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MARIVAUX, Pierre Carlet de Chamblain de : sa vie et son oeuvre

Publié le 24/11/2018

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marivaux

Dans ces romans, un certain réalisme ne caractérise pas seulement les situations et les caractères, mais aussi l’espace et le temps. L’époque historique est précisée; les lieux sont dessinés par petites touches et avec le souci du détail correct. Jacob, le futur « paysan parvenu », arrive à Paris et entre, dans un hôtel particulier parisien, au service d’un financier. Il passe, par la suite, de l’appartement de dévotes à la demeure d’une veuve de procureur, du logis d’un président à la prison, de Versailles à la maison d’une entremetteuse, de la rue au lieu le plus élégant de Paris, la scène du Théâtre-Français.

 

Il y a également un lien solide avec la réalité dans les situations romanesques : l’individu est obligé d’affronter la société. Dans ses romans de maturité, Marivaux a décrit cet affrontement sous forme « d’aventure » pour trois de ses personnages, Marianne, M,le de Tervire (dans la Vie de Marianne) et Jacob. Il présente ainsi des expériences parallèles : l’individu se trouve placé seul devant les membres d’une communauté qui, en refusant de l’accepter parmi eux, le contraignent à se défendre, à se définir et à revendiquer le droit d’être lui-même — ce qu’il finit par obtenir. Jacob, le roturier, doit acquérir des qualités qui sont naturelles à Marianne. Il lui faut se transformer sans se renier, en restant fidèle à lui-même. Marianne et Mlle de Tervire sont exposées à la souffrance en raison de leur délicatesse innée. Jacob subit plutôt des accidents que des malheurs, et, comme il ne possède rien, il saisit toute occasion favorable sans se préoccuper exagérément de scrupules ou de cas de conscience, jouissant de tout ce que le destin peut lui apporter. Si, pour Marianne, le mobile psychologique est l’honneur, et pour Mlle de Tervire la charité, pour Jacob c’est le plaisir, ce qui permet à l’auteur de tracer dans le Paysan parvenu un tableau sans illusion de la société de son époque.

 

L'œuvre en mouvement : les journaux

 

Une grande partie des textes écrits par Marivaux «journaliste » s’inscrivent dans le cadre de son apprentissage littéraire. Il donne au Nouveau Mercure, à partir de 1717, des « Lettres » (dont la première a été intitulée par l’éditeur « Lettre sur les habitants de Paris »), dans lesquelles il se livre pour la première fois à la description directe du monde qui l’entoure en y ajoutant les réflexions que ce spectacle lui suggère. Il ne se pose pas en moraliste sévère, mais plutôt en observateur ironique : « Ce qui gâte l’esprit des bourgeoises, c’est le faste continuel qui s’offre à leurs yeux : chaque équipage que rencontre en chemin une femme à pied porte en son cerveau une impression de douleur et de plaisir; de douleur, en se voyant à pied; de plaisir, en se figurant celui qu’elle aurait si elle possédait une pareille voiture. Le moyen que le cerveau d’une femme tienne à cela? »

 

D’autres articles publiés dans le Nouveau Mercure indiquent ses préoccupations esthétiques et littéraires, telles les «Pensées sur différents sujets» (1719), qui sont d'une importance capitale pour la compréhension de la pensée de Marivaux et également pour l’histoire de la critique en France. L'auteur y attaque le principe de la clarté et esquisse une esthétique de la suggestion : toute formule qui « met en image courte et vive » la pensée à exprimer paraît justifiée à Marivaux, qui remet ainsi en question la doctrine classique suivant laquelle l’image doit être du même ordre que l’objet auquel elle s’applique et former par elle-même un système cohérent.

 

Avec le Spectateur français (1721-1724), Marivaux se donne un cadre, et une forme originale susceptible d’une entière liberté d’expression : aucune contrainte de genre n’est imposée à la pensée, aux velléités du romancier, à l’observation et aux réflexions morales, qui se juxtaposent dans le texte et prennent une allure de chronique. Marivaux, tour à tour témoin et dilettante, y fait

 

alterner le sérieux et le plaisant, puis, sensible et détaché, il frappe, insinue, instruit — et pourtant « s’amuse ». Certaines feuilles relatent l’expérience de toute une vie, tandis que d’autres ne décrivent que l’espace d’une soirée, utilisant subtilement toutes les nuances perceptibles dans le domaine du sentiment et de l’expérience humaine. S’il évoque avec humour de petites histoires de tous les jours (lettres de la fille dévote ou du mari de la femme avare), il décrit ailleurs, sur le mode romanesque, des moments où se joue le destin d’un être. La vie sociale lui donne l’occasion d'analyser les aspects qu’y revêt l’amour-propre. Marivaux accorde une très grande importance à la morale, qui, selon lui, est fondée sur la nécessité de la vie sociale et sur la conscience guidée par la réflexion. Ses pensées sur l’éducation des enfants, sur les rapports humains entre maris et femmes, sur la détresse des jeunes filles abandonnées, sur le rôle corrupteur de l’argent, sur le pacte des riches protégés par la loi et méprisant les pauvres, font preuve d’une générosité, d’une discrétion et d’une hauteur de vue auxquelles un lecteur, même aujourd’hui, ne peut rester insensible.

