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L'oubli peut-il être utile à l'homme ?

Publié le 29/03/2004

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C'est ce qui se passe chez certains esprits « simples « qui, pour raconter un événement, rapportent tout ce qui s'est passé, y compris ce qui n'a rien à voir avec le récit. Les comiques, sur les scènes publiques, savent qu'ils feront rire, en « s'embrouillant « dans leurs histoires, c'est-à-dire en introduisant dans l'anecdote centrale, des détails accessoires, étrangers, qui deviennent absurdes. La mémoire n'est pas la reproduction du tout de l'expérience passée, mais une sélection. Cette sélection rejette, dans un oubli indispensable, ce qui n'est pas intéressant par rapport à notre activité actuelle. Notre mémoire reconstruit le souvenir. L'oubli est la conséquence de la puissance de sélection, condition de la bonne mémoire. L'oubli va, en général, de l'accessoire à l'essentiel, de l'accessoire au fondamental. La mémoire est une organisation, c'est-à-dire qu'elle a sa logique. Elle dispose de cadres, notamment, comme l'a montré Halbwacks, de cadres sociaux. La vie affective, avec ses intérêts, ses préférences, regroupe sans cesse les aspects majeurs de notre expérience passée.

Hélas, l'adjectif utile aura engagé bon nombre de candidats sur la pente des confidences larmoyantes, et pour répéter qu'il est bon pour l'homme d'oublier ses peines, ses douleurs, les mauvais moments de son existence ! Il ne s'agit pas de savoir si les Français — ou tout autre peuple — ont la mémoire courte, et si cela leur permet de vivre plus légèrement, avec moins de souci ! La question porte sur la fonction mémoire. Aussi faut-il éliminer la pathologie, et tous les oublis, qui tiennent à des insuffisances mentales, soit de perception, soit d'association. L'oubli joue un rôle au sein de la mémoire, c'est en ce sens qu'il est utile. (Et non pas de discuter sur l'utilité de la mémoire elle-même.) En ce sens l'oubli n'est pas le contraire de la mémoire. II en est le complément. Un psychologue du xixe siècle a pu écrire que « la mémoire est la faculté d'oublier «. Formule paradoxale, bien sûr, inacceptable si l'oubli était effacement de tout souvenir. Mais ce paradoxe a l'intérêt de marquer que le souvenir n'est pas, ne peut pas être une simple résurgence du passé, qu'il n'est pas image brusquement retrouvée dans les coins poussiéreux de la conscience. L'explication porte donc sur une analyse de la remémoration — et par suite, de l'absence de remémoration.

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