Devoir de Philosophie

CONTEMPLATION ET ACTION

Publié le 18/01/2020

Extrait du document

Un animal raisonnable ?

Terriblement efficace, cette intelligence matérialisée qui est désormais à l’œuvre dans tous les domaines, serait-elle, sous sa forme instrumentale, le modèle suprême de la rationalité ? Ou bien touchons-nous ici à une confusion irrémédiable ?

«Avec l’avènement du rationalisme, la croyance à la technique tend presque à devenir une religion matérialiste. La technique est étemelle et immortelle, comme Dieu le Père. Elle apporte le salut à l’Humanité, comme Dieu le Fils, et elle nous illumine comme Dieu le Saint-Esprit. Et son adorateur est le snob entiché de progrès des Temps modernes, depuis La Mettrie jusqu’à Lénine.»

Spengler, L’Homme et la Technique, Gallimard, 1958, p. 132.

La divine Raison, dont se prévaut F «animal raisonnable » ne serait-elle pas, au fond, la raison instrumentale ; et le démiurge, autodidacte industrieux et ingénieux, n’est-il pas plus puissant que Dieu lui-même, ce rêveur omniscient mais purement contemplatif, ce théoricien condamné à l’oisiveté, dans la pensée inhibitrice de la perfection ?

Encore faut-il délimiter le domaine du succès technique, dont la meilleure illustration reste ce qu’on nomme la conquête de l’espace. Or, les techniques qui ont fait leur preuve dans l’action de l’homme sur la nature ne sont pas nécessairement celles qui permettront tout aussi bien l’exploitation de l’homme par l’homme. En d’autres termes, les moyens mis en œuvre en vue de maîtriser la nature ne peuvent être confondus, du seul point de vue de l’efficacité même, avec les techniques de mécanisation et d’asservissement de la pensée, sans lesquelles l’exploitation aveugle de la nature ne serait pas possible. Par ailleurs, le monde des «objets techniques» n’est nullement représentatif de l’ensemble des capacités de la pensée. Il n’y a pas de rela tion directe et univoque entre le potentiel d’invention, d’imagination et de création de l’humanité et l’inventaire matériel des techniques effectivement actualisées. Léonard de Vinci, par exemple, connaissait plus de techniques qu’il ne consentait à en divulguer :

« Si je ne publie et ne divulgue ma manière d’aller sous l’eau, notait-il dans ses Carnets, c’est à cause de la méchanceté des hommes, qui s’en serviraient pour assassiner au fond! des mers, en ouvrant les navires et en les faisant couler avec leur équipage. »

Homo sapiens

Techniquement parlant, Homo sapiens est, tout compte fait, un élément exogène qui importe en fraude dans le système une surcharge appelée conscience, avec sa cargaison d’imaginaire qui fausse le jeu A'Homo faber.

Enfin, il n’est pas évident qu’il y ait plus d’intelligence humaine - ni plus de « raison » - dans une ogive nucléaire à tête chercheuse que dans un collet de braconnier, qui met déjà en œuvre un effet feed-back.

Techniques ancestrales et modèles obsolescents

La pérennité des techniques ancestrales, comparée à la cadence accélérée de vieillissement des nouveautés contemporaines, fait songer à cette philosophia perennis qui fournit une cible constante et immuable aux zélateurs successifs et haletants d’un progrès technique qu’ils ne suivent qu’à grand-peine. Ainsi, affirmer que les questions philosophiques sont aujourd’hui périmées, c’est négliger le fait que rien ne se démode plus vite qu’un «dernier modèle» de voiture automobile, de machine à écrire électronique ou de micro-ordinateur, par exemple, puisque ce matériel tech nique est, dès sa naissance, placé sous les auspices de la péremption.

L’objet technique livré à l’acheteur est, en effet, un objet «à obsolescence incorporée», c’est-à-dire qu’à échéance calculée il doit avoir fait son temps et cesser de fonctionner, pour céder la place à un nouvel objet technique. Car, loin d’être un pur produit de l’intelligence humaine, il est désormais, avant tout, une marchandise sur un marché. Un marché dominé par la compétitivité et assujetti au « progrès technique», version concurrentielle de l’obsolescence.

Ainsi, il n’y a pas plus d’intelligence, mais, nécessairement, plus de capitaux investis dans les « technologies militaires de l’an 2000» que dans le «collet» de nos ancêtres braconniers.

En d’autres termes, la production industrielle, qui constitue à l’ère du machinisme la pointe extrême de la technique, est loin d’être la simple objectivation d’une pensée rationnelle.

Homo faber

La technique des collets (ou lacets) est un modèle d’ingéniosité si simple et si efficace qu’elle a traversé les siècles sans la moindre modification. Seul le matériau, qui doit être souple et résistant - crin animal simple ou tressé, fil de cuivre ou de laiton - diffère d’un pays à l’autre. La confection du nœud coulant n’exige aucune habileté particulière; en revanche, la pose demande une grande connaissance du milieu et des habitudes du gibier. Le collet possède toutes les qualités requises pour le braconnage. Léger, discret, il :

«opère la capture par strangulation, sans être tributaire d’un mécanisme qui accumule l’énergie. Il ne fait que détourner la force de l’animal qui participe à sa propre mort en se débattant».

Marielle et Pierre Aucante, Les Braconniers, Aubier, 1983, p. 132.

« 92 La problématique des fins Un animal raisonnable ? Terriblement efficace, cette intelligence matérialisée qui est désormais à l'œuvre dans tous les domaines, serait-elle, sous sa forme instrumentale, le modèle suprême de la ratio­ nalité? Ou bien touchons-nous ici à une confusion irrémé­ diable? «Avec l'avènement du rationalisme, la croyance à la technique tend presque à devenir une religion matérialiste.

La technique est éternelle et immortelle, comme Dieu le Père.

Elle apporte le salut à l'Humanité, comme Dieu le Fils, et elle nous illumine comme Dieu le Saint-Esprit.

Et son adorateur est le snob entiché de progrès des Temps modernes, depuis La Mettrie jusqu'à Lénine.» Spengler, L'Homme et la Technique, Gallimard, 1958, p.

132.

La divine Raison, dont se prévaut l' « animal raison­ nable» ne serait-elle pas, au fond, la raison instrumentale; et le démiurge, autodidacte industrieux et ingénieux, n'est-il pas plus puissant que Dieu lui-même, ce rêveur omniscient mais purement contemplatif, ce théoricien condamné à l'oisiveté, dans la pensée inhibitrice de la perfection? Encore faut-il délimiter le domaine du succès technique, dont la meilleure illustration reste ce qu'on nomme la conquête de l'espace.

Or, les techniques qui ont fait leur preuve dans l'action de l'homme sur la nature ne sont pas nécessairement celles qui permettront tout aussi bien l'exploitation de l'homme par l'homme.

En d'autres termes, les moyens mis en œuvre en vue de maîtriser la nature ne peuvent être confondus, du seul point de vue de l'efficacité même, avec les techniques de mécanisation et d'asservisse­ ment de la pensée, sans lesquelles l'exploitation aveugle de la nature ne serait pas possible.

Par ailleurs, le monde des «objets techniques» n'est nullement représentatif de l'ensemble des capacités de la pensée.

Il n'y a pas de rela-. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles