est donc requise : autrui est celui qui sait ce que je suis et par qui je peux me connaître. Ce que semble bien confirmer l'existence et les discours des sciences humaines qui m'apprennent sur moi ce que le plus souvent je n'aurais pas pu découvrir par mes propres moyens et ce non pas par manque de lucidité, de sincérité ou de précautions, mais radicalement : parce que je ne peux à la fois être un objet et un sujet. D) Le retour à soi et la parole sincère - Je peux et dois récupérer le discours de l’autre sur moi, la sincérité étant nourrie par le retour à soi. Si le discours de l’autre est un moyen d’auto-élucidation par lequel je peux me connaître, cette prise de conscience (idée de passage) est aussi presque toujours une redéfinition de soi, un renversement des déterminations d’abord vécues passivement. Nécessité de l'introspection : examen de conscience (approche du moi profond), introspection médiatisée dans le cadre de la psychanlyse. - Exemple des Confessions de Rousseau : analyse psychologique subtile, complexe, approfondie, liée à un besoin qu'éprouve Rousseau de se justifier, de faire connaître qui il est réellement, volonté de se situer par rapport aux autres, de montrer que son portrait atteint une sorte de généralité. Rectifier l'abîme entre l'être et l'apparence. Volonté de transparence et de sincérité absolue. Transition - Possibilité donc d'une connaissance sincère de soi par la nature même de la conscience (transparence et substantialité), l'engagement profond du sujet désireux de se connaître et s'en donnant les moyens (expérience, retour à soi…). Mais cette prétendue sincérité de la connaissance de soi ne relève-t-elle pas d'une illusion foncière du sujet sur lui-même qui met sur le compte de la sincérité ce qui, en réalité, ne fait qu'exprimer les préjugés, les oeillères, la complaisance que nourrit le sujet à son endroit ? La sincérité est-elle d'ailleurs suffisante pour que la connaissance de soi soit vraie et authentique ? Ne peut-on pas se tromper en toute bonne foi ? II) La connaissance de soi peut ne pas être sincère - Que signifie une connaissance de soi non sincère ? Quels pourraient être les obstacles à une connaissance non sincère de soi ? A) La mauvaise foi - Lorsque nous nous mentons à nous-même, nous sommes notre propre dupe. Par complaisance envers nous-même, pour ne pas voir la vérité qui nous dérange, nous nous livrons à ce que Sartre appelle la mauvaise foi : la mauvaise foi est le contraire de la sincérité; duplicité de ses paroles, de ses actes envers soi-même ou à l'égard d'autrui. C'est parce que l'homme n'est pas pure adhésion à soi que la mauvaise foi est possible. - Pour être sincère, il ne suffit pas de dire ce qu'on croit vrai. Nos opinions peuvent exprimer nos préjugés, nos limites, tout ce qui appelle de notre part examen et soupçon. Ne pas confondre le mensonge (tromper autrui en lui faisant prendre pour vrai ce qu'on sait ou ce qu'on croit être faux), la sincérité (croire en ce qu'on dit), la franchise (dire tout ce qu'on croit; on peut être franc et être de mauvaise foi : se mentir à soi-même et croire ce qu'on dit), la mauvaise foi (ignorer ce qu'on pourrait savoir parce que cela nous dérange ou nous déplaît). - Toute l'analyse sartrienne pouvait être reprise ici et donner lieu à des sous-parties. Approfondir la notion de mensonge à soi et se demander comment l'on peut se mentir à soi-même. Bien montrer que la mauvaise foi, qui annule en apparence l'idéal de sincérité, est une illusion, un aveuglement volontaire qui fait que nous fuyons, par lâcheté et par paresse, la responsabilité ou le devoir que nous avons de nous connaître. B) Les limites de la connaissance de soi - Je puis désirer sincèrement me connaître, croire me connaître effectivement et m'apercevoir ensuite que ce que j'avais pris pour de la sincérité n'était qu'une erreur dissimulée. Peut-être même que la connaissance de soi peut-être sincère à titre d'objectif, d'idéal (je veux effectivement me connaître ?) mais que cette connaissance de soi est un leurre. Pour quelles raisons ? - Limites de l’introspection : difficulté d’être à la fois l’observateur et l’observé, difficulté que Montaigne, dans les Essais, met bien en évidence. Cette connaissance de soi par soi manque incontestablement d’objectivité : je suis un observateur partial, “intéressé”, à la fois juge et partie. Ces limites sont liées à la structure de la subjectivité (" la solitude ontologique ") et à la force de l'amour-propre qui m'enchaîne à moi-même : connaissance de soi comme amour excessif de soi; la sincérité n'est qu'un masque de l'intérêt qui n'ose pas s'avouer. - Pour qu'il puisse y avoir sincérité, nécessité d'une coïncidence entre la parole et l'être. Or, si l'identité subjective se résout en une pure illusion (cf. les critiques de Hume, de Kant, de Pascal, Kant, Bouddha), cette coïncidence est impossible et renvoie à un besoin de stabilité de notre esprit. La connaissance de soi comme connaissance du non soi. Ce qui pose problème, dans la connaissance de soi, c'est l'idée d'un soi permanent à connaître. La sincérité passe ici par la reconnaissance du caractère illusoire de la prétendue possibilité de saisir le moi (cf. Notamment la doctrine bouddhiste). - La sincérité est une attitude artificielle qui repose en une croyance naïve en la transparence du sujet, en la possibilité d'une intériorité et d'une coïncidence avec soi. Or, l'acte même de s'auto-observer modifie l'objet observé. Ensuite, comme l'a montré Sartre, la conscience est négativité, fuite; son mode d'être est l'ambiguïté, caractéristique de la liberté. C) Impossibilité de la connaissance