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L'apparence est-elle mensonge ?

Publié le 23/03/2011

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mensonge

   La question est classique et ne devrait en aucun cas surprendre des élèves de la section A. C'est d'ailleurs bien là que réside la difficulté du sujet. En effet, il y a une très grande différence entre le fait d'avoir entendu parler de cette question et celui de savoir de quoi il est question. Dans le premier cas, hélas le plus fréquent, la copie a fort peu de chances de dépasser le stade des banalités et des à-peu-près. C'est même l'exemple type du sujet où la pensée, pour reprendre une expression de Jean Beaufret qui plaisait beaucoup à Merleau-Ponty, devient «ventriloque«. Nous choisirons donc la seconde hypothèse en précisant que c'est de l'apparence, et non du couple vérité-mensonge, qu'il s'agit en premier lieu. L'introduction pourra faire écho à ce que l'on dit d'habitude de l'apparence en cherchant aussitôt à savoir d'où vient cette défiance qui l'entoure.

mensonge

« propos du terme allemand forgé par Heidegger pour correspondre au grec aléthéïa : Unverborgenheit.

La vérité estinterprétée comme exactitude, justesse, rectitude.

Dès lors le contraire tfaléthéïa devient pseudos : le faux.

Dire lavérité va désormais consister à redresser ce qui a été tordu (cf.

le verbe grec pseudesthaï : distordre) par l'erreur.A ce qui est vraiment s'oppose l'apparence.

Ainsi s'ouvre pour la métaphysique une longue suite d'oppositions et decouples de contraires, suite dont nous subissons encore aujourd'hui les effets.

Ajoutons que le christianisme «popularise » en même temps qu'il la récupère à son profit la dichotomie platonicienne entre un monde sensible desapparences (l''ici-bas) et un monde intelligible de la vérité (le là-bas). Résumons avec Heidegger ce que nous avons déjà appris : « Ce n'est que dans la sophistique et chez Platon quel'apparence est déclarée trompeuse et, comme telle, abaissée.

Du même coup l'être est élevé, comme idéa (idée),en un lieu suprasensible.

La cassure (chôrismos) est marquée entre l'étant purement apparent ici-bas, et l'être réelquelque part là-haut ; c'est dans cet intervalle que s'installera plus tard la doctrine du christianisme, qui en mêmetemps, selon un changement de perspective, interprétera l'inférieur comme le créé, et le supérieur comme leCréateur ; et c'est avec les armes de l'antiquité ainsi refondues que le christianisme se fera contre celle-ci (conçuecomme paganisme), et de cette façon la dissimulera.

Nietzsche a donc raison de dire : « le christianisme est unplatonisme pour le peuple » (Heidegger, Introduction à la Métaphysique, Gallimard, p.

114). Mais d'où parle donc Nietzsche que vient de citer Heidegger ? Il parle au terme d'une histoire qui.

est notre histoire.Il s'agit selon lui de « l'histoire d'une erreur » qui raconte « comment le monde-vérité devient enfin une fable » (LeCrépuscule des Idoles).

Cette histoire débute précisément par la cassure entre un monde sensible et un mondeintelligible.

Au début la cassure est nette, brillante.

Les choses vont peu à peu s'obscurcir jusqu'à l'époque deNietzsche, jusqu'à l'époque aussi où se développe celui qui n'entend pas les paroles de Nietzsche, qui ne peut plusles entendre, qui se contente de « cligner de l'œil » : « le dernier homme » (cf.

le prologue d'Ainsi parlaitZarathoustra).

Qu'arrive-t-il au terme de l'histoire? «Le «monde-vérité», nous l'avons aboli.

Quel monde nous estresté ? Le monde des apparences peut-être ? Mais non ! avec le monde-vérité nous avons aussi aboli le monde desapparences ! » (Nietzsche, Le Crépuscule des Idoles).

Cette remarque paraît, justement, singulière, étrange.

Maisavant de s'insurger en taxant, pourquoi pas, Nietzsche de folie ou bien, ce qui revient au même, de crier au génie ense dispensant également de penser, considérons attentivement cette parole.

