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La liberté a-t-elle une histoire ?

Publié le 27/02/2008

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histoire

I - INTRODUCTION PROBLEMATIQUE.

Dans La raison dans l’histoire, Hegel montre que les passions humaines même les plus guerrières inéluctablement servent le progrès de la liberté humaine qui s’incarne dans l’Etat moderne de droit : il y aurait selon lui une raison cachée à l’oeuvre y compris derrière des bélligérants. Mais les catastrophes totalitaires et l’utilisation de la bombe atomique à Nagasaki et Hiroshima font douter d’un sens inéluctable de l’histoire qui incarnerait une liberté de plus en plus grande. Peut-on encore sauvegarder l’idée d’un sens de l’histoire lié à la notion de liberté ? Ou faut-il tout au contraire considérer que la notion même de liberté humaine est illusoire ? Il faudrait peut-être interroger ce que nous appelons l’histoire. Au moins trois significations sont évoquées avec ce terme. La première concerne la fiction. En ce sens le pouvoir humain de la fiction ne sert-il pas l’imagination des possibles qui est au fondement des pensées du libre-arbitre ? La deuxième signification du mot histoire concerne le récit de vie personnel, familial, ethnique, etc. Ce récit interprète certains faits suivant des motivations diverses. L’historien montre souvent que ce récit s’éloigne des faits proprement dit. Les ombres de ces récits personnels et collectifs oeuvrent souvent à l’encontre de toute liberté. La troisième signification du mot histoire relève donc des événements proprement dits. L’historien malgré son sens critique reste souvent prisonnier de sa subjectivité ou manquant de faits est contraint de relier hypothétiquement dans un scénario crédible les seuls faits dont il dispose. Cependant l’histoire événementielle humaine s’inscrit dans l’évolution même de l’univers : dans quelle mesure l’oeil humain n’est-il pas le regard de l’univers sur lui-même ? La liberté en jeu dans l’histoire ne serait pas fondamentalement celle d’un libre-arbitre humain mais celle concernant la prise de conscience évolutive de l’univers lui-même au fil de ses individualisations. Ainsi en suivant ces significations du mot histoire et la question de la liberté, il faudra nous interroger sur le rapport entre liberté et histoire fictive. Puis il faudra nous demander si nous ne racontons pas des histoires et s’il faut pas se libérer de nos illusions. Enfin nous nous demanderons si l’évolution de la conscience ne permettrait pas de réactualiser les philosophies de l’histoire.

 

 II - FICTION ET LIBERTE.

La liberté humaine n’est peut-être pas tant le produit d’une histoire que lié à la faculté de raconter des histoires. Comme Jean-Paul Sartre le remarquait la conscience humaine peut imaginer de nombreuses possibilités à partir des images et expériences qu’elle tire de la réalité. L’imagination humaine peut découper des images et les coller ensemble suivant son bon vouloir. Ainsi je prend l’image d’une corne et je l’ajoute à l’image d’un cheval pour faire une licorne. A vrai dire le langage permet à l’homme de manipuler la réalité virtuellement, il peut se représenter ce qu’il ne voit pas à partir de ce qu’il voit et parfois cela lui confère un pouvoir suppléementaire dans l’action. Paul Ricoeur dans Du texte à l’action nous invite ainsi à envisager l’action comme un texte. Une action présuppose une mise en intrigue de la situation et elle est d’abord testée fictivement comme le prolongement de la mise en intrigue de la situation. On peut sans doute expliquer à partir de là l’impression d’un sens de l’histoire. Toute action historique se pense d’abord en fonction d’une interprétation des événements passés. On voit dans la démocratie grecque l’annonce de la future révolution française et le triomphe du modèle démocratique à l’échelle mondiale. N’y a-t-il pas là une illusion rétrospective ? Le fil de l’histoire met aujourd’hui en valeur la démocratie grecque antique mais à y regarder de plus près s’agissait-il d’une authentique démocratie puisque l’esclavage, l’absence des femmes sur la place publique étaient jugés normaux ? De ce point de vue le sens de l’histoire n’existe pas en dehors de nos interprétations de l’histoire qui manifestent toujours comme une forme d’illusion rétrospective dans la valorisation de tel ou tel événement qui certainement à l’époque n’étaient pas considérés en ce sens par les protagonistes et qui du point de vue des contemporains semblaient plutôt comme une simple particularité historique anodine. Mais si on veut agir au présent nous devons donner du sens à l’histoire passée pour faire l’histoire présente. Dans cet acte d’imagination du sens de l’histoire passé qu’elle soit d’ailleurs collective ou personnel, nous dégageons des possibilités d’action inédite et nouvelle qui parfois ferons l’histoire. La compréhension des Lumières de la démocratie antique a fait en quelque sorte la Révolution Française.

