CONTRE LA CRITIQUE BIOGRAPHIQUE
Publié le 28/03/2015
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Est-ce ironie du destin littéraire ? Toujours est-il que Proust a été après sa mort l'une des cibles essentielles de cette critique biographique dont il avait pourtant montré la vanité. Les analystes de son oeuvre ont cherché à découvrir derrière celle-ci la biographie de son auteur s'engageant dans une recherche aussi inextricable qu'inutile de ses sources. Il y a peu, un éditeur de Proust est même allé jusqu'à agrémenter sa version d'A la recherche du temps perdu d'un dictionnaire des personnages et des clés de l'oeuvre; par ordre alphabétique se trouvaient rangés les personnages réels dont Proust était censé s'être inspiré pour écrire son oeuvre. On ne peut imaginer contresens plus complet !
Plus encore, la véritable «tarte à la crème« de la critique proustienne consiste à expliquer l'oeuvre à partir de l'homosexualité de son auteur : pour nombre d'érudits, il est entendu qu'Albertine — la maîtresse du narrateur — est en réalité Albert et que la moindre des scènes d'amour trahit en réalité les penchants sexuels véritables de l'auteur. Dans cette perspective, le premier psychanalyste venu vous expliquera que Contre Sainte-Beuve est une sorte de gigantesque « dénégation « : sachant que toute son oeuvre s'explique en fait par son homosexualité, Proust aurait défendu qu'on interprète son roman à venir à partir de sa propre biographie, dissimulant derrière des faux-semblants esthétiques la honte d'une sexualité qu'il jugeait lui-même anormale.
«
362 / La critique .
@"B
livre n'est pas «un traité de géométrie pure», d'avoir
d'abord répondu aux questions qui paraissent les plus
étrangères
à son œuvre (comment se comportait-il ...
), à
s'entourer de tous les renseignements possibles sur un
écrivain, à collationner ses correspondances, à interro
ger les hommes qui l'ont connu, en causant avec eux s'ils
vivent encore, en lisant ce
qu'ils ont pu écrire sur lui s'ils
sont morts, cette méthode méconnaît ce qu'une fréquen
tation
un peu profonde avec nous-même nous apprend :
qu'un livre est le produit d'un autre moi que celui que
nous manifestons
dans nos habitudes, dans la société,
dans nos vices.»
.....
La position de Proust est la suivante : pour saisir vérita
blement ce qu'il en est
de la littérature, il s'avère essentiel
de savoir distinguer
le «moi social» du «moi créateur».
Le
«moi social » est l' écrivain tel qu'il est possible de le
connaître, de Je rencontrer, de l'approcher dans la vie quoti
dienne.
Le «moi créateur» est, à l'inverse, !'écrivain tel
qu'il n'existe ou tel qu'il s'invente lui-même dans
le
moment de l'écriture.
Or, affirme Proust, en aucun cas Je «moi social» ne permet
d'expliquer
Je «moi créateur»: le second est irréductible au
premier.
Il faut postuler une sorte de précipice, de décro
chage radical
de l'un à l'autre pour être en mesure de rendre
intelligible
le geste même de la création.
C'est pour avoir méconnu cette vérité, continue
Proust, que
Sainte-Beuve est passé totalement à côté des plus grands
écrivains de son temps.
Convaincu
de ce que ! 'homme fai
sait et expliquait l'œuvre, Sainte-Beuve a commis les plus
grossiers des contresens :
«Et pour ne pas avoir vu l'abîme qui sépare l'écrivain
de
l'homme du monde, pour n'avoir pas compris que le
moi de l'écrivain ne se
montre que dans ses livres, et
qu'il ne montre aux hommes du monde [ ...
] qu'un
homme du monde comme eux, il inaugurera cette
fameuse méthode qui, selon Taine, Bourget,
tant
d'autres, est sa gloire, et qui consiste à interroger avide
ment,
pour comprendre un poète, un écrivain, ceux qui.
»
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