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Alain: Conscience et sommeil

Publié le 27/02/2008

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alain
Dans le sommeil, je suis tout ; mais je n'en sais rien. La conscience suppose réflexion et division. La conscience n'est pas immédiate. Je pense, et puis je pense que je pense, par quoi je distingue Sujet et Objet, Moi et le monde. Moi et ma sensation. Moi et mon sentiment. Moi et mon idée. C'est bien le pouvoir de douter qui est la vie du Moi. Par ce mouvement, tous les instants tombent au passé. Si l'on se retrouvait tout entier, c'est alors qu'on ne se reconnaîtrait pas. Le passé est insuffisant, dépassé. Je ne suis plus cet enfant, cet ignorant, ce naïf. A ce moment-là même j'étais autre chose, en espérance, en avenir. La conscience de soi est la conscience d'un devenir et d'une formation de soi irréversible, irréparable. Ce que je voulais, je le suis devenu. Voilà le lien entre le passé et le présent, pour le mal comme pour le bien. Ainsi le moi est un refus d'être moi, qui en même temps conserve les moments dépassés. Se souvenir, c'est sauver ses souvenirs, c'est se témoigner qu'on les a dépassés. C'est les juger. Le passé, ce sont des expériences que je ne ferai plus. Un artiste reconnaît dans ses oeuvres qu'il ne s'était pas encore trouvé lui-même, qu'il ne s'était pas encore délivré ; mais il y retrouve aussi un pressentiment de ce qui a suivi. C'est cet élan qui ordonne les souvenirs selon le temps. ALAIN.

Qui dit "je" quand je dis je dis "je" ? Cette question semble stupide tant il parait évident que c'est moi. Mais qui suis-je moi qui pense? Un être dont l'essence est de penser dira Descartes. Mais qu'est-ce à dire? Toute question sur le sujet que je suis apparaît en même temps absolument simple et impossible puisque la définition semble se résoudre abruptement en tautologie. Cette question de l'essence de la conscience, de l'essence du sujet pensant, Alain l'aborde de front sans se dérober à la difficulté dans ce texte qui parait simple mais dont la technicité métaphysique est réelle.

Dès que l'on fait de la pensée, de l'activité de la conscience le propre de l'homme, il n'est pas possible de ne pas se référer à la solution cartésienne qui fit de la pensée la substance de l'âme. Cette solution, que les successeurs de Descartes ont tenté de préciser dans de nombreuses directions, n'est pas ici acceptée par l'auteur. Au contraire, dans ce qui est à la fois une opposition et un hommage à Descartes, Alain pose la conscience comme un acte, un mouvement une activité et non plus comme un substrat sur lequel repose les accidents.

La pensée de l'auteur suit un plan rigoureux qui propose une démonstration entièrement, positive. Dans un premier temps ("Dans le sommeil... vie du moi"), il définit le sujet du point de vue de l'idée pure, dans l'élément logique. Puis dans une seconde partie ("Par ce mouvement ...comme pour le bien"), suivant un mouvement d'incarnation, il lie cette définition avec la notion de temps, pour enfin terminer, dans sa dernière partie, par le moi entièrement concret tel que l'offre la particularité d'un exemple (Ainsi le moi... Selon le temps".')

 

alain

« On peut dans ces quelques phrases reconnaître une allusion.

Cette série de termes reprend exactement Le Discoursde la Méthode où Descartes remet en cause la vérité de toutes les représentations, activité du doute hyperboliquequi ne s'arrêtera qu'avec la découverte du cogito.

Mais Alain fait de cette expérience métaphysique une toute autreanalyse que Descartes.

Ce dernier voulait à tout prix sortir du doute, dans l'espoir de pouvoir enfin dire "je suis unesubstance, je suis une chose qui pense".

Alain ne veut pas sortir de ce doute car "c'est bien le pouvoir de douter qui est la vie du moi".

En somme Descartes n'aura pas vu que le chemin vers la vérité de mon être était la vérité de mon être, que cette activité de doute, de séparation, de réflexion, c'était l'essence.On remarque qu'avec le terme de vie, nous avons quitté la seule logique: puisque nous comprenons bien maintenantce qu'est le "je", nous pouvons quitter le plan général de l'idée pure pour l'incarner, prouvant ainsi la valeur del'analyse.

Comme la valeur d'un plan d'avion se vérifieavec le vol de l'avion d'acier, l'analyse d'Alain va se vérifier avec cette descente vers une réalité de plus en pluscharnelle. *** Le premier élément que rencontre l'idée du moi est bien sûr la temporalité.

Dans la première partie nous avionscertes une sorte de mouvement: qui dit division dit acte.

Mais il ne s'agissait que d'un mouvement logique et non encore, comme ici, chronologique.

La conséquence en effet de la définition de la conscience est que le temps n'estplus un élément extérieur au moi, mais une conséquence même de l'activité du moi.

Ce dernier, comme produit deses actes, secrète le temps qui passe.

Le présent n'est plus la temporalité du moi comme dans l'instantanéité ducogito cartésien qui cherchait à échapper au temps.

Ici nulle recherche de l'éternité, mais au contraire acceptationde la temporalité dans toute ses dimensions puisque le temps est le résultat de l'acte que je suis.Examinons notre rapport au passé.

Par ce mouvement, tous les instants tombent au passé.

