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COURNOT: philosophie et science

Publié le 24/03/2005

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cournot
La philosophie ne peut être rapprochée de la science, en ce sens qu'elle en formerait, soit le premier, soit le dernier échelon. C'est le produit d'une autre faculté de l'intelligence, qui, dans la sphère de son activité, s'exerce et se perfectionne suivant un mode qui lui est propre. C'est aussi quelque chose de moins impersonnel que la science. La science se transmet identiquement par l'enseignement oral et dans les livres ; elle devient le patrimoine commun de tous les esprits, et dépouille bientôt le cachet du génie qui l'a créée ou agrandie. Dans l'ordre des spéculations philosophiques, les développements de la pensée sont seulement suscités par la pensée d'autrui ; ils conservent toujours un caractère de personnalité qui fait que chacun est obligé de se faire sa philosophie. La pensée philosophique est bien moins que la pensée poétique sous l'influence des formes du langage, mais elle en dépend encore, tandis que la science se transmet sans modification aucune d'un idiome à l'autre. COURNOT

DIRECTIONS DE RECHERCHE    • A quelle(s) conception(s) de la philosophie Cournot fait-il allusion par sa première phrase ?  • Cournot refuse-t-il tout rapprochement entre « la « philosophie et « la « science ?  • Ce qu'il refuse ne serait-ce pas que la philosophie puisse être intégrée à la science ? Soit en tant que premier échelon (c'est-à-dire qu'elle établirait les données ou certitudes premières) ? Soit en tant que dernier échelon (comme « synthèse « des acquisitions scientifique ? Cf. Auguste Comte par exemple).  • En quoi peut se justifier que la philosophie soit le produit d'une autre faculté de l'intelligence s'employant dans une autre sphère d'activité s'exerçant selon un mode qui lui est propre ?  • Essayez de déterminer les différences d'objet et de « mode de penser « entre — par exemple — le mathématicien et le  chercheur en sciences expérimentales d'une part et le philosophe d'autre part.  • Quels sont les arguments invoqués par Cournot pour établir que la philosophie est moins impersonnelle que la science ?  Pouvez-vous « développer « ces arguments ? Qu'en pensez-vous ?  • En quoi les relations entretenues entre « la pensée philosophique « et « les formes du langage « peuvent-ils être, selon  Cournot, une preuve que la philosophie ne saurait être « intégrée « (en quelque sorte) à la science ?  • Pouvez-vous (par des exemples entre autres) justifier qu'effectivement ces relations sont particulières à « la « philosophie (relativement à « la « poésie et à « la science « ) ? Y a-t-il liaison entre cela et le caractère moins « impersonnel « de la philosophie (par rapport à la science) ?  • Quel est l'enjeu de ce texte ?  • Comment apprécier son intérêt philosophique ?

cournot

« que la raison ne s'exerce pas de la même façon dans les deux domaines, mais surtout que les problèmes àrésoudre n'ont pas grand-chose en commun, ce qui garantit la « sphère d'activité » propre à chaque attitude(on peut rappeler à ce propos que la mentalité scientifique renonce à examiner les causes premières ou finales,tandis que la philosophie peut continuer à s'en préoccuper). [II.

Universalité et personnalité] Sans doute est-ce en raison de la différence des objectifs et des problèmes abordés, autant que desméthodes, que science et philosophie s'opposent comme l'universel au singulier.

La science est « impersonnelle», ce qui indique aussi bien l'universalité de ses affirmations que la façon dont elle concerne potentiellementtous les esprits de la même manière.

Son enseignement, qu'il soit oral ou textuel, ne peut donc pas en modifierles contenus, car l'enseignant ne peut que répéter ce qui a été établi sans y introduire de modification.

Ainsis'affirme-t-elle comme « patrimoine commun » pour tous les esprits, ce qui a pour conséquence que lesaffirmations scientifiques sont rapidement indépendantes de leurs inventeurs.

Évoquer un théorème d'Euclideou une loin de Newton, ce n'est pas signifier que ce théorème ou cette loi appartiendraient personnellement àces deux personnages célèbres, c'est simplement rappeler qu'ils furent les premiers à les établir.

Une foisacquis, ces savoirs deviennent un bien commun, éventuellement anonyme car on ne se donne pas la peine designaler pour toute loi le nom de celui qui l'a découverte.Par contre, la philosophie de Platon ou celle de Descartes, même si l'on peut globalement admettre qu'ellesdépendent aussi, au même titre que les vérités scientifiques, de leurs époques respectives, restent marquéespar leur inventeur et appartiennent toujours à Platon ou à Descartes.

