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Adorno: Qu'est-ce qu'une opinion ?

Publié le 27/02/2008

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Avoir une opinion, c'est affirmer, même de façon sommaire, la validité d'une conscience subjective limitée dans son contenu de vérité. La manière dont se présente une telle opinion peut être vraiment anodine. Lorsque quelqu'un dit qu'à son avis, le nouveau bâtiment de la faculté a sept étages, cela peut vouloir dire qu'il a appris cela d'un tiers, mais qu'il ne le sait pas exactement. Mais le sens est tout différent lorsque quelqu'un déclare qu'il est d'avis quant à lui que les Juifs sont une race inférieure de parasites, (...). Dans ce cas, le « je suis d'avis » ne restreint pas le jugement hypothétique, mais le souligne. Lorsqu'un tel individu proclame comme sienne une opinion aussi rapide, sans pertinence, que n'étaye aucune expérience, ni aucune réflexion, il lui confère - même s'il la limite apparemment - et par le fait qu'il la réfère à lui-même en tant que sujet, une autorité qui est celle de la profession de foi. Et ce qui transparaît, c'est qu'il s'implique corps et âme ; il aurait donc le courage de ses opinions, le courage de dire des choses déplaisantes qui ne plaisent en vérité que trop. Inversement, quand on a affaire à un jugement fondé et pertinent mais qui dérange, et qu'on n'est pas en mesure de réfuter, la tendance est tout aussi répandue à le discréditer en le présentant comme une simple opinion. (...) L'opinion s'approprie ce que la connaissance ne peut atteindre pour s'y substituer. Elle élimine de façon trompeuse le fossé entre le sujet connaissant et la réalité qui lui échappe. Et l'aliénation se révèle d'elle-même dans cette inadéquation de la simple opinion. (...) C'est pourquoi il ne suffit ni à la connaissance ni à une pratique visant à la transformation sociale de souligner le non-sens d'opinions d'une banalité indicible, qui font que les hommes se soumettent à des études caractériologiques et à des pronostics qu'une astrologie standardisée et commercialement de nouveau rentable rattache aux signes du zodiaque. Les hommes ne se ressentent pas Taureau ou Vierge parce qu'ils sont bêtes au point d'obéir aux injonctions des journaux qui sous-entendent qu'il est tout naturel que cela signifie quelque chose, mais parce que ces clichés et les directives stupides pour un art de vivre qui se contentent de recommander ce qu'ils doivent faire de toute façon, leur facilitent - même si ce n'est qu'une apparence - les choix à faire et apaisent momentanément leur sentiment d'être étrangers à la vie, voire étrangers à leur propre vie. La force de résistance de l'opinion pure et simple s'explique par son fonctionnement psychique. Elle offre des explications grâce auxquelles on peut organiser sans contradictions la réalité contradictoire, sans faire de grands effort. A cela s'ajoute la satisfaction narcissique que procure l'opinion passe-partout, en renforçant ses adeptes dans leur sentiment d'avoir toujours su de quoi il retourne et de faire partie de ceux qui savent. ADORNO

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Ce texte d’Adorno est sous-tendu par le terme d’opinion qu’il s’agit ici de définir. On a traditionnellement défini l’opinion comme une proposition énoncée sans être fondée en raison. En cela, une opinion peut êtrevraie mais elle ne le sera qu’accidentellement, au sens où dire une opinion revient à émettre une proposition dont on ne peut pas prouver la validité.

 

Adorno donne dans ce texte une vision différente de l’opinion. Ce qui caractérise l’opinion, c’est d’après lui d’être avant tout une affirmation, où le sujet prétend effacer la distance qui le sépare de la réalité qu’il prétend énoncer. Dans l’opinion, nous assistons plus qu’à une simple énonciation. L’opinion implique un engagement du sujet, engagement qui prétend couvrir l’inadéquation ente ce que j’énonce et ce qui est effectivement. L’opinion prétend donc être connaissance, en elle le « je suis d’avis « n’est plus tant une réserve qu’un acte d’autorité.

