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Discours de Clemenceau sur le régime parlementaire

Publié le 14/04/2013

Extrait du document

discours

 (1888)

Le 4 juin 1888, en pleine campagne législative et à l’heure où le boulangisme devient une force politique puissante et redoutable, Georges Clemenceau s’adresse aux députés. Succédant à la tribune de l’hémicycle au général Boulanger lui-même (qui vient de défendre la révision constitutionnelle), il prononce un éloge du régime parlementaire au cours duquel, convoquant un siècle d’histoire révolutionnaire et républicaine, il justifie la nécessité de faire front à l’antiparlementarisme des courants nationalistes qui font alors florès et menacent la stabilité de la IIIe République.

Éloge du parlementarisme par Georges Clemenceau

 

[…]

 

 

Qu’y a-t-il dans ce document ? J’en retiens deux idées : la politique de parti a fait son temps, il faut un régime nouveau ; et le parlementarisme doit disparaître de la république nouvelle.

 

 

Eh bien, je le dis très haut : je suis pour la politique de parti et, en le disant, je ne fais que reprendre une vieille parole de Gambetta qui disait : « On ne gouverne qu’avec son parti. «

 

 

Pour l’orateur qui a parlé tout à l’heure, qu’est-ce qu’un parti ? C’est un groupement d’intérêts. Il ignore apparemment, lui qui essaye de faire un parti, que c’est d’abord un groupement d’idées, que c’est là ce qui, dans tous les pays du monde, constitue un parti, que c’est là sa raison d’être, sa force, ce qui l’ennoblit, ce qui lui donne l’action, la vie. Je ne sais pas où l’orateur a pris le droit de faire la leçon à tous les partis. S’il en médit, c’est qu’il ignore leurs causes profondes.

 

 

Lisez l’histoire de la France depuis la Révolution française, et vous verrez que le parti royaliste, que le bonapartisme lui-même, et en tout cas le parti républicain, ont chacun leurs traditions et leurs titres dont ils peuvent se réclamer. Vous croyez qu’ils peuvent disparaître à votre voix : à eux de dire s’ils peuvent renoncer ainsi à leurs traditions, à leur histoire. Le voulussent-ils, ils ne le pourraient pas, et il me sera permis de dire qu’il faut que le parti royaliste ne se sente guère de fierté au cœur pour adhérer à la déclaration que nous avons entendue tout à l’heure.

 

 

[…]

 

 

Tous ici nous revendiquons la même solidarité républicaine. Nous sommes solidaires et des grandes œuvres qui ont fait la gloire de nos aînés, et des fautes qui ont pu être commises soit dans d’autres temps, soit à une époque plus récente. Quoique certains d’entre nous aient pu faire pour déconseiller certaines fautes, notre parti, il faut le reconnaître, en porte la responsabilité devant le pays.

 

 

Mais nous revendiquons en même temps les traditions glorieuses qui sont les nôtres et qui compensent amplement les fautes inévitables. Et, quand on vient dire : Parti monarchiste rentrez dans la poussière ! Parti bonapartiste, oubliez votre histoire ! Parti républicain, disparaissez ! Disparaissez tous ceux qui depuis un siècle ont tout sacrifié à la cause de la démocratie, ont héroïquement servi la cause populaire, tous ceux qui ont souffert, qui ont été frappés, exilés, tous ceux qui sont morts pour la République, disparaissez, rentrez dans le néant. Vous ne représentez plus rien ! Voici venir un homme en qui vous allez tous vous confondre. Le parti royaliste ! Ce mot n’a plus de sens. Le parti bonapartiste ! Un mot. Le parti républicain, que vient-il nous parler de son histoire, nous parler de ses longues et glorieuses luttes en faveur des opprimés, des principes qui sont son honneur ? Tout cela a fini son temps.

 

 

Nous répondons : Pas encore. Nous, nous sommes de notre parti, nous voulons en être encore. Nous sommes du parti de la démocratie, et nous qui avons été successivement vaincus et victorieux avec lui, nous ne l’abandonnerons jamais ! […]

 

 

Oui ! Gloire aux pays où l’on parle, honte aux pays où l’on se tait. Si c’est le régime de discussion que vous croyez flétrir sous le nom de parlementarisme, sachez-le, c’est le régime représentatif lui-même, c’est la République sur qui vous osez porter la main.

 

 

En ce qui nous concerne, nous ne pouvons pas le permettre. Nous sommes, nous, des républicains, nous acceptons la République, la liberté de la parole ici et ailleurs avec tous ses avantages, avec ses périls ; nous la réclamons, nous la défendrons.

 

 

Nous avons commis des fautes, le pays nous en a avertis, nous acceptons ses leçons, nous en profiterons, nous tâcherons de mieux faire, et nous saurons sacrifier nos préventions plus ou moins fondées à l’intérêt de la patrie, à la cause de la République. Loin que notre parti disparaisse, il deviendra plus cohérent, plus fort : groupons-nous autour du drapeau qui est si bien tenu par M. le Président du Conseil. Oui ! nous nous rangerons autour de lui et quand on nous verra tous ainsi unis dans une pensée commune, dans un effort commun pour le bien du pays, personne en France, personne en Europe ne sera tenté de se demander, comme vous l’avez fait tout à l’heure, sans penser à ceux qui se réjouiraient de votre parole, s’il y a en France un gouvernement fixe et régulier.

 

 

Source : Journal Officiel, Débats parlementaires, Chambre des députés, discours de Georges Clemenceau, 4 juin 1888.

 

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