Se déclarer cartésien, c'est s'inscriredans une conception dont on reconnaît l'initiateur, alors que se dire newtonien n'aurait aujourd'hui pas grandsens, tant les lois de Newton sont devenues le fonds commun de la science (ce que n'est pas la penséecartésienne relativement à la philosophie).

La philosophie possède ainsi toujours ce que Cournot nomme un «caractère de personnalité », qui indique, bien plus que le caractère simplement subjectif d'une pensée, lacoloration ou l'orientation particulière qu'a donnée un esprit à ce qui était pensable en son temps.C'est aussi que ce pensable « personnalisé » ne se fait pas à partir de rien.

On dira que la science non plus,mais le rapport à ce qui précède n'est pas le même.

Dans la science, la vérité antérieure invite à êtredépassée, et mène la recherche plus avant.

Dans la philosophie, c'est une pensée ou une conceptionantérieure qui doit d'abord être interrogée, méditée, interprétée (quitte à constater en fin de parcours qu'ellecomporte éventuellement peu de vérité), et cette pensée antérieure présente bien elle aussi un « caractère depersonnalité ».

Ainsi ce caractère se maintient-il d'une génération à la suivante, comme référence toujoursprésente à la particularité d'une situation dans le monde – dont le scientifique n'a quefaire. [III.

Influence du langage] Le troisième point évoqué par Cournot est fondamental, mais il implique que l'on puisse cette fois comparertrois domaines : la poésie, la philosophie et la science, dans leur relation au langage.La « pensée poétique » (expression qui indique que Cournot, loin de ne considérer la poésie que comme unexercice consistant à ajouter une forme agréable ou savante à une pensée préétablie, la prend au contrairetrès au sérieux en suggérant que la poésie authentique est capable d'une pensée spécifique, qui ne semanifeste pas ailleurs) est fortement influencée par les « formes du langage ».

Cette expression ne renvoie passeulement aux contraintes classiques de versification ou de rime, aux traditionnelles formes « fixes » despoèmes ; elle peut signaler que chaque langue vaut poétiquement d'abord par ses sons et ses connotations,ou si l'on préfère, par ses signifiants, plus que par ses signifiés.

En termes plus récents, on confirmera que lapoésie est un travail sur la langue (le matériau de tout écrivain selon Roland Barthes), et que ce qui s'y « dit »dépend entièrement des façons de dire qui s'y inventent.Par comparaison, la philosophie a moins à se soucier de ces formes du langage, parce que le « contenu » yreste prioritaire : le philosophe a quelque chose à dire, et le langage constitue plutôt pour lui un outil detransmission, même s'il peut de surcroît être soucieux de bien écrire.

Toutefois, les mots d'une langueprésentent une mémoire culturelle, et en conséquence, la psuché grecque, antérieure à la christianisation,peut désigner autre chose que le terme qui la traduit, à savoir « âme ».

Plus radicalement, l'orientation de lapensée philosophique peut être, au moins partiellement, déterminée par les possibilités de la langue : on a puconsidérer que, si la question « Qu'est-ce que l'être ? » apparaît en Grèce, c'est parce que la langue grecque ala capacité de substantiver n'importe quel infinitif.

D'où, par exemple, la difficulté qu'il y aurait à philosopherdans Quant à la science, elle est d'autant moins liée aux caractères particuliers des langues qu'elle se dit pardes symboles qu'elle invente en fonction de ses besoins.

Et la mathématisation de ses résultats vientfinalement résoudre tout éventuel problème de traduction.

C'est pourquoi elle se transmet sans jamais subir dedéformation d'une langue à l'autre, alors que la traduction philosophique peut être risquée, et que la traductionde la pensée poétique, si elle n'est pas impossible, ne se fait qu'au prix de transpositions et de recherchesd'équivalences. [Conclusion] Les différences relevées par Cournot, même si elles sont parfois allusives, sont tout à fait pertinentes.

Elles ontl'avantage d'aider à comprendre que l'instauration de la science ne supprime pas la philosophie (pas davantaged'ailleurs que la poésie) : les deux domaines ont en effet des visées et des modes de développementdifférents, et ne peuvent, à la limite, entrer en concurrence.. »

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