 

 III - DETERMINISME ET HERMENEUTIQUES DU SOUPCON.

Toutefois comme Paul Ricoeur lui-même le suggère dans Le conflit des interprétations, il faut considérer deux grandes familles d’interprètes. Sartre lorsqu’il souligne la richesse d’imagination des possibles et le choix comme néantisation des possibles à l’exception de celui qui guidera l’action s’incrit dans le présupposé que nos interprétations n’ont pas de sens cachés agissant à travers nous malgré nous. Sa philosophie dans L’Être et le Néant rejette l’hypothèse freudienne d’un inconscient qui parlerait malgré nous à travers nous. Pour Sartre l’inconscient n’est qu’un produit de notre mauvaise foi c’est-à-dire de la capacité que nous avons de prendre une décision de nous y tenir en décidant soigneusement à chaque que nous la reproduisons d’oublier aussitôt que nous l’avons prise. Sartre néglige sans doute que nos interprétations sont le fruit de désirs préconscients voire inconscients qui sont eux-mêmes influencés dans leur formation par l’intériorisation de désirs préconscients ou inconscients de nos parents et éducateurs. Sartre néglige que les désirs avant de devenir des imaginations sont des émotions ou des pulsions qui orientent leur formation. Pour Freud la pulsion est d’abord entièrement colorée sexuellement et cette coloration sexuée persiste même dans les interprétations les plus élaborées et abstraites. Nietzsche qui est aussi un maître des herméneutiques (interprétation du sous-texte des interprétations courantes) du soupçon insistera sur la vitalité plus ou moins sous-jacente à tel type d’interprétation. L’histoire occidentale est pour lui marquée sous le sceau d’une dégénérescence de la vitalité des interprétations qui forment notre cultures. L’hitoire occidentale est pour lui un lent retournement où des interprétations dénuées de vitalité vont s’acharner à lutter contre tout ce qui demeure de forte vitalité. Il y a pour lui une morale des faibles dont le nihilisme trouve son accomplissement dans nos Etats modernes démocratiques. Le riche cherche à s’abrutir dans le confort, le pauvre exécute un travail sans intérêt créatif en espérant un jour se procurer ce confort... Le progrès et la science réduisent le vivant à des mécanismes dénués de sens, ils participent à ce déni de la force créatrice inhérente au vivant. En se détournant de la sexualité, on se détourne de la vie, mais en réduisant les pulsions à de simples mécanismes quantitatifs, on manque le vertige de l’infini des interprétations possibles qui contient tout autant de diablerie que de bondieuserie et bien sûr des interprétations qui n’entrent même pas dans ces catégories. Nous ne sommes donc pas vraiment libre de nos histoire car nous sommes les enfants d’une Histoire, déterminés par elle et ses sens inconscients qui agissent sur nous. Notre histoire n’est pas seulement l’émanation de notre imagination créatrice consciente, elle est aussi l’émanation de nos interprétations inconscientes dont nous sommes les vecteurs. Il faut soupçonner nos interprétations, amener à la lumière ce qui s’y cachaient : notre imagination créatrice doit être libérée par des interprétations thérapeutiques.

 

 IV - CONSCIENCE ET EVOLUTION.

