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Que pensez-vous de cette opinion d'Emile Faguet : « La littérature française n'est point populaire, parce qu'aucune littérature n'est populaire. Il faut en prendre son parti : la littérature et l'art ne sont populaires qu'à la condition d'être médiocres ». ?

Publié le 02/04/2009

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Le succès de Jean Vilar a remis en vogue le principe même du théâtre populaire. Mais il n'y a pas que le théâtre qui puisse être populaire : toute la littérature peut s'élever à ce degré de vie, de concret, de réalité parfaitement accessible au grand public et donner ainsi l'impression d'être populaire. Aussi ne manque-t-on pas d'être surpris en constatant l'ostracisme d'un Emile Faguet lorsque ce dernier écrivait avec un mélange de mauvaise-humeur et de haine pour la masse : « La littérature française n'est point populaire, parce qu'aucune littérature n'est populaire. Il faut en prendre son parti : la littérature et l'art ne sont populaire qu'à la condition d'être médiocres. «

Il y a entre le populeux et le populaire, entre la masse et la médiocrité, un passage à la limite qu'Emile Faguet ne craint pas de franchir. On sait que cet impressionniste forcené allait jusqu'à écrire : « Le bon goût, c'est mon goût. « Pour lui, tout ce qui n'était pas en accord avec ses idées personnelles en matière de littérature et d'art était nécessairement voué à la faiblesse, voire à la nullité. C'est pourquoi nous pouvons, à la lumière de plus

d'un demi-siècle de tentatives d'instauration d'un art vraiment populaire, reprendre le problème à la base et nous demander en quel sens la littérature peut vraiment atteindre la large audience du grand public.

 

« 2.

La littérature populaire comme feuilleton journalistique, comme roman à deux sous, comme vers de mirliton,comme livres de gare, de même que l'art plastique présenté sous forme de chromo, de croûtes infâmes, s'étalantpompeusement boulevard Saint-Michel, apparaissent comme les symboles mêmes de la médiocrité.

Il ne faut pass'étonner si Emile Faguet, de l'Académie française, fait le dégoûté en parlant d'une littérature populaire.

Pour lui laFrance reste l'apanage de l'art versaillais, à la rigueur du style Régence.

Le pré-classicisme avec la vogue duprécieux pourrait presque être le critère de l'art par excellence.

Faguet est venu à la littérature à l'âge où leParnasse mettait en lumière les préceptes de l'art pour l'art ; il se méfie d'un retour trop brutal à la nature, à lavérité, à une vision brusque des choses ; la popularité excessive — celle de la populace — il ne peut qu'en avoirpeur : il se rappelle la Commune.

Les grands bouleversements, par le désir qu'ils ont de faire partager au peuple lessentiments esthétiques d'une élite, ne contribuent qu'à donner un malaise au lettré qui cherche à l'oublier.

Flaubertavait raison de s'enfermer à Croisset, les Goncourt de se terrer dans leur grenier, l'Académie de ne pas se prononcersur le boulangisme et Panama (on sait qu'elle devait plus tard s'engager très violemment contre le « dreyfusisme »qui manifestait là encore la tentation d'une dérivation vers le populaire).

Le mandarin Faguet juge ainsi la littératurede son temps avec une objectivité plus ou moins factice : il dirait tout aussi bien que la littérature française n'estpoint engagée, et qu'en s'engageant elle tombe dans le goût de la masse, donc de la populace. 3.

La médiocrité de cette littérature qui ne se veut pas élevée, mais qui souvent cherche à être édifiante, éclatelorsque l'on compare les tirages respectifs des auteurs à la mode.

Sait-on bien que c'est le Mouchoir bleu qui fut leplus gros succès de librairie de tout le XIXe siècle et que ce morceau de littérature plus que populeuse dépassait enmédiocrité tout ce que l'on peut imaginer de plus insipide, de plus sot, de plus plat à travers tout le XXe siècle.

Lesadaptations de romans de George Sand à la sauce populaire, les mélodrames issus du drame romantique, lesvaudevilles dérivés de Labiche apparaissent en effet à l'observateur objectif, même cent ans après, comme morts etbien enterrés.

Ils n'ont plus de succès qu'a contrario : c'est-à-dire que l'on en rit au moment précis où l'on devraiten pleurer et vice-versa.