 

Dans V Indigent philosophe, rédigé au printemps 1727, Marivaux choisit un gueux comme porte-parole, et la réflexion de l’auteur se situe à trois niveaux différents qui reflètent ou l’attitude, ou le tempérament, ou l’idéal secret de son personnage. Ses propos rendent souvent un son nouveau lorsqu’ils s’appliquent à l’esthétique, à la métaphysique ou à la morale, qu’il enrichit d’observations qui pourraient anticiper quelques-unes des découvertes modernes de la psychologie et même de la psychanalyse des névroses. La verve quelquefois amère et puissamment satirique de U Indigent philosophe le distingue des autres œuvres de Marivaux et lui confère une place unique parmi celles-ci.

 

Le Cabinet du philosophe ( 1733-1734) a été conçu par Marivaux comme une série d’articles devant d’emblée former un tout. Les réflexions du philosophe se rapportent au « train du monde », aux femmes et à l'amour, à l’homme et à son destin, aux moyens d’expression et au rôle de l’écrivain (ces dernières réflexions étant complémentaires de celles qui parurent dans le Mercure et dans certains numéros du Spectateur français). Elles s’attachent aux rapports entre le fond et la forme et aux objets de la création littéraire et de la critique. Marivaux s’abrite derrière un narrateur détaché, jovial, bon vivant, délicat ou alors franchement comique, indigent et philosophe, spectateur et observateur dont les propos reflètent les sujets de l’actualité intellectuelle, morale, littéraire de l’époque : « ... réflexions gaies, sérieuses, morales, chrétiennes, beaucoup de ces deux dernières; quelquefois des aventures, des dialogues, des lettres, des mémoires, des jugements sur différents auteurs, et partout un esprit de philosophe; mais d’un philosophe dont les réflexions se sentent des différents âges où il a passé. » C’est en ces termes que, dans la première feuille du Cabinet du philosophe, l’auteur définit son propos. Les « réflexions chrétiennes » présentent un intérêt tout particulier. Marivaux y critique les athées et les déistes, parle des effets de la « Chute », prend position par rapport au mysticisme, met en valeur le rôle du cœur dans la conversion religieuse et fonde sa foi sur l’exigence d’ordre qu’il y a en l’homme. C’est le seul texte qui donne accès à la pensée religieuse de Marivaux.

 

Œuvre en mouvement, les «journaux » de Marivaux sont un écho du dialogue de l’auteur avec son temps.

 

Marivaudage

 

Violemment critiqué par ses contemporains, accusé de « courir après l’esprit », de « n’être point naturel », Marivaux s’est expliqué à plusieurs reprises sur sa manière d’écrire. Il revendique le droit à l’originalité, au

MARIVAUX, Pierre Carlet de Chamblain de (1688-1763). Les documents réunis jusqu’à ce jour sur Marivaux sont peu nombreux et souvent très laconiques. De ce fait, une connaissance approfondie de l’homme et de sa vie n’est pas aisée à obtenir. L’auteur est resté très discret sur lui-même et il ne subsiste de sa correspondance que quelques lettres. C’est donc à partir de son œuvre et de ses personnages qu’on a pu dessiner peu à peu un portrait littéraire de l’écrivain.

 

Moraliste et psychologue, Marivaux fut célèbre à son époque aussi bien comme romancier et journaliste que comme auteur de théâtre. Un jugement contemporain le définit comme « le Racine du théâtre comique, habile à saisir les situations imperceptibles de l’âme, heureux de les développer [...] », concluant que « [...] personne n'a mieux connu la métaphysique du cœur, ni mieux peint l’humanité ».

 

Dans sa conception de l’homme et de la vie et dans ses idées philosophiques, Marivaux exprime l’attitude intellectuelle d’un disciple indépendant et original de Houdar de La Motte et de Fontenelle. Cartésien, il est aussi imprégné de Malebranche, dont les leçons avaient dû lui être enseignées dès le collège. Se rangeant du côté des Modernes, il prit vigoureusement part à la querelle qui opposa ceux-ci aux Anciens.

