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Ce qui est naturel a-t-il nécessairement une valeur ?

Publié le 16/08/2005

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Ainsi traitée, l'idée de nature devient une idiosyncrasie, c'est-à-dire un composé porteur de toutes sortes de valeurs, mais qui n'a plus rien de naturel au sens propre du mot. Dans Par-delà bien et mal, Nietzsche fait un sort à ce type d'idiosyncrasie : « Vous voulez vivre "en accord avec la nature" ? O nobles stoïciens, comme vous vous payez de mots ! [...] Votre orgueil entend régenter jusqu'à la nature et lui inculquer votre morale et votre idéal » (§9). La dénonciation est claire : l'emploi du mot « nature », la référence à la nature sont ici des impostures qui ne cachent qu'un orgueil déplacé : la valeur de la nature ne vient alors que de nous, qui ressentons le besoin d'invoquer le label naturel comme un justificatif.II - La valeur opératoire de l'idée de naturea) La notion de nature, vidée de son sens, prend alors une valeur opératoire : elle devient un instrument, une norme, quitte à être vide et introuvable. Dans l'entreprise de Rousseau, par exemple, l'idée d'une nature favorable et satisfaisant tous les besoins n'est guère cohérente d'un point de vue scientifique : mais précisément, ce n'est pas là sa vocation ni son rôle. L'état de nature chez Rousseau est une hypothèse méthodologique qui permet de penser un état social que Rousseau veut pouvoir critiquer. La valeur de l'idée de nature est alors opératoire et normative. Plus largement, l'appel à la notion de nature est souvent révélateur de la recherche d'une caution, et l'emploi courant de l'adjectif « naturel » en est l'illustration : quand nous disons d'une chose qu'elle s'est passée de façon naturelle, nous voulons souligner sa transparence, son caractère acceptable ; quand nous invoquons notre « nature » ou notre « pente naturelle », nous désignons la nature comme une cause implacable et donc comme une excuse : l'idée de nature fonctionne alors comme un secours ou une justification, ce qui la transforme en une culture qui ne veut pas dire son nom et qui ne s'engage pas.

Notre temps est marqué par une prise de conscience écologique, et par un mouvement qui tend donc à vouloir nous faire respecter la nature. Son présupposé est par conséquent qu'il y a quelque chose de respectable dans la nature, et que donc ce qui est naturel a une valeur. C'est pourtant, en apparence, quelque peu paradoxal : en effet l'idée même de valeur est culturelle, elle marque l'importance d'un sens, et donc l'intervention de l'homme. Se peut-il alors que la nature elle-même ait une valeur, ou bien est-ce l'intervention de l'homme qui lui confère cette valeur qu'elle n'aurait pas par elle-même ? La valeur de la nature est-elle quelque chose de donné ou quelque chose de construit ?

« nous voulons souligner sa transparence, son caractère acceptable ; quand nous invoquons notre « nature » ounotre « pente naturelle », nous désignons la nature comme une cause implacable et donc comme une excuse : l'idéede nature fonctionne alors comme un secours ou une justification, ce qui la transforme en une culture qui ne veutpas dire son nom et qui ne s'engage pas.b) On peut aller ici jusqu'à retourner l'énoncé, pour répondre que c'est précisément ce qui a une valeur pour nousque nous avons tendance à appeler « naturel », comme pour nous excuser de décerner des valeurs et d'êtreintéressé : la nature ainsi comprise est le paravent de la culture, elle n'a de valeur que comme constructionculturelle.

Ainsi la phrase « c'est tout naturel », que je peux rétorquer à celui qui me remercie de lui avoir tenu laporte, signifie-t-elle en réalité : « c'est tout culturel ».

On peut alors parler d'un fétichisme de la notion de nature ;peut se définir en effet comme attitude fétichiste toute attitude qui consiste à conférer une valeur à une chose, àincarner cette valeur dans cette chose.

Donner cette valeur opératoire à la nature, construire cette idée de lanature comme fonds de justification universelle relève donc bien d'un fétichisme, qui consiste peut-être à confondrela notion de nature avec celle de vie : « Et à supposer que votre maxime "vivre en accord avec la nature" signifie aufond "vivre en accord avec la vie", comment pourrait-il en être autrement ? » (Nietzsche, Par-delà bien et mal). Conclusion Seul ce qui est culturel peut avoir une valeur : la nature ne prend donc de valeur qu'en tant que constructionculturelle. SUPPLEMENT: Le discours de Calliclès. "Certes, ce sont les faibles, la masse des gens, qui établissent les lois, j'en suis sûr.

C'est donc en fonction d'eux-mêmes et de leur intérêt personnel que les faibles font les lois, qu'ils attribuent des louanges, qu'ils répartissent desblâmes.

Ils veulent faire peur aux hommes plus forts qu'eux et qui peuvent leur être supérieurs.

C'est pour empêcherque ces hommes ne leur soient supérieurs qu'ils disent qu'il est vilain, qu'il est injuste, d'avoir plus que les autres etque l'injustice consiste justement à vouloir avoir plus.

Car, ce qui plaît aux faibles, c'est d'avoir l'air d'être égaux àde tels hommes, alors qu'ils leur sont inférieurs. Et quand on dit qu'il est injuste, qu'il est vilain, de vouloir avoir plus que la plupart des gens, on s'exprime en seréférant à la loi.

Or, au contraire, il est évident, selon moi, que la justice consiste en ce que le meilleur ait plus quele moins bon et le plus fort plus que le moins fort.

Partout il en est ainsi, c'est ce que la nature enseigne, cheztoutes les espèces animales, chez toutes les races humaines et dans toutes les cités ! Si le plus fort domine le moins fort et s'il est supérieur à lui, c'est là le signe que c'est juste. De quelle justice Xerxès s'est-il servi lorsque avec son armée il attaqua la Grèce (1), ou son père quand il fit laguerre aux Scythes ? Et encore, ce sont là deux cas parmi des milliers d'autres à citer ! Eh bien, Xerxès et son pèreont agi, j'en suis sûr, conformément à la nature du droit - c'est-à-dire conformément à la loi, oui, par Zeus, à la loide la nature -, mais ils n'ont certainement pas agi en respectant la loi que nous établissons, nous ! Chez nous, les êtres les meilleurs et les plus forts, nous commençons à les façonner, dès leur plus jeune âge,comme on fait pour dompter les lions ; avec nos formules magiques et nos tours de passe-passe, nous en faisonsdes esclaves, en leur répétant qu'il faut être égal aux autres et que l'égalité est ce qui est beau et juste.

Mais, j'ensuis sûr, s'il arrivait qu'un homme eût la nature qu'il faut pour secouer tout ce fatras, le réduire en miettes et s'endélivrer, si cet homme pouvait fouler aux pieds nos grimoires, nos tours de magie, nos enchantements, et aussitoutes nos lois qui sont contraires à la nature - si cet homme, qui était un esclave, se redressait et nousapparaissait comme un maître, alors, à ce moment-là, le droit de la nature brillerait de tout son éclat." PLATON, Gorgias, 483b-484a, trad.

Canto, Garnier-Flammarion, 1987, pp.

212-213. (1) allusion à la seconde guerre médique conduite par Xerxès, roi des Perses, qui envahit la Grèce en 480 av.

JC Le discours de Calliclès (Gorgias 483b - 484a). »

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