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Publié le 02/10/2013

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Blaise PASCAL, Pensées.

Quand je m'y suis mis quelquefois à considérer les diverses agitations des hommes et les périls et les peines où ils s'exposent dans la cour, dans la guerre, d'où naissent tant de querelles, de passions, d'entreprises hardies et souvent mauvaises, j'ai dit souvent que tout le malheur des hommes vient d'une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre. Un homme qui a assez de bien pour vivre, s'il savait demeurer chez soi avec plaisir, n'en sortirait pas pour aller sur la mer ou au siège d'une place; on n'achèterait une charge à l'armée si cher que parce qu'on trouverait insupportable de ne bouger de la ville, et on ne recherche les conversations et les divertissements des jeux que parce qu'on ne peut demeurer chez soi avec plaisir. Mais quand j'ai pensé de plus près et qu'après avoir trouvé la cause de tous nos malheurs, j'ai voulu en découvrir les raisons, j'ai trouvé qu'il y en a une bien effective, qui consiste dans le malheur naturel de notre condition faible et mortelle, et si misérable que rien ne peut nous consoler lorsque nous y pensons de près. Quelque condition qu'on se figure où l'on assemble tous les biens qui peuvent nous appartenir, la royauté est le plus beau poste du monde, et cependant qu'on s'en imagine accompagné de toutes les satisfactions qui peuvent le toucher. S'il est sans divertissement, et qu'on le laisse considérer et faire réflexion sur ce qu'il est, cette félicité languissante ne le soutiendra point; il tombera par nécessité dans les vues qui le menacent des révoltes

qui peuvent arriver et enfin de la mort et des maladies qui sont inévitables, de sorte que s'il est sans ce qu'on appelle divertissement, le voilà malheureux, et plus malheureux que le moindre de ses sujets qui joue et qui se divertit. De là vient que le jeu et la conversation des femmes, la guerre, les grands emplois sont si recherchés. Ce n'est pas qu'il y ait en effet du bonheur, ni qu'on s'imagine que la vraie béatitude soit d'avoir l'argent qu'on peut gagner au jeu, ou dans le lièvre qu'on court; on n'en voudrait pas s'il était offert. Ce n'est pas cet usage mol et paisible et qui nous laisse penser à notre malheureuse condition qu'on recherche ni les dangers de la guerre ni la peine des emplois, mais c'est le tracas qui nous détourne d'y penser et nous divertit. De là vient que les hommes aiment tant le bruit et le remuement. De là vient que la prison est un supplice si horrible, de là vient que le plaisir de la solitude est une chose incompréhensible. Et c'est enfin le plus grand sujet de félicité de la condition des rois, de ce qu'on

essaie sans cesse à les divertir et à leur procurer toutes sortes de plaisirs. Voilà tout ce que les hommes ont pu inventer pour se rendre heureux; et ceux qui font sur cela les philosophes et qui croient que le monde est bien peu raisonnable de passer tout le jour à courir après un lièvre qu'ils ne voudraient pas avoir acheté, ne connaissent guère notre nature. Ce lièvre ne nous garantirait pas de la vue de la mort et des misères qui nous en détournent, mais la chasse nous en garantit.

 

Si Pascal critique ces occupations, c'est parce qu'elles sont de simples passe-temps : au sens propre, elles ne servent qu'à faire passer le temps, à occuper l'esprit pour le détourner de l'essentiel. Sénèque, avant Pascal, montre au contraire que c'est précisément en remplissant sa vie d'activités diverses que l'homme gaspille le temps qui lui est accordé, et rend lui-même sa vie brève parce que vaine : «Rien n'est moins le propre d'un homme absorbé que de vivre«, dit-il dans La Vie brève.

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« Voilà tout ce que les hommes ont pu inventer pour se rendre heureux; et ceux qui font sur cela les philosophes et qui croient que le monde est bien peu raisonnable de passer tout le jour à courir après un lièvre qu'ils ne voudraient pas avoir acheté, ne connaissent guère notre nature.

Ce lièvre ne nous garantirait pas de la vue de la mort et des misères qui nous en détournent, mais la chasse nous en garantit.

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1 Analyse du sujet 1 Analyse des termes du sujet Ce texte très célèbre analyse toute l'action humaine, quelle que soit sa finalité ou son utilité, comme un dérivatif, un leurre permettant d'es­ quiver l'essentiel, c'est-à-dire le malheur de notre condition.

Dans ce contexte, l'incapacité à «demeurer en repos dans une cham­ bre» est la marque d'une inquiétude au sens étymologique, le symptôme d'une insatisfaction, d'un tourment auxquels l'activité sert de palliatif, c'est-à-dire un faux remède qui atténue la souffrance, mais de manière passagère et sans agir sur ses causes.

Le malheur des hommes vient donc, selon Pascal, de leur incapacité à affronter avec lucidité la terrible vérité d'une condition humaine vide de sens.

Il y a là un paradoxe.

Alors que l'on considère généralement comme heureux ceux qui peuvent se livrer en toute liberté à l'activité de leur choix, Pascal dénonce cette approche du bonheur : les hommes seraient, selon lui, malheureux précisément pour être incapables de voir leur mal­ heur! Le reste du texte permet de préciser cette première approche du sujet.

Les diverses activités envisagées par l'auteur (la chasse, la guerre, la vie sociale, le travail, le voyage, le jeu ...

) sont toutes pour lui synonymes d'agitation stérile, voire pernicieuse quant à ce qui constitue, à ses yeux, la finalité de l'existence.

Il ébauche un tableau du bonheur : avoir « assez de bien pour vivre » et « demeurer chez soi avec plaisir » en appréciant « le plaisir de la solitude» dans laquelle on peut «penser de près» à la condition humaine.. »

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