 

L'importance que Marivaux attache à l’expérience et au sentiment fait de lui un précurseur des Lumières. On ne saurait pour autant rattacher ses conceptions à la philosophie sensualiste d’un Locke; certaines seraient plutôt dues à un empirisme proche de celui de Fontenelle : un certain nombre de définitions et de classements lui permettant de cerner ce qu’étaient l’homme et son monde pour découvrir qu’il s’agissait de facultés et de fonctions universelles régissant un ensemble. Mais ce cartésianisme ne l’a pas empêché de ressentir la fragilité d’un moi livré à la sensation et à l’imagination, à l’instant toujours insaisissable : l’être se forme en assimilant ses « états successifs » et, pour Marivaux, l’existentiel sous ses nombreuses formes a priorité sur l’essentiel unique.

 

Un provincial à Paris

 

Marivaux naquit à Paris, où il vécut les dix premières années de sa vie. Son père, Nicolas Carlet, alors trésorier des vivres en Allemagne pendant la guerre de la Ligue d’Augsbourg, ne s’installa qu’au début de 1699, avec sa femme et son fils, à F Hôtel de la Monnaie, à Riom, où il avait acquis la charge de contrôleur-contre-garde. Marivaux entra au collège des Oratoriens de Riom, où il reçut, contrairement à la légende, une solide formation de latiniste. La connaissance de l’Antiquité devait être pour lui un apport culturel essentiel à l’illustration, au prolongement et à l’approfondissement de sa méditation sur les problèmes et les ressources de l’homme. A Riom, Marivaux eut certainement aussi d'autres lectures que celles des programmes scolaires de l’époque : ses premiers romans trahissent l’influence de La Calprenède, de Cervantès, de Mlle de Scudéry; sa première comédie, le Père prudent et équitable, rappelle la manière de Regnard dans le Légataire universel et celle de Molière dans Monsieur de Pourceaugnac.

 

Marivaux termina ses études au collège vers 1707, mais ne s’inscrivit à l’école de droit de Paris qu’en 1710. Où passa-t-il ces trois ans? Son oncle maternel, le célèbre architecte Pierre Bullet, dont l’influence sur le jeune Pierre Carlet fut très grande, l’a peut-être reçu chez lui

 

pour des séjours plus ou moins longs. En 1712, il s’établit définitivement à Paris; son inscription à l’école de droit, où il se désigne comme parisiensis, semble en faire foi. C’est peut-être vers cette époque (1712-1713) qu’il décida de se consacrer entièrement à la littérature, car il ne semble pas s’être particulièrement adonné à des études de droit. Mais il aura à supporter les nombreuses épreuves d’années difficiles avant de réussir et de devenir l’auteur dont les comédies à succès sont jouées à la Cour, qui compte parmi ses amis d’illustres écrivains et qui est reçu dans les salons les plus brillants de l’époque, ceux de Mmc de Lambert, de Mme de Tencin et de Mmc Geoffrin. De fait on ne trouve trace de la présence de Marivaux dans aucun salon avant 1730.

 

Une expérience féconde

 

Une expérience des plus importantes pour le jeune auteur fut sa participation, avec d’autres jeunes intellectuels, à un mouvement littéraire d’avant-garde. Il fut rapidement l’un des partisans les plus passionnés des Modernes dans la querelle qui opposa, de 1714 à 1716, les « dévots d’Homère » aux admirateurs de La Motte. Les « Avant-propos » du Télémaque travesti et de l'Homère travesti sont parmi les quelques bonnes pages qu'a produites cette querelle [voir Querelle des anciens ET DES MODERNES].

 

L’œuvre de Marivaux forme un ensemble vaste et cohérent. Aussi n’y a-t-il rien d'étonnant à ce que ses œuvres de jeunesse recèlent les germes de son œuvre future : c’est une théorie du roman fondée sur la sensibilité et les « réflexions » que Marivaux, débutant, expose dans l’« Avis au lecteur» des Effets surprenants de la sympathie. Ce « programme » sera réalisé dans la Vie de Marianne, mais il le sera également dans la Nouvelle Héloïse et dans le roman proustien.

 

C'est aussi dans les romans de jeunesse de Marivaux que l’on trouve de nombreuses situations, des détails, des caractères d'où sortiront les personnages ou les intrigues de ses pièces les plus célèbres. L’âpre réalisme du Télémaque travesti et de l’Homère travesti ne doit pas cacher la portée de ces deux œuvres burlesques dont la vraie signification se place au niveau d’une attitude humanitaire de l'auteur, s’élevant contre l’injustice d’un certain ordre social : le Télémaque renferme une critique courageuse de la persécution des protestants en France, et l'Homère est la satire la plus féroce qu’on ait faite de la guerre au xviiie siècle. Ce n’est que le travestissement burlesque qui permit à la censure de tolérer la très grande audace de ces textes.