La réflexion, le pouvoir de diviser, de douter qui est la vie du moi est ce qui fait le temps: chaque fois que ma conscience pense une chose,elle la détache de la totalité, elle en extrait l'essence et cet instant tombe au passé puisque ma consciences'empare aussitôt d'un nouvel objet, et ce continûment.

Le passé n'est donc pas ce que l'on m'a ôté et ce quej'aurais à regretter, c'est, très exactement, ce dont je n'ai pas voulu.

Dangereuse nostalgie que celle de vouloirrécupérer ce moi passé ! C'est tout simplement absurde: l'être entier que je serais, composé du Moi présent et de tout les "mois" passés, que j'ai, si l'on veut, assassinés pour devenir Moi, est pure folie, un monstre que je ne reconnaîtrais pas comme moi. On comprend donc que le passé soit insuffisant, dépassé.

La conscience ici est plus qu'un pouvoir de douter, elle est un pouvoir de nier : j'évolue en dépassant dans le présent les contradictions que je rencontre, et le moi présentest la synthèse de tous les mois passés, ce qui ne peut donc être que parce que j'ai voulu qu'il en soit ainsi.

Eneffet, l'adulte n'est plus un enfant, il a réussit à n'être plus cet ignorant dans l'ordre théorique et ce naïf, c'est-à- dire cet ignorant dans l'ordre moral.Le moi n'est donc pas dans le passé, et ceux qui cherchent là la clef ne comprennent pas ce qu'est un homme.

Uneconscience n'est ce qu'elle est que parce qu'elle est tournée vers le futur: une conscience tant qu'elle vit, esttoujours en espérance, en avenir.

Ce mouvement qu'est la conscience n'est pas indifférent: il est fondamentalement tourné vers l'avenir.

Une conscience réside bien plus dans son projet que dans ses aventures passées.La conscience est donc le temps, un devenir qui n'est au fond irréversible, irréparable que parce qu'il est l'être même de la conscience de soi.

Prenons l'exemple des regrets: il consiste stupidement avec le moi présent à récuserquelque choses de mauvais qu'il m'a cependant fallu commettre pour pouvoir le regretter aujourd'hui.

Mais si jeretournais en arrière, je redeviendrais aussi ce que j'étais à l'époque et, bien entendu, je referais alors ce que j'aifait.

Cela semble peut-être sévère, mais le passé n'est que le fruit de mes actes conscients et volontaires: quoi queje sois aujourd'hui, c'est moi seul qui ai choisi, ce que je voulais, je le suis devenu et je n'ai aucune excuse.

On pourrait ajouter cependant ici qu'il ne faut voir aucun fatalisme dans le texte d'Alain.

Si certainement le regret luisemblerait condamnable parce qu'absurde, le remord en revanche ne saurait l'être.

Car ce passé que je condamneou qui me condamne, avec lequel je suis lié en mal, je puis, par mes actes futurs, chercher à en réparer certainesconséquences, chercher à me faire pardonner.Après un premier moment logique, une deuxième étape chronologique, ou le moi s'est étoffé de toutes ses dimensiontemporelles, il reste à aborder la dernière partie, celle où l'on peut aborder le moi dans sa singularité réelle.

Comment penser concrètement la psychologie du moi, de cette âme de cette conscience qui parce qu'elle estpouvoir de division, parce qu'elle secrète le temps, doit avoir avec l'objet qu'elle est pour elle-même un rapport bienspécifique.

En effet, à la division de la première partie, à cette fuite en avant de la seconde partie, on peut fairecorrespondre ici la lutte du moi avec le moi qui est la vie du moi.

Etre un moi, une conscience, c'est être toujoursinsatisfait, toujours en espérance: c'est donc toujours opérer un refus d'être ce moi présent, qui bascule ainsi au passé au nom d'un moi idéal qui est logé dans le futur.

Mais cette lutte est d'une nature bien particulière: elle est àl'origine d'un mouvement d'évolution dialectique et non d'une destruction stérile.Notre passé, que nous jugeons, n'est pas seulement ce qui n'est plus et que je dois simplement assumer sans meplaindre.

Il m'est précieux par bien des points.

En effet, il contribue à la définition du moi présent.

Nous avonsremarqué que les projets sont partie intégrante de notre être; mais il y a là un paradoxe puisque le futur n'est pasencore et que de tous ses possibles nous n'en réaliserons que quelques uns.

Le passé lui en revanche est réel etpeut contribuer à défini le moi présent qui, d'un certain point de vue, n'est rien, mais un rien bien riche.

De la mêmefaçon que la théologie négative définit Dieu seulement en énonçant toutes les qualités trop humaine ou terrestrequ'il ne possède pas, sans pouvoir dire quelle est sa nature infinie qui nous dépasse, de même je ne puis dire qui jesuis puisque nous l'avons vue nous ne sommes pas au sens où nous ne sommes pas une chose.

Mais ne puis-je pasalors dire ce que je ne suis pas, c'est dire ce que je ne veux pas être ? C'est pourquoi mes souvenirs sont précieux:ils me disent un peu ce que je suis en me disant ce contre quoi j'ai grandi, ce dont je n'ai pas voulu, ce que j'aidépassé.

Et en même temps qu'il m'aide à me définir, ils me conforte et me donne du courage: en me souvenant, je. »

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