de soi - On peut radicaliser la difficulté à obtenir une connaissance de soi sincère. Le sujet exprime certes avec vérité et bonne foi sa pensée. Mais la connaissance de soi ne se réduit pas l'acte de dire, de parler de soi, fût - ce de manière honnête. Le dire du sujet sur lui-même concerne la représentation, non l'essence : Kant distingue conscience (représentation de soi-même) et connaissance (objectivité absolue consistant à atteindre une réalité en soi, à poser une essence, un être indépendant de la représentation subjective). Je peux ainsi vouloir sincèrement me connaître, savoir qui je suis et pourquoi je suis ainsi, sans pour autant comprendre les mobiles de mes pensées et de mes actes. - Il y a en moi de l'inconnu qui motive l'acte de connaître et même de l'inconnaissable au-delà ou en-deçà de toute sincérité. Transition - La connaissance de soi nous avait d'abord semblé pouvoir être sincère. Mais cette sincérité se résout, en réalité, en une pure illusion qui renvoie à la force de la vanité, au jeu de la mauvaise foi, au besoin de stabilité de notre esprit. La connaissance de soi peut donc ne pas être sincère. La sincérité est l'autre nom de l'intérêt, de l'amour-propre, du mensonge à soi. Mais, loin d'être une réalité, la sincérité ne désigne-t-elle pas un idéal, une condition nécessaire, quoique non suffisante, de la connaissance de soi ? III) La connaissance de soi doit être sincère A) Le devoir de se connaître - Rappel de la célèbre maxime placée sur le fronton du temple de Delphes : " connais-toi toi-même ". Conseil, recommandation : " apprends sans cesse à te connaître et à toujours mieux choisir selon le projet de toi-même que tu poursuis ". La connaissance de soi surgit de la méconnaissance et doit lutter contre les illusions nées de la méconnaissance. C'est parce que la connaissance de soi peut ne pas être sincère que nous avons le devoir de faire en sorte qu'elle le devienne. Il ne s'agit pas tant d'une maxime pour l'introspection ou d'une démarche psychologique qui chercherait à dégager les traits spécifiques d'une individualité, que d'un impératif d'élucidation de la condition humaine (Hegel), d'une règle de sagesse (Platon). Dès lors, la connaissance de soi doit être sincère car elle a pour objet de relativiser cette domination sur soi-même que le sujet pouvait penser pouvoir en retirer. Ouvrir un ordre de méditation qui retourne l'individualité sur les éléments d'universalité qui la constituent. - Connaissance de soi comme travail, élaboration qui rassemble le passé en vue d'un projet d'avenir, qui fait appel à la mémoire et à l'imagination. Deux conceptions possibles ici de la connaissance de si : une conception statique de la personne, qui en ferait l'objet permanent d'une connaissance plus approfondie; une conception statique d'un sujet ouvert sur l'avenir et qui s'apprend à mesure qu'il s'invente. B) L'exigence de sincérité - Freud fait de la sincérité la règle fondamentale de la psychanalyse. Etre sincère, c'est exprimer avec vérité ce que je sens et pense, c'est communiquer tout ce que notre perception intérieure nous livre : " ne pas céder aux objections critiques qui voudraient lui faire rejeter certaines idées comme n'étant pas assez importantes…" (Ma vie et la psychanalyse). Déjouer, par la sincérité de la parole, les pièges de la censure en laissant cette dernière s'exprimer,de façon que le psychanalyste puisse mener à bien son travail d'interprétation. - Etre sincère, ce n'est pas uniquement dire ce que l'on sait, ce que l'on dissimule à autrui; c'est aussi dire ce que l'on ne sait pas : révéler ce qui nous soulage, ce qui nous vient à l'esprit, même si cela est désagréable, semble inutile, voire saugrenu. - Valeur morale de la sincérité : pour Aristote (Ethique à Nicomaque, IV), la sincérité est le juste milieu entre la vantardise et la réticence : caractère d'un homme sans détours, véridique à la fois dans sa vie et dans ses paroles, et qui reconnaît l'existence de ses qualités propres, sans rien y ajouter ni retrancher. L'homme sincère est un magnanime qui s'estime à sa juste valeur. Etre sincère : être authentique, agir par soi-même, faire coïncider la parole et l'être. Il y a donc un lien entre sincérité et connaissance de soi : pour Kant, le devoir de se connaître est constitutif du respect de soi et des autres. Se connaître le plus sincèrement possible, c'est comprendre ce qui, en soi, dépasse infiniment le moi : la personne humaine. C) La sincérité comme conscience et critique des oeillères - Nous avons vu qu'il ne suffisait pas, pour être sincère, de dire ce qu'on croit vrai, ni d'agir conformément à nos convictions. Car ce que je crois être vrai me concernant n'est sans doute qu'une complaisance, qu'un préjugé, qu'un piège de l'amour-propre. Aussi notre sincérité se mesurera-t-elle à la critique que nous exerçons à l'encontre de nos propres certitudes, ainsi qu'à notre aptitude à entendre le discours de l'autre sur nous - même, afin que des vérités différentes puissent coexister, quand bien même il m'appartient, en dernier recours, de récupérer ce discours de l'autre. Conclusion - La sincérité est donc la condition nécessaire, mais non suffisante, de la connaissance de soi. La difficulté réside dans ce moi à connaître qui n'est jamais définitivement constitué. Je n’accède à une conscience exacte de ce que je suis, c’est-à-dire à une connaissance vraie de moi-même, qu’au cours d’un long processus qui ne s’achève qu’avec la vie. Les résultats atteints dépendent de circonstances que nous ne maîtrisons pas toutes. Ils dépendent aussi, et peut-être surtout, de la sincérité et de l’effort consenti.