 

Dans ses romans de jeunesse, l’auteur se révèle aussi sous un jour très personnel. Il y a des passages dans lesquels Marivaux semble dévoiler son être sentimental; il n’a pas encore pris le masque du « spectateur » ou du « philosophe » de ses œuvres de maturité.

 

L'expérience intellectuelle vécue par Marivaux entre 1714 et 1725 fut celle aussi d'autres jeunes gens qui s’étaient attachés au parti des Modernes : La Motte, Cré-billon et Fontenelle leur avaient apporté la même révélation pour la littérature que Descartes et Malebranche pour la philosophie. Ce qui comptait, pour eux, c’était la liberté de pensée, l’ingéniosité, les discussions, les exercices de la raison et de l’esprit; c'était la recherche d’une vérité que l’on ne trouverait pas par des emprunts aux Anciens, mais par ses propres forces.

 

Parmi les différents écrivains ayant fait partie du même groupe littéraire, il y a bien des analogies de pensée et d'écriture : il faut donc replacer à un moment précis de l’histoire littéraire et de l’histoire des idées, des articles comme les « Pensées sur différents sujets » ou des journaux comme le Spectateur français, dans lesquels Marivaux défend et illustre sa conception des devoirs de l’écrivain en laissant deviner toute sa passion pour la littérature.

 

Les premiers succès

 

En 1717, Marivaux se marie, et des problèmes matériels, qu’il semble avoir ignorés jusque-là, se posent soudain à lui. Lorsque son pcrc meurt, en 1719, il tente de lui succéder dans sa charge à la Direction de la monnaie de Riom : il semble qu'il ait été, à ce moment-là, prêt à sacrifier sa carrière littéraire que la vie en province l’aurait évidemment obligé à interrompre. Mais sa demande n’ayant pas abouti, il reprendra son activité d’écrivain dès 1719, avec la publication, dans le Nouveau Mercure, des « Lettres contenant une aventure ».

 

Une période de doutes et de tâtonnements se prolongera jusqu’au début de 1722. L’auteur se cherche, et, finalement, il se découvrira dans la nouveauté et l’originalité : les Lettres sur les habitants de Paris (1717) sont le premier essai de Marivaux journaliste. Les Pensées sur différents sujets (1719) posent le problème du langage (déjà soulevé dans l’Homère travesti ), auquel Marivaux s’attachera jusque dans ses derniers écrits. Sa tragédie, Annibal (1720), est une preuve de plus de sa recherche de différents et multiples moyens d’expression.

 

Mais les difficultés financières de Marivaux, ruiné par la faillite de Law, deviennent si grandes vers 1720 qu’il se voit contraint d’interrompre ses activités littéraires pour se trouver une carrière plus lucrative, celle d’avocat. Il se réinscrit à la faculté de droit; il y obtient, le 31 mai 1721, le grade de bachelier et, le 4 septembre de la même année, celui de licencié.

 

Sur les trois pièces qu’il avait fait jouer l’année précédente, une seule fut bien accueillie. Arlequin poli par l'amour, l'Amour et la Vérité eut une représentation, Annibal trois.

 

Ces recherches successives, ces tâtonnements littéraires aboutirent finalement, pour Marivaux, au choix définitif de ce qu’il devait écrire et de l’écriture qui allait être la sienne : critique sociale et réalisme satirique dans ses journaux, peinture de l’âme féminine et de l'amour dans ses réflexions psychologiques et morales, réflexion de l’auteur sur son art, création de moyens d’expression plus personnels, mieux adaptés à sa liberté d’invention et, enfin, conception et élaboration d'un théâtre poétique et psychologique.

 

Son œuvre reflète une vaste culture littéraire. Ses lectures s’étendent de Molière, Corneille, Racine (lus et relus) aux poètes antiques, d’Homère à Lucain, aux dramaturges de la Restauration anglaise, à Milton, au Tasse, à Sorel, à Dufresny, à Regnard. Même de petites comédies sans intérêt des années 1725 ou 1733, des récits découverts dans des journaux français ou hollandais lui inspirent des trouvailles littéraires et des réussites théâtrales.

 

L'étude du cœur humain

 

C’est dans les vingt années qui vont suivre que se situe la période la plus féconde de Marivaux : il s’attache à la création de plusieurs œuvres conjointement — ce qui rend difficile l’établissement de dates précises concernant la mise en chantier, la rédaction et l’achèvement de chacune. Celles-ci se situent dans le domaine du journalisme, dans celui du roman et dans celui du théâtre.

 

Le journalisme, chez Marivaux, prend une forme particulière : le Spectateur français (1717-1734), l'indigent

 

philosophe (1727) et le Cabinet du philosophe (1734) expriment les réflexions morales de l’auteur, lesquelles feront également l’objet des articles publiés par Marivaux dans le Nouveau Mercure.

