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Victor HUGO: Jeunes gens, prenez garde aux choses que vous dites

Publié le 17/01/2022

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Jeunes gens, prenez garde aux choses que vous dites. Tout peut sortir d'un mot qu'en passant vous perdîtes. Tout, la haine et le deuil ! - Et ne m'objectez pas Que vos amis sont sûrs et que vous parlez bas... - Ecoutez bien ceci : Tête-à-tête, en pantoufle, Portes closes, chez vous, sans un témoin qui souffle, Vous dites à l'oreille au plus mystérieux De vos amis de coeur, ou, si vous l'aimez mieux, Vous murmurez tout seul, croyant presque vous taire, Dans le fond d'une cave à trente pieds sous terre, Un mot désagréable à quelque individu ; Ce mot que vous croyez que l'on n'a pas entendu, Que vous disiez si bas dans un lieu sourd et sombre, Court à peine lâché, part, bondit, sort de l'ombre ! Tenez, il est dehors ! Il connaît son chemin. Il marche, il a deux pieds, un bâton à la main, De bons souliers ferrés, un passeport en règle ; - Au besoin, il prendrait des ailes, comme l'aigle ! - Il vous échappe, il fuit, rien ne l'arrêtera. Il suit le quai, franchit la place, et caetera, Passe l'eau sans bateau dans la saison des crues, Et va, tout à travers un dédale de rues, Droit chez l'individu dont vous avez parlé. Il sait le numéro, l'étage ; il a la clé, Il monte l'escalier, ouvre la porte, passe, Entre, arrive, et, railleur, regardant l'homme en face, Dit : - Me voilà ! je sors de la bouche d'un tel. - Et c'est fait. Vous avez un ennemi mortel.

 

 

 

Ce poème est extrait de Toute la Lyre, recueil publié en 1888, trois ans après la mort de Victor Hugo. La lyre, petite harpe à sept cordes, est l'instrument traditionnellement attribué à la muse de la poésie.

Ce recueil posthume est composé de textes écrits pour la plu-part pendant l'exil anglo-normand. Il est divisé en huit parties, correspondant à sept « cordes «, c'est-à-dire sept sources d'ins-piration (que l'on peut identifier comme l'Humanité, la Nature, la Sagesse, l'Art, le Poète, l'Amour et la Fantaisie), plus une « corde d'airain « correspondant à des poèmes sur la guerre et les questions sociales. Le poème que nous étudions est extrait de la troisième partie.

Lorsqu'il écrit ce texte, Victor Hugo a environ soixante ans, âge qui lui donne quelque droit à faire valoir son expérience. Il composera d'ailleurs sur ce thème plusieurs poèmes (non publiés de son vivant), prodiguant aux « jeunes gens «, sur un ton tour à tour grave, enflammé, ironique ou complice, des conseils sur la façon de mener leur vie.

 

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« que davantage la virtuosité de Hugo, qui réussit avec ces alexandrins à peindre un tableau d'une extraordinairevivacité.

On peut citer à ce propos le jugement de l'écrivain Barbey d'Aurevilly, pourtant adversaire déclaré du poète: « M.

Victor Hugo est le génie de l'arabesque poétique.

Il fait de son vers ce qui lui plaît.

Il en joue comme [...] j'aivu jouer du tambour de basque à une bohémienne...

» Le poème, dont le but avoué est de convaincre un auditoire, est structuré suivant les règles classiques de larhétorique.

Débutant par une apostrophe, il annonce immédiatement sa « morale » (vers 1-3).

Cette première partiedu discours, appelée exorde, est destinée à rendre le public attentif. Les deux vers suivants constituent une transition, permettant d'amener la seconde partie, appelée exposition ounarration.

Celle-ci est elle-même partagée en deux temps.

Le premier (vers 5-13) propose les conditions extrêmesd'une confidence imaginaire, le second (vers 14-27) décrit la course irrésistible du mot personnifié. Enfin le dernier vers, mis en relief par un saut de ligne, vient conclure l'exposé et ainsi confirmer l'avertissementdonné en introduction en s'achevant sur un mot lourd de menaces... ÉTUDE SUIVIE Ayant identifié les grandes articulations du poème, nous nous proposons d'en faire une étude rapide afin de dégagerles principaux thèmes, ce qui nous permettra de rédiger un commentaire composé de l'oeuvre. Première partie: vers 1-3 Le premier vers sonne comme une morale, un avertissement prononcé avec une certaine solennité.

On remarque enparticulier l'apostrophe « Jeunes gens ».

Celle-ci suggère que celui qui parle n'est plus lui-même un jeune homme, et indique de sa part une certaine implication. Cette impression se confirme avec les deux vers suivants.

Ils précisent l'avertissement, en lui donnant un caractèredramatique qu'accentuent la répétition du mot « Tout », la force des termes employés (« la haine et le deuil ») et le point d'exclamation ponctuant l'affirmation. On remarque aussi l'opposition entre l'importance du risque couru (« Tout peut sortir ») et les mots évoquant l'imprudente négligence de la jeunesse (« en passant », «perdre »).

Quand on est jeune, semble dire Hugo, on peut perdre un mot comme on perd un mouchoir... Il s'agit donc d'un conseil d'autant plus important que ses destinataires sont insouciants. Transition: vers 3-5 A cette insouciance, Hugo répond d'avance : «Et ne m'objectez pas [...] » On reconnaît ici une figure de style consistant à faire mine de devancer un argument.

Cette figure, appelée prolepse, permet de diriger l'auditoire dans le sens voulu tout en paraissant établir avec lui une certaine connivence. Cette connivence est également manifestée par la présence directe de l'auteur dans la formule « ne m'objectez pas ».

Elle est encore accrue par la répétition des « vos» et des « vous », qui semble prendre en compte l'intérêt de l'auditeur ; et par la formule « Écoutez bien ceci », qui introduit un ton de confidence. Ayant ainsi ménagé la transition avec son conseil magistral, Hugo peut introduire la description qui illustrera sonpropos.

On note l'effet typographique : une ligne sautée souligne le changement de registre. Une confidence imaginaire: vers 5-11 Cette partie frappe par son caractère exagéré.

Victor Hugo, pour donner toute sa force à la démonstration,accumule les hyperboles et les superlatifs : «sans un témoin », « au plus mystérieux », « croyant presque vous taire », « trente pieds »...

On note aussi la fréquence des termes suggérant le secret et le chuchotement : «Portes closes », « souffle », « à l'oreille », « mystérieux » (mis ici pour « discret »), « murmurez », « taire ».

L'objectif est bien sûr de souligner la dissimulation extrême dont fait l'objet le « mot désagréable ». Soulignons aussi la succession rapide des expressions placées entre virgules (vers 5-6) qui traduisent, par leurrythme et l'absence de tout mot de liaison, l'accumulation des précautions prises. A remarquer, la concession apparente manifestée, au vers 8, par l'expression «si vous l'aimez mieux ».

Il s'agit là encore d'un artifice de style, comparable à la prolepse du vers 3 et remplissant une fonction similaire.

Hugo, faisant mine de corriger son propos pour prendre en compte une objection, renforce ainsi à la fois sa démonstration et saconnivence avec l'auditoire.

Cette figure de style, en rhétorique, est appelée épanorthose. Le passage est ainsi constitué de deux sous-parties (confidence à tut ami, propos tenu seul dans une cave)correspondant aux deux « objections » du vers 4. Enfin, on note le caractère relativement anodin des termes employés au vers 11.

« Un mot » semble peu de chose, « désagréable » n'est pas très fort et ne mérite guère de provoquer la haine, « à quelque individu » est une. »

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