Il est donc assez légitime de parler de médiocrité à propos de l'art populaire, mais ce qu'ilfallait peut-être préciser, c'est que la littérature et l'art ne sont compréhensibles pour le peuple que si on lui donneles moyens de parvenir à cette supériorité intellectuelle dont s'enorgueillissent beaucoup de potentats.

Toute lamasse peut devenir élite, si on lui accorde la possibilité de s'élever.

Faguet reste résolument hostile, par sonattitude anti-populaire, à l'élaboration d'un art nouveau, au progrès d'une littérature qui s'élèverait à partir denouvelles couches de lecteurs.

Pour lui le mieux consiste encore à pratiquer on ne sait quel malthusianisme littéraireoù quelques lecteurs choisis resteraient les seuls juges de ce qui est valable et de ce qui ne l'est pas.

III.

- L'ART POPULAIRE COMME ART D'ÉLITE 1.

Que l'on songe au phénomène du snobisme dans l'art : ce qui a commencé par être le goût d'une coterie, d'unepetite chapelle, de grands esprits réduits à la « paucité », mettons, si l'on veut, l'hôtel de Rambouillet, aprogressivement évolué vers les plus grands salons, vers des ensembles larges, vers une collectivité où legroupement se faisait tout autour de « supporters » nombreux.

Le « snobisme » désigne plus maintenant une modequ'un cénacle.

C'est le « dandysme » qu'il faut dire, pour montrer ce que l'on entend par art d'élite.

Les « happy few» chers à Stendhal sont maintenant légion.

L'art populaire a donc cessé d'être un art de masse, pour devenir aucontraire le point de mire d'une élite mondaine : mais cette élite est elle-même innombrable.

Rappelons-nous quelorsque Jean Vilar plantait sa tente à travers les Salles des Fêtes des mairies de la région parisienne, le tout-Passy,le tout-Paris, le tout-Neuilly, s'y lançaient à corps perdu.

Il est amusant de remarquer que le siège du ThéâtreNational Populaire se situe géographiquement place du Trocadéro, au centre du quartier le plus snob de Paris. 2.

La grande manie de notre époque pour tout ce qui est populaire, singulièrement pour les arts primitifs, pour l'artnègre, pour la musique à percussion, pour la peinture si naïve des autodidactes, apparaît comme la manifestationd'une curieuse propension à l'amour de l'art populaire dans la mesure où l'on peut « s'encanailler » en élevant jusqu'àsoi le populaire que l'on anoblit.

Ici l'on devrait songer aux peintres du dimanche, au douanier Rousseau, à tous cesgrands esprits qui ont commencé par œuvrer d'une manière toute vulgaire pour s'élever progressivement jusqu'aufaîte d'une gloire mondaine.

Il n'est que de réfléchir au curieux cas de Jean Genêt pour réaliser combien le seul faitd'avoir été au plus bas degré de l'échelle sociale a pu conférer à l'élite un goût bizarre et sensiblement érotique pourl'œuvre de cet homme.

On peut suivre à la trace les écrivains qui, comme Georges Arnaud (Le voyage d'un mauvais garçon), Louis Calaferte (Le Requiem des Innocents), etc..

ont pu partir du peuple pour s'élever à l'élite, au plus pur sens du terme. 3.

Enfin, le populisme devrait être invoqué contre Emile Faguet.

Ici la littérature apparaît comme nécessairementpopulaire, et d'autant plus populaire qu'elle fuit davantage la médiocrité.

Il existe une littérature élevée, grande etbelle, qui procède du peuple : c'est le naturalisme dans le roman, le réalisme au théâtre, le vérisme en poésie.Octave Mirbeau, Henry Becque, Zola, les Goncourt, Huysmans, Lucien Descaves, apparaissent aujourd'hui commeceux qui ont réussi à promouvoir l'art populaire en l'élevant jusqu'au sublime.

Ainsi, ceux-là mêmes qui vivaient encontemporains d'Emile Faguet, avaient déjà tenté de faire mentir le prophète.

Avec la guerre de 1870, la littératureréussissait à s'incarner, à s'engager de plus en plus dans le concret, et c'est par la prise de conscience de saprésence effective au monde, dans des conditions spatio-temporelles bien définies, que l'écrivain devait apprendreque le populaire est pour lui une catégorie esthétique qui lui offre une source d'inspiration aussi haute que l'art leplus éthéré. CONCLUSION. »

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