 

L’observation, la réflexion, l’analyse psychologique et morale trouvent également leur place dans ses romans. Marivaux passera plusieurs années à écrire la Vie de Marianne : la rédaction et la publication de cette œuvre s’étendent sur plus de dix ans (1731-1741). Ce roman « de sentiment », dont la nouveauté et l’originalité furent mal senties, peu remarquées et peu comprises à l’époque, unit au romanesque un réalisme poétique. Dans le Paysan parvenu, qui fut d’une rédaction plus rapide (1734-1735), l’auteur laisse libre cours à sa veine satirique. Les thèmes développés dans ces deux romans rappellent certains sujets de ses œuvres de jeunesse. Les personnages et les situations des Effets surprenants de la sympathie ébauchent le romanesque de la Vie de Marianne; les expériences burlesques ou picaresques auxquelles donnèrent lieu des romans comme le Télémaque travesti ou comme Pharsamon ne furent pas sans influence sur la conception du Paysan parvenu, dans lequel Marivaux s’efforce de retenir, avec le plus de précision possible, la réalité des êtres et des sentiments.

 

Les tentatives théâtrales de Marivaux furent assez rapidement couronnées de succès. Arlequin poli par l'amour fut merveilleusement bien joué par les Comédiens-italiens qui avaient été rappelés, à peine cinq ans auparavant, par le Régent. Ils avaient ainsi eu le temps de s’accoutumer au public français, tout en pratiquant un art fondé sur une excellente formation d’acteur, de chanteur et même d’acrobate due à la tradition de la commedia dell'arte. L'univers raffiné et spirituel des pièces de Marivaux leur fit découvrir un théâtre entièrement nouveau et pourtant à leur mesure. La collaboration de Marivaux et des Comédiens-italiens fut, dès lors, féconde : l'un apportait la poésie, l’originalité, la nouveauté psychologique et dramatique des situations et des caractères; les autres, la fantaisie, la gaieté, le mouvement, une vive sensibilité, la mimique, le geste. Les Italiens étaient aussi en mesure de faire deviner et de suggérer des sentiments, de créer une atmosphère de féerie, de donner vie et expression à des situations que la psychologie seule reliait à des réalités contemporaines. Sensible au jeu de ces excellents acteurs, Marivaux découvrit progressivement des possibilités théâtrales nouvelles, insoupçonnées. Il écrivit ses rôles pour des interprètes précis (Gianetta Benozzi, dite Silvia, ou Tho-massin), respectant leur personnalité et leur faisant découvrir des aspects de leur talent qu’ils ignoraient peut-être eux-mêmes. Ces rôles leur convenaient à tel point que le public en arrivait à confondre l'interprète avec son personnage sur scène.

 

Cette période d'intense création fut aussi une période de rencontres, d’amitiés. Mme de Lambert, Mme de Ten-cin, qui contribua à le faire élire à l'Académie française, Fontenelle, Crébillon père, témoin à son mariage avec Colombe Bollogne, furent de ses amis. En 1742, il prêta son concours à Jean-Jacques Rousseau, qu’il aida à revoir une pièce, Narcisse.

 

Mais ses succès lui valurent aussi de nombreux ennemis, dont la malveillance et les méchancetés se reflètent dans certains jugements portés sur son œuvre, jugements qui furent repris et répétés longtemps encore après la disparition de Marivaux.

 

L'académicien

 

Élu à l’Académie le 10 décembre 1742, Marivaux fit, le 4 février 1743, son discours de réception. Insolite et original, celui-ci fut très différent de ceux qui l'avaient précédé. Marivaux y remarquait (bien avant Rivarol) le rôle dominant du français en Europe, importance qu’il attribue à l'exceptionnelle qualité de l'esprit et des sentiments des écrivains ayant formé et formant l’Académie, ces esprits éclairés étant responsables du progrès présent et à venir de la culture et transmettant une tradition sans prix : « N’est-ce pas d’ici, en effet, que sont partis tant de rayons de lumière qui ont éclairé les ténèbres de cet esprit autrefois égaré dans de mauvais goûts et dans l’ignorance de toute règle et de toute méthode? »

 

Les œuvres que Marivaux écrivit dans cette dernière période de sa vie sont en majeure partie des réflexions ou des essais sur des questions de morale et de littérature. Parmi celles-ci, les Réflexions sur l'esprit humain à l'occasion de Corneille et de Racine, dont Marivaux fit des lectures à l’Académie, sont significatives à différents points de vue : elles constituent une défense de l'écrivain, de son utilité pour la diffusion de la « science du cœur humain » et de la « langue nationale », mais aussi une mise en garde devant la montée irréversible des philosophes. de p us en plus « scientifiques » et beaucoup plus appréciés que les hommes de lettres. L’essai de Marivaux est donc révélateur d’une évolution précise des intérêts intellectuels et des goûts de l’époque, auxquels il n’est pas resté étranger.