Mais à la fin dans cette archéologie libératrice ne sommes-nous pas condamné à sombrer dans le bruit indistinct de l’océan de nos pulsions ? Notre conscience mentale peut-elle se libérer vraiment dans une introspection personnelle et culturelle ? Le temps n’est-il pas matière à interprétation infinie ? Faudra-t-il se contenter d’une libération inachevée comme un Sisyphe qui parfois approche du sommet son rocher et le voit sans cesse à remonter ? Notre imagination créatrice ne tracera-t-elle que des déplacements historiques dus à des innovations technoscientifiques mais laissant à jamais obscur sa provenance et son destin ? Il n’y a plus de métarécit, insiste Lyotard dans La condition postmoderne expliquée à des enfants. Les philosophies de l’histoire présupposent toujours une pleine clarté des interprétations humaines. Hegel présuppose, comme le suggère Gadamer, une fusion ultime de tous les horizons d’interprétation. Les philosophes de l’histoire nient toujours, semble-t-il, la possibilité de logiques à l’infini.

Une démarche conciliatrice de pensée intégrale dans le sens où elle cherche la fusion des horizons de sens risquera toujours de manquer peut-être ce moment de silence où deux horizons de sens semblent tout aussi crédibles mais parfaitement inconciliables au niveau du langage mental. Le sceptique postmoderne se tiendra à ce moment de silence. Relisant les sceptiques antiques, il comprend que toutes ses introspections personnelles et collectives sont un pur jeu des apparences de sa conscience. Le voilà alors enfin libre de toute histoire. Les apparences qui circulent dans la conscience sont événementielles, elles sont impermanentes disent les bouddhistes tandis que leur champ de circulation n’a rien de temporel. Le théâtre de la conscience sans histoire n’est peut-être que le point commun et le fruit de toutes les histoires qui s’y croisent, il n’a peut-être aucune substance mais réaliser ceci libère de toutes les inquiétudes, de toutes les souffrances qui ne sont que des histoires. La douleur n’est que la fissuration de ce théâtre de la conscience mais se détacher de toute représentation négative de la douleur revient déjà à la relativiser. L’ataraxie des sceptiques tout comme le bouddhisme montrent à l’évidence que la liberté n’a pas d’histoire. La dimension non mentale de la conscience est la source de liberté par excellence. L’imagination ne pourrait pas opérer ses découpages et collages si le tissu mental n’avait aucune vacuité. C’est cette vacuité qui est l’essence de notre liberté la plus authentique. Les jeux herméneutiques du soupçon ou de l’imagination ne sont plus vains dans leur inachèvement. Ils peuvent être vraiment considérés comme des jeux.

Mais les sceptiques excluent trop vite peut-être du champ des possibilités une conscience surmentale que certaines pensées intégrales ou dialectiques n’ont pas manqué de pointer. Les sceptiques comme les intégralistes de la fusion des horizons de sens pensent au fond l’évolution de l’univers de façon anthropocentrique, ils n’envisagent pas la possibilité d’une forme de conscience au-delà de notre conscience mentale comme si un poisson au fond de sa mare précambrienne n’envisageait que des futurs avec des superpoissons. La vacuité sceptique semble non mentale mais elle ne reste qu’une vacuité mentale car implicitement liée à des interprétations mentales. Face à deux horizons de sens crédibles mais en apparence mentalement incompatibles, il arrive parfois qu’une intuition, une forme d’intelligence mentale démultipliée pointe. L’imagination créatrice n’est pas simplement alors un copier coller des images préexistantes, elle s’avère créatrice, elle est comme la manifestation d’un univers imaginal surmental. La liberté de ce point de vue aurait effectivement une histoire. Quel pourrait être une puissance créatrice matérielle au-delà de la fiction ? Ne faudrait-il pas aller au-delà de l’intuition, de l’inspiration poétique ? Là où la chimie de nos esprits croise la conscience… Car il ne s’agirait pas d’une histoire où la conscience mentale est au centre. L’histoire en question serait une évolution de la conscience et de la matière dont la conscience mentale serait le premier témoin conscient mais certainement pas le dernier avatar. A vrai dire la conscience mentale ajouterait à l’évolution consciente le fait qu’enfin elle puisse devenir consciente. La conscience mentale permettrait donc d’accèder à une évolution consciente de la conscience et de la matière elles-mêmes. La manifestation de la liberté en gagnant l’histoire devait peut-être se perdre dans l’infini des interprétations mentales pour enfin déboucher sur une évolution de plus en plus consciente de la matière dont l’interprétation mentale n’est que l’instrument et le témoin.