conscience

« C'est moi qui pense, ou qui doute, et si un autre peut le faire tout aussi bien que moi, ce sera sa propre expérience,à laquelle je ne pourrais jamais me substituer.

Ainsi, nous aboutissons à des consciences séparées, enfermées enelles-mêmes, et dans une véritable vision solipsiste.

Autrui ne peut pas être pris en considération, car c'est d'abordet avant tout ma propre subjectivité qui intervient.

B.

La conscience, source d'obsessions et de culpabilité Cesdéfauts de la conscience réflexive, chez Descartes, apparaissent bien dans la critique que peut en faire Leibniz,notamment dans sa préface des Nouveaux Essais sur l'entendement humain .

Il y montre notamment que laconscience, telle que l'envisage Descartes, conduit à l'impossibilité de renouveler sa pensée.

L'exigence d'uneconscience transparente à ellemême fait que ce à quoi je pense doit se redoubler de la pensée de cette pensée.

Jedois penser que je pense, et ainsi à l'infini, sans jamais pouvoir passer à une nouvelle pensée.

Le résultat est donccelui d'une idée fixe , obsessionnelle, qui m'empêche d'en sortir.

Cet enfermement de la conscience en elle-même serévèle encore mieux si nous envisageons la conscience morale.

En effet, celui qui revient sur ses actes passés ytrouvera certainement quelques défauts au niveau intentionnel.

Le regret, ou le remords, découlera de ce regardrétrospectif.

Il en naîtra un sentiment de honte, ou de culpabilité, qui va devenir une véritable torture pour celui quiest incapable d'oublier.

En se rappelant sans cesse sa faute, il ne pourra envisager aucun avenir.

Il restera bloquésur son passé, et ne pourra même plus vivre au présent.

Cet enfermement aura pour conséquence une véritableaction d'autodestruction, pouvant conduire au désir du suicide.

Nous voyons donc que la prise de conscience n'estpas forcément ce qui mène à une libération.

Elle peut au contraire rendre impossible une sortie de soi-même et unevéritable rencontre avec ce qui n'est pas moi (le monde ou autrui).

Mais si la conscience peut aboutir à cela, c'estpeut-être parce qu'il n'est envisagé qu'un seul aspect de la conscience (comme Descartes qui prend la conscienceréflexive pour toute la conscience), ou qu'un seul usage de celle-ci. 3.