 

S’il ne revint pas au roman, Marivaux écrivit encore quelques comédies en un acte qui constituent la quintessence de sa pensée et de son art théâtral.

 

Marivaux mourut à Paris, à soixante-quinze ans, après avoir montré des signes d'affaiblissement dans les mois qui précédèrent sa fin. Certains documents retrouvés laissent imaginer aujourd’hui, du moins jusqu’à un certain point, ce qu'ont pu être les dernières années de sa vie. Même célèbre et élu à l’Académie. il n'avait guère fait fortune en vivant de sa plume; son œuvre n’avait cessé d’être controversée. L’édition erronée qu'en donna Duviquet, au XIXe siècle, ne contribua pas peu à défigurer davantage encore celui qu'une critique malveillante n’avait en son temps guère ménagé. Il aura fallu attendre le XXe siècle pour restituer à Marivaux son originalité et à son œuvre son excellence.

 

Masques et visages : le théâtre

 

Les contemporains de Marivaux ont cru voir dans ses pièces un seul sujet toujours répété : la surprise de l’amour. L’auteur s’élève contre cette erreur d'appréciation dans l’« Avertissement » des Serments indiscrets (1732) en soulignant les différences qui séparent cette dernière de la Surprise de l'amour (1727) : « [...] c’est qu’on y a vu le même genre de conversation et de style: c’est que ce sont des mouvements du cœur dans les deux pièces; et cela leur donne un air d’uniformité qui fait qu'on s’y trompe. » L’erreur que souligne Marivaux n’a pas été le fait de ses seuls contemporains : l’on retrouve ce jugement sommaire sous la plume de critiques plus récents.

 

En même temps que sa recherche de la vérité et des réalités psychologiques, Marivaux poursuit celle d’une forme, d’un langage qui soient « vrais », qui correspondent à la réalité de l'expression. Un autre passage de l’« Avertissement » cité expose cette idée :

 

« [...] ce n’est pas moi que j’ai voulu copier, c’est la nature, c’est le ton de la conversation en général que j’ai tâché de prendre : ce ton-là a plu extrêmement et plaît encore dans les autres pièces, comme singulier, je crois; mais mon dessein était qu'il plût comme naturel, et c’est peut-être parce qu’il l’est effectivement qu'on le croit singulier, et que, regardé comme tel, on me reproche d’en user toujours ». Plus loin, Marivaux se justifie de la critique formulée à l’endroit de sa langue de théâtre par le fait que l'on a pris pour un style d'auteur ce qui n’était que le ton naturel de la conversation. « le langage des hommes ».

Quant aux « mouvements du cœur », centre d’intérêt de ses pièces, ils comprennent ces instants psychologiques privilégiés qui correspondent à une prise de conscience de soi, à une évolution, à une transformation de l’être pris dans l’existence; mais aussi des instants de vérité dans les relations sociales, quand les conventions et les illusions font place aux réalités humaines, quand les masques tombent et laissent apparaître les visages.

 

Être et exister : le roman

 

Fort de son expérience littéraire et humaine, observateur sensible et intelligent, Marivaux crée un type de roman original dans ses deux œuvres de maturité, la Vie de Marianne et le Paysan parvenu. Les personnages traditionnels du roman baroque et du roman picaresque s’y trouvent renouvelés, et l’on retrouvera jusqu’à la fin du xvme siècle, dans les romans, des personnages, des situations et des scènes empruntées à son œuvre romanesque.

 

C’est dans un « Avis au lecteur » placé en tête de son premier roman de jeunesse, les Aventures de *** ou les Effets surprenants de la sympathie (1712-1714), que Marivaux expose ses convictions théoriques concernant l'écriture romanesque. Il s’agit d’un véritable plaidoyer en faveur du roman. L’auteur y conteste — contre les disciples de Boileau — le rôle conjoint de la nature et de la raison, accordant beaucoup plus d’importance à la sensibilité dans la création d’une œuvre non seulement vraisemblable, mais qui réponde à des données psychologiques réelles. C’est au goût et au « sentiment intérieur presque toujours aussi noble que tendre, et qui seul fait juger sainement des faux et des vrais mouvements qu'on donne au cœur », indépendants « des lois stériles de l’art », que l’auteur exprime l’intention de conformer le langage et les actions de ses personnages. Il s’attaque aussi à des problèmes fondamentaux propres au genre romanesque, cherchant à établir un lien entre l’art et la vérité, entre la raison et la connaissance intuitive (le cœur); enfin, proposant de définir des critères esthétiques valables pour une critique du roman, il émet l'idée d’une vérité propre à la fiction : « La pitié qu’excite l'objet présent, les inquiétudes qu’il nous cause affligent l’âme et font des impressions fâcheuses. Elle est attendrie; mais elle souffre réellement. Le sentiment est triste, au lieu que le simple récit, quelque affreux qu’il soit, s’il excite la pitié, ne porte dans l’âme qu’un intérêt compatissant sans douleur [...]. L’âme émue se fait un plaisir de sa sensibilité, en se garantissant par la raison d’une tristesse véritable, qui ne doit la saisir qu’à la réalité des malheurs ».