« Cela conduit Adorno à définir l'opinion comme ce par quoi le sujet gomme la distance entre ce qu'il dit et ce qui est.Plus cette distance est grande, plus l'affirmation sera sensible, plus l'engagement prendra la forme de la professionde foi.

Notons que l'expression profession de foi renvoie au vocabulaire religieux. De là Adorno voit dans l'opinion une source d'aliénation, qu'il explicite à travers l'exemple de l'astrologie. Cette aliénation qui pousse le sujet à adhérer à un jugement commun se justifie dans la nécessité humaine d'oublierla distance critique et douloureuse qui sépare l'homme de la vérité.

Pour vivre au quotidien, l'homme a besoin deschèmes explicatifs comme ceux de l'astrologie.

L'astrologie donne en effet un schème d'explication qui donnel'impression à l'homme de comprendre le cours contradictoire de son existence.

Notons ici que cet exemple n'est pasanodin.

Dans l'astrologie, mon existence est expliquée sous le signe d'un destin.

Je suis déterminé non pas par moi-même mais par la conjonction de certains astres.

Dans le cas de l'astrologie, l'opinion est d'autant plus aliénantequ'elle me propose une explication où le sujet n'est plus maître de son existence.

À la dispense de penser soi-mêmeen individu critique s'ajoute ici la dispense de mener soi-même sa vie, à travers un fatalisme dangereux. Cet exemple conduit l'auteur à établir que l'opinion n'est pas tellement définissable par sa vérité ou sa fausseté.L'opinion et plutôt un phénomène psychique, dans la mesure où elle rassure l'homme en lui donnant l'impression desavoir.

Cet aspect psychique est ce qui explique la prégnance de l'opinion chez l'homme, ce qu'elle a pour luid'apparemment nécessaire et, parallèlement, de dangereux. Une lecture critique de ce texte pourrait être proposée.

En effet, il est possible d'imaginer une opinion qui s'affirmeen tant que telle, qui se sait opinion et ne prétend pas se poser comme savoir.

Toute opinion se définit-elle en effetpar l'affirmation ? Toute opinion est-elle comparable à la croyance, qui prétend être connaissance et qui perd ladistance critique nécessaire à toute énonciation qui vise le vrai ? On peut au contraire affirmer que l'opinion peutêtre consciente de son absence de fondement et qu'elle a en cela un rôle opérateur très grand dans la philosophie. Peut-être l'opinion est-elle comparable à l'hypothèse de laquelle part un raisonnement.

Aristote part ainsi souventde l'opinion, commue, la passe au crible du raisonnement.

Certes, Adorno aurait peut-être raison, dans le sens où seservir de l'opinion ainsi c'est finalement gommer en elle ce qu'elle a d'engagé, et ce qui la distingue justement del'hypothèse.

Cependant, l'utilisation par Aristote de l'opinion dans le raisonnement philosophique tend bien à montrerque l'opinion n'est pas nécessairement liée à l'aliénation, et peut-être orientée, une fois consciente d'ell-meêz dansun sens scientifique et philosophique. Sur cette question de l'aliénation, une autre critique serait possible.

En effet, ne peut-on pas concilier la nécessitéd'une conscience critique et celle pour l'homme de vivre sans toujours s'attarder rationnellement sur ce qu'il dit oufait ? Descartes, qui porte pourtant la critique de l'opinion extrêmement loin, affirme bien que dans la viequotidienne, il doit adopter une morale par provision, c'est-à-dire la morale de la société dans laquelle il vit.

Sanscela, sa position toujours critique l'empêcherait de vivre.

Il n'est pourtant pas sûr que cette concession soit ici unealiénation, dans la mesure où Descartes est ici conscient de cette concession, qu'il choisit lui-même de la faire. Il s'agirait donc de nuancer le propos d'Adorno.

L'opinion n'est source d'aliénation que lorsqu'elle oublie qu'elle esttelle, et qu'elle oublie qu'elle est une concession pour faciliter l'existence.

L'aspect affirmatif de l'opinion expliquecertes sa prégnance dans la société, il ne suffit pourtant pas à la condamner intégralement.. »

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