Si le monde des apparences n'est quel'imitation du monde-vérité, nous comprenons qu'ayant aboli l'un, Nietzsche ait aboli l'autre.

Mais que reste-t-il donc ? Le monde, à la fois un et multiple, de l'apparence conçuecomme l'éclat même de la vérité.

La réponse, avouons-le, a de quoi surprendre et irriter.

Là encore, il faut êtreattentif et se demander ce qui rend possible une telle réponse.

Nietzsche, lorsqu'il était professeur de philologie,donnait aux étudiants le conseil suivant : « prenez votre langue au sérieux ! » (Sur l'avenir de nos établissementsd'enseignement).

Suivons son conseil, ou plutôt appliquons le non à notre langue (le français) mais à la sienne et àcelle de ses étudiants (l'allemand).

Nous constatons alors que le mot Schein (apparence) est fort ambigu.L'ambiguïté n'est pas tant un indice de confusion qu'un signe de richesse.

La richesse est ici celle d'un mot qui dittout aussi bien l'apparence au sens du semblant que le pur éclat.

Examinons d'un peu plus près ce point. Prenons les exemples qu'analyse Heidegger dans Introduction à la Métaphysique.

L'auréole des saints (Heiligen-schein) manifeste la sainteté dans toute sa splendeur, mais il existe aussi des gens qui ont l'air de saints(Scheinheilige) en menant en réalité une existence qui est bien loin d'être sainte.

Tout aussi ambigu que l'allemandSchein, ou d'ailleurs que le français apparence, est le grec doxa qui désigne soit l'opinion soit la gloire.

Pour enrevenir au concept d'apparence (Schein), nous pouvons remarquer avec Heidegger qu'il possède une triplesignification.

ïl signifie d'abord l'éclat, ensuite l'apparaître, enfin la pure et simple apparence au sens de semblant.

Laseconde signification s'applique au premier et au troisième cas.

Ainsi, « das Wesen des Scheines liegt im Erscheinen» (« l'essence de l'apparence réside dans l'apparaître ») (ibid., p.

109).

Lorsque par une belle journée d'été le soleilbrille, je ne vais pas trop m'exposer à sa lumière si j'ai une peau fragile car je sais bien qu'il ne fait nullementsemblant de briller.

Sonnenschein indique la luminosité ou l'éclat du soleil.

Dire que le soleil brille, c'est dire qu'il y adu soleil.

Apparaître ici c'est être.

Pour Nietzsche le mensonge ce n'est pas l'apparence au sens de l'éclat, c'estl'opposition d'un monde-vérité ou monde de l'être et d'un monde de l'erreur ou du mensonge qui serait celui desapparences comprises comme des semblants.

Abolir et le monde-vérité et le monde des apparences au sens faible,c'est donner à l'homme la possibilité de s'ouvrir au monde resplendissant de l'apparence entendue comme l'éclatmême de l'être.

Par-delà vrai (être) et faux (apparence), par-delà bien et mal, par-delà intelligible et sensible,l'homme se confie aux apparences qui sont les multiples perspectives de la même vérité.

Il joue alors le « jeu dumonde » : « Le jeu du monde, impérieux, mêle être (Sein) et apparence Schein » (Nietzsche, Appendice du Gai Savoir). Ainsi, l'apparence n'est mensonge ou du moins ne peut le devenir qu'au sein d'une pensée qui oppose ce qui est à cequi apparaît.

Mais elle est aussi l'apparaître même de la vérité.

Examiner cela reviendrait à étudier la notion dephénomène telle qu'elle traverse l'histoire de la pensée occidentale des Grecs jusqu'à nous.

Semblable étude estbien sûr impossible à mener ici mais nous pouvons néanmoins indiquer qu'entre le regard de la pensée chezHeidegger, le pur regard phénoménologique, et le regard de la poésie qui selon le mot même de Paul Eluard « donneà voir », il existe une profonde relation.

En prenant en garde la phénoménologie — le dire des phénomènes —,Heidegger se montre fidèle à la maxime « droit à la chose même ».

C'est alors seulement que peut s'esquisser ledialogue avec les poètes, ces amoureux de l'apparence qui ne cessent de dire la vérité en montrant la chose telle. »

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