 

L’« Avis au lecteur » nous révèle aussi que, dès le départ, le roman a été pour Marivaux « un ouvrage dont le sujet est le cœur » : ce qui lui importe, ce ne sont pas des aventures extérieures, sociales ou libertines, comme l’ont cru nombre de ses imitateurs, mais des « aventures » psychologiques touchant à la sensibilité, à la connaissance de soi et des autres et se traduisant dans l’émotion, dans la souffrance et dans la découverte de soi.

 

Dans un deuxième roman, intitulé Pharsamon ou les Nouvelles Folies romanesques, et très rapidement dans un troisième, la Voiture embourbée, Marivaux cherche à mettre en pratique ses idées sur le roman, ce qui explique la composition de ces œuvres de jeunesse; leur structure trouve son point d’accomplissement dans une forme originale du roman réaliste, celle du Télémaque travesti. Autant son premier roman était dédié à l’âme féminine et se caractérisait par l’importance accordée à la sensibilité, à l'intuition et au « génie natif », autant les trois suivants sont définis par l’accent mis sur la sensualité, la réflexion et l’apprentissage de la vie. C’est dans cette même perspective que Marivaux situe la Vie de Marianne et le Paysan parvenu.

marivaux

« précis de l'histoire littéraire et de l'histoire des idées, des articles comme les « Pensées sur différents sujets » ou des journaux comme le Spe ctateur français, dans les­ quels Marivaux défend et illustre sa conception des devoirs de l'écrivain en laissant deviner toute sa passion pour la littérature.

Les premiers succès En 1 717, Mari vaux se marie, et des problèmes maté­ riels, qu'il semble avoir ignorés jusque-là, se posent sou­ dain à lui.

Lorsque son père meurt, en 1719, il tente de lui succéder dans sa charge à la Direction de la monnaie de Riom : il semble qu'il ait été, à ce moment-là, prêt à sacrifier sa carrière littéraire que la vie en province l'au­ rait évidemment obligé à interrompre.

Mais sa demande n'ayant pas abouti, il reprendra son activité d'écrivain dès 17 J 9, avec la publication, dans le Nouveau Mercure, des «Lettres contenant une aventure ».

Une période de doutes et de tâtonnements se prolon­ gera jusqu'au début de 1722.

L'auteur se cherche, et, fin alement, il se découvrira dans la nouveauté et l' origi­ nalité : les Le ures sur les habitants de Paris ( 17 17) sont le premier essai de Marivaux journaliste.

Les Pensées sur différents sujets (1719) posent le problème du lan­ gage (déjà soulevé dans l'Homère travesti), auquel Marivaux s'attachera jusque dans ses derniers écrits.

Sa tragédie, Annibal ( 1720), est une preuve de plus de sa recherche de différents et multiples moyens d'ex­ pression.

Mais les difficultés financières de Marivaux, ruiné par la faillite de Law, deviennent si grandes vers 1720 qu'il se voit contraint d'interrompre ses activités littéraires pour se trouver une carrière plus lucrative, celle d'avo­ cat.

Il se réinscrit à la faculté de droit; il y obtient, le 3! mai 1721, le grade de bachelier et, le 4 septembre de la même année, celui de licencié.

Sur les trois pièces qu'il avait fait jouer l'année précé­ dente, une seule fut bien accueillie, Arlequin poli par 1 'amour; l'Amour et la Vérité eut une représentation, Annibal trois.

Ces recherches successives, ces tâtonnements littérai­ res aboutirent finalement, pour Marivaux, au choix défi­ nitif de ce qu'il devait écrire et de l'écriture qui allait être la sienne : critique sociale et réalisme satirique dans ses journaux, peinture de 1' âme féminine et de l'amour dans ses réflexions psychologiques et morales, réflexion de l'auteur sur son art, création de moyens d'expression plus personnels, mieux adaptés à sa liberté d'invention et, enfin, conception et élaboration d'un théâtre poétique et psychologique.

Son œuvre reflète une vaste culture littéraire.

Ses lec­ tures s'étendent de Molière, Corneille, Racine (lus et relus) aux poètes antiques, d'Homère à Lucain, aux dra­ maturges de la Restauration anglaise, à Milton, au Tasse, à Sorel, à Dufresny, à Regnard.

