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L'île de Robinson: Hegel, Discours du 29 septembre 1809, Textes pédagogiques, réunis et traduits par B. Bourgeois.

Publié le 19/03/2015

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hegel

L'île de Robinson

Ce qui est étranger, ce qui est lointain, renferme un intérêt dont l'attrait nous incite

à nous occuper et à nous mettre en peine de lui, et ce qui est désirable est inversement

proportionnel à la proximité dans laquelle il se tient et qui le relie à nous. La

jeunesse se représente comme une chance de quitter son chez-soi et d'habiter, avec

Robinson, une île lointaine. C'est une illusion nécessaire, de devoir chercher ce qui

a de la profondeur, d'abord, dans la figure de l'éloignement; mais la profondeur et

la force que nous obtenons ne peuvent être mesurées que par l'étendue avec

laquelle nous avons fui le centre où nous nous trouvions d'abord absorbés et vers

lequel nous tendons à retourner.

C'est bien sur cette tendance centrifuge de l'âme que se fonde, en somme, la

nécessité d'offrir à celle-ci même la scission qu'elle recherche d'avec son essence

et d'introduire dans le jeune esprit un monde éloigné, étranger.

Hegel, Discours du 29 septembre 1809,

Textes pédagogiques, réunis et traduits par B. Bourgeois.

hegel

« L'île de Robinson 47 L'humanité nue, ou presque, se raconte l'histoire de son recommencement.

Robinson sera seul d'abord.

Mais cette solitude est toute relative, puisqu'il porte avec lui l'acquis de toute une civilisa­ tion, qui fit de lui un homme.

Savoirs et savoir-faire, croyances et sensibilité, langage et vision du monde, habitent son regard et pèsent dans ses gestes.

La vie réinventée sera donc encore héritage, mais elle fera retour à la construction exemplaire d'un univers.

Tour à tour chasseur et cultivateur, éleveur et jar­ dinier, tisserand et menuisier, maçon et vannier, Robinson se démultiplie et vit la division du travail.

L'île devient sienne, par cette appropriation active qui en fait une demeure humaine.

Du désert initial surgit un nouveau cadre familier.

L'île se rêve et se réinvente.

Rousseau, en écrivant l' Émile, a voulu voir dans Robinson une figure exemplaire, notamment sur le plan de l'éducation.

La fiction d'un recommencement absolu serait bien sûr naïve, et dépourvue de crédibilité.

Robinson recrée les conditions d'une existence humaine, mais la vie sociale antérieure à son naufrage ne peut être oubliée.

L'histoire de son rapport pratique aux choses met sous les yeux une sorte de genèse idéale des valeurs et des critères de juge­ ment.

Elle met à nu les préjugés ordinaires, qui sont davantage des habitudes mentales que d'authentiques jugements.

Rous­ seau en apprécie ainsi la portée : «Cet état n'est pas,j'en con­ viens, celui d_e l'homme social ; vraisemblablement il ne doit pas être celui d'Emile; mais c'est sur ce même état qu'il doit appré­ cier tous les autres.

Le plus sûr moyen de s'élever au-dessus des préjugés et d'ordonner ses jugements sur les vrais rapports des choses, est de se mettre à la place d'un homme isolé, et de juger de tout comme cet homme en doit juger lui-même, eu égard à sa propre utilité » (Émile, ou de l'éducation, III).

La démarche d'identification imaginaire à Robinson est bien celle d'un décentrement, qui assigne les limites de l'heure ou du lieu.

Elle permet par exemple de reconsidérer la valeur réelle des travaux et des métiers : « il y a une estime publique attachée aux diffé­ rents arts en raison inverse de leur utilité réelle [ ...

].

Robinson eût fait beaucoup plus de cas de la boutique d'un taillandier que de tous les colifichets de Saïde.

Le premier lui eût paru un homme très respectable, et l'autre un petit charlatan » (ibid.).

L'île rêvée, ou inventée par l'idéal, peut être si lointaine qu'elle n'est nulle part.

Utopie : lieu sans lieu réel, car la mesure des exigences idéales dépasse toute réalité donnée.. »

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