La conscience est-elle le fruit hasardeux de l’histoire matérielle ou bien la conscience est-elle un élan vital comme chez Bergson ? Même en restant à distance de ce que Bergson estime sous-jacent à un élan vital, ne pourrait-on pas parler d’impulsion créatrice impersonnelle en nous qui anime le monde matériel y compris en notre cerveau ? Notre idée d’une évolution consciente de la conscience ne peut avoir un intérêt que si la conscience n’est pas seulement le produit de hasards matériels aveugles. Mais pourquoi au fond opposer le hasard qu’un regard scientifique relève objectivement et le point de vue possible d’une impulsion créatrice ? Par exemple, si face à moi si un inconnu lève son bras, du point extérieur qui est alors le mien, cela relève du jeu du hasard et de la nécessité de savoir s’il lève le bras droit ou le bras gauche. Mais moi lorsque je lève le bras, du point intérieur au phénomène qui est le mien, il me semble que cela relève davantage de la profondeur de ma conscience et de la profondeur de ma décision. En effet, si je lève le bras spontanément bien souvent je lève le bras droit en tant que droitier et le bras gauche en tant que gaucher. Mais je peux corriger dans ma décision cette tendance déterminée. Cet exemple montre que ma propre décision reste en partie le fruit aveugle du hasard et de la nécessité, dans la mesure où je suis plus ou moins conscient de ce que je suis mentalement, émotionnellement, sensoriellement voire organiquement et pourquoi pas cellulairement. Et plus j’intégrerai consciemment un point de vue interne au jeu hasard et de la nécessité, plus je serai sur le chemin d’une évolution consciente de la conscience qui s’avérera l’intériorité en croissance d’une évolution matérielle dans le fleuve du hasard et de la nécessité. Autrement dit mon évolution consciente de la conscience peut me rendre conscient que je suis l’individualisation de plus en plus consciente d’une impulsion créatrice en un sens impersonnelle puisqu’elle anime le monde matériel dans l’émergence des lois qui le structure impersonnellement vers de plus en plus de conscience personnelle. La shoah, Les bombardements atomiques de Hiroshima et Nagasaki, tous les massacres du XXe siècle, la catastrophe écologique majeure dont nous subissons à peine les premières conséquences, les crises économiques incessantes, la crise morale et spirituelle contemporaine seraient alors à comprendre comme symptômes d’une crise évolutive. Nous serions au coeur de la sixième extinction massive du vivant où chaque fois s’est joué un nouveau saut évolutif.

 

 V - CONCLUSION.

La liberté a-t-elle une histoire ? La conscience humaine se caractérise sans aucun doute par sa faculté de créer des histoires, de mettre des événements en histoire, de proposer des histoires d’événements fictifs et biensûr d’incarner ses histoires. Cependant cette liberté humaine inhérente à sa faculté de raconter des histoires conduit souvent à se raconter des histoires, à fuire des réinterprétations peu glorieuses qui s’y terre. Nos histoires sont animés par des dieux mais des elfes grisâtres les manipulent. Faut-il alors sortir de l’histoire, nous détacher du cours de nos histoires ? C’est l’approche des sceptiques postmodernes qui bien souvent se connote de bouddhisme... Le méditant vit en marge de l’histoire, sa liberté n’a pas d’histoire. Il atteint un bien-être personnel grâce à une démarche spirituelle mais il n’a plus aucun sens de l’histoire ou presque. Pourtant il appartient à la conscience mentale de percevoir devant la faillite de ses interprétations religieuses et technoscientifiques de la réalité qu’elle touche peut-être à sa fin et qu’il lui appartient de se tourner vers cela seul qui peut lui donner sens à savoir l’entreprise radicale d’une évolution consciente de la conscience. Il faut donc ouvrir la recherche d’une conscience de la vacuité, d’une ataraxie sceptique à une recherche des limites supraconscientes et subconscientes de nos mouvements de conscience.

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