Même de petites comé­ dies sans intérêt des années 1725 ou 1733, des récits découverts dans des journaux français ou hollandais lui inspirent des trouvailles littéraires et des réussites théâtrales.

L'étude du cœur humain C'est dans les vingt années qui vont suivre que se situe la période la plus féconde de Marivaux :il s'attache à la création de plusieurs œuvres conjointement -ce qui rend difficile l'établissement de dates précises concernant la mise en chantier, la rédaction et l'a chève­ ment de chacune.

Celles-ci se situent dans le domaine du journalisme, dans celui du roman et dans celui du théâtre.

Le journalisme, chez Marivaux, prend une forme par­ ticulière : le Spectateur français (1717-1734 ), l'Indigent philosophe (1727) et le Cabinet du philosophe ( 1734 ) expriment les réflexions morales de l'aut eur, lesquelles feront également l'objet des articles publiés par Mari­ vaux dans le Nouveau Mercure.

L'observation, la réflexion, l'analyse psychologique et morale trouvent également leur place dans ses romans.

Marivaux passera plusieurs années à écrire la Vie de Marianne : la rédaction et la publication de cette œuvre s'étendent sur plus de dix ans (1731-17 41).

Ce roman «d e sentiment >>, dont la nouveauté et l'originalité furent mal senties, peu remarquées et peu comprises à l'époque, unit au romanesque un réalisme poétique.

Dans le Paysan parvenu, qui fut d'une rédaction plus rapide ( 17 34 -1735), l'auteur laisse libre cours à sa veine satiri­ que.

Les thèmes développés dans ces deux romans rap­ pellent certains sujets de ses œuvres de jeunesse.

Les personnages et les situations des Effets surprenants de la sym pathie ébauchent le romanesque de la Vie de Marianne; les expériences burlesques ou picaresques auxquelles donnèrent lieu des romans comme le Téléma­ que travesti ou comme Pharsamon ne furent pas sans influence sur la conception du Paysan parvenu, dans lequel Marivaux s'efforce de retenir, avec le plus de précision possible, la réalité des êtres et des sentiments.

Les tentatives théâtrales de Marivaux furent assez rapidement couronnées de succès.

Arlequin poli par l'amour fut merveilleusement bien joué par les Comé­ diens-italiens qui avaient été rappelés, à peine cinq ans auparavant, par le Régent.

Ils avaient ainsi eu le temps de s'accoutumer au public français, tout en pratiquant un art fondé sur une excellente formation d'acteur, de chanteur et même d'acrobate due à la tradition de la commedia dell'arte.

L'univers raffiné et spirituel des pièces de Marivaux leur fit découvrir un théâtre entière­ ment nouveau et pourtant à leur mesure.

La collaboration de Marivaux et des Comédiens-italien s fut, dès lors, féconde : l'un apportait la poésie, l'originalité, la nou­ veauté psychologique et dramatique des situations et des caractères; les autres, la fantaisie, la gaieté, le mouve­ ment, une vive sensibilité, la mimique, le geste.

Les Italiens étaient aussi en me ure de faire deviner et de suggérer des sentiments, de créer une atmosphère de féerie, de donner vie et expression à des situations que la psychologie seule reliait à des réalités contempor aines.

Sensible au jeu de ces excellents acteurs, Marivaux découvrit progressivement des possibilités théâtrales nouvelles, insoupçonnées.

Il écrivit ses rôles pour des interprètes précis (Gianetta Benozzi, dite Silvia, ou Tho­ massin), respectant leur personnalité et leur faisant découvrir des aspects de leur talent qu'ils ignoraient peut-être eux-mêmes.

Ces rôles leur convenaient à tel point que le public en arrivait à confondre l'interprète avec son personnage sur scène.

Cette période d'intense création fut aussi une période de rencontres, d'amitiés.

Mm• de Lambert, Mme de Ten­ cin, qui contribua à le faire élire à l'Académie française, Fontenelle, Crébillon père, témoin à son mariage avec Colombe Bollogne, furent de ses amis.

En 1742, il prêta son concours à Jean-Jacques Rousseau, qu'il aida à revoir une pièce, Narcisse.

Mais ses succès lui valurent aussi de nombreux enne­ mis, dont la malveillance et les méchancetés se reflètent dans certains jugements portés sur son œuvre, jugements qui furent repris et répétés longtemps encore après la disparition de Marivaux.

L'académicien É lu à l'Académie le 10 décembre 1742, Marivaux fit, le 4 février 1743, son discours de réception.

Insolite et original, celui-ci fut très différent de ceux qui l'avaient précédé.

Marivaux y remarquait (bien avant Rivarol) le. »

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