La nécessité de faire intervenir différents degrés de conscience A.

La différence entre consciences spontanée, intentionnelle et réflexive Les possibilités d'enfermement avec laconscience que nous avons pu observer en seconde partie s'expliquent par les distinctions que nous devons fairemaintenant entre différents degrés de conscience, ou différentes conceptions de celle-ci.

Comme nous l'avons vuavec Descartes, la conscience réflexive qu'il met en avant n'est pas la seule qui peut intervenir.

Une conscience nedébouche pas forcément sur une réflexion, car elle peut s'arrêter à un certain seuil.

C'est notamment ce que montreLeibniz avec les petites perceptions .

La possibilité de prêter attention à un objet dépend de l'intensité dessensations qu'il fait naître en nous, comme celui qui sera réveillé par un bruit qui atteindra un certain niveau dedécibels.

Mais cela veut dire que la conscience n'est pas entièrement d'ordre réflexif, ou du moins qu'elle ne l'est pasimmédiatement.

Avant la prise de réflexion intervient une conscience corporelle , ou spontanée, qui déjà me guidedans tous mes mouvements.

Nous n'avons plus à craindre, ici, de nous enfermer dans notre conscience tropréfléchie, puisque au contraire nous restons ouvert sur le monde qui fait naître en nous des perceptions, ni d'aboutirà une séparation trop importante entre l'esprit et le corps.

C'est aussi ce que la tradition philosophique de laphénoménologie appelle la conscience intentionnelle .

Celle-ci se caractérise par sa relation au monde.

« Touteconscience est conscience de quelque chose », écrit Husserl dans ses Méditations cartésiennes .

Cela veut dire quela conscience n'est pas clôturée sur elle-même.

Au contraire, elle n'apparaît que dans ces relations qu'elle entretientavec le monde, qui lui donne les possibilités d'être de telle ou telle forme (par exemple une conscience perceptive, sil'objet est présent là devant nous, ou une conscience imageante s'il est absent et qu'il faut s'en refaire une imagedans notre esprit).

B.

Les différents usages possibles de la conscience Ainsi comprenons-nous, avec la conscienceintentionnelle, comment peut intervenir une prise de conscience.

C'est l'horizon du monde qui en donne la possibilité.Mais cet horizon n'est qu'une incitation, qui autorise différentes visées de ma subjectivité.

C'est ainsi que, pour unmême objet, ma conscience peut envisager plusieurs usages.

Je peux mettre un livre dans ma bibliothèque dansl'intention de l'étudier, ou simplement pour son apparence et son effet décoratif.

Cette différence d'usage, c'estcelle qui sépare une conscience réflexive d'une conscience spontanée, telle que les étudie Husserl dans son ouvrageLogique formelle et logique transcendantale .

Une conscience poussée au maximum de sa réflexivité donne lieu à unelogique formelle , qui n'envisage les choses que sous l'angle de leur possibilité (un triangle conserverait son essence,même s'il n'en existait aucun équivalent dans la réalité perceptible).

Mais lorsque cette possibilité ne suffit plus, parexemple dans le domaine de l' action ou de la perception , alors une conscience spontanée est suffisante, et mêmerecommandée.

C'est elle qui interviendra, par exemple, lorsque surgira de l'imprévu ou du contingent dans la viequotidienne, et dont la possibilité ne pourra être prévue par une science.

Vouloir le faire, ce serait vouloir supprimertout ce qui fait la singularité de cette vie, et ce serait la figer une fois pour toutes alors qu'il s'agit, justement, dene pas faire l'économie de son expérience . Conclusion La conscience peut donc bien être libératrice, mais dans une certaine mesure seulement.

Si elle offre l'une desspécificités de l'homme, c'est-à- dire sa capacité à prendre de la distance par rapport à ce qui l'entoure (et d'oùvont surgir toutes ses réalisations culturelles), cela ne l'empêche pas de devoir maintenir un lien avec cetentourage.

La prise de conscience elle-même ne peut d'ailleurs surgir que de la sollicitation qui vient du mondeextérieur, et la conscience serait complètement vide si elle disparaissait.

Aussi la conscience peut-elle êtrelibératrice que si elle n'oublie pas d'où elle vient, même si pour elle cela peut représenter une pesanteur (celle de lamatière) par rapport à la légèreté de l'esprit.

Oublier ce lien, c'est aboutir à un pur esprit (ou une pure conscienceréflexive) qui n'a plus affaire qu'avec lui-même et qui, bien loin de déboucher sur une libération, conduit à unenfermement.

Sujet désiré en échange : Est-ce que la question philosophique est encore d'actualité?. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles