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Cournot: Science et Histoire

Publié le 27/02/2008

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cournot
Ce qui fait la distinction essentielle de l'histoire et de la science, ce n'est pas que l'une embrasse la succession des événements dans le temps, tandis que l'autre s'occuperait de la systématisation des phénomènes, sans tenir compte du temps dans lequel ils s'accomplissent. La description d'un phénomène dont toutes les phases se succèdent et s'enchaînent nécessairement selon des lois que font connaître le raisonnement ou l'expérience est du domaine de la science et non de l'histoire. La science décrit la succession des éclipses, la propagation d'une onde sonore, le cours d'une maladie qui passe par des phases régulières, et le nom d'histoire ne peut s'appliquer qu'abusivement à de semblables descriptions ; tandis que l'histoire intervient nécessairement (lorsque à défaut de renseignements historiques il y a lacune inévitable dans nos connaissances) là où nous voyons, non seulement que la théorie, dans son état d'imperfection actuelle, ne suffit pas pour expliquer les phénomènes, mais que même la théorie la plus parfaite exigerait encore le concours d'une donnée historique. S'il n'y a pas d'histoire proprement dite, là où tous les événements dérivent nécessairement et régulièrement les uns des autres, en vertu des lois constantes par lesquelles le système est régi, et sans concours accidentel d'influences étrangères au système que la théorie embrasse, il n'y a pa non plus d'histoire dans le vrai sens du mot, pour une suite d'événements qui seraient sans aucune liaison entre eux. Ainsi les registres d'une loterie publique pourrait offrir une succession de coups singuliers, quelquefois piquant pour la curiosité, mais ne constitueraient pas une histoire : car les coups se succèdent sans s'enchaîner, sans que les premiers exercent aucune influence sur ceux qui les suivent, à peu près comme dans ces annales où les prêtres de l'Antiquité avaient soin de consigner les monstruosités et les prodiges à mesure qu'ils venaient à leur connaissance. Tous ces événements merveilleux, sans liaison les uns avec les autres, ne peuvent former une histoire, dans le vrai sens du mot, quoiqu'ils se succèdent suivant un certain ordre chronologique. COURNOT

Cournot, mathématicien et philosophe, s’interroge, dans l’Essai sur les fondements de nos connaissances et les caractères de la critique philosophique, sur la manière dont la raison humaine peut appréhender le monde dans la connaissance, ce qui l’amène à penser les rapports entre les différentes branches du savoir. Ce texte pose le problème de la distinction entre science et histoire et de leurs places respectives. Il semble en effet impossible de penser que cette distinction puisse être fondée uniquement sur la prise en compte du temps, car la science n’a pas pour objets d’étude des phénomènes atemporels : sur quoi peut-on alors penser la distinction entre ces deux modes de connaissance ? Cette distinction n’est-elle pas à chercher non pas dans une différence entre leurs objets d’études respectifs, mais dans la manière d’appréhender les phénomènes, dans leurs méthodes ? De plus, la distinction de la science et de l’histoire a pour but de définir la place de chacune, et, en particulier, de définir la place de l’histoire, qui n’est concernée ni par les lois de la science ni par le pur hasard : quel est l’objet d’étude propre à l’histoire ? Le problème est alors de partir du refus de l’idée que l’histoire serait constituée par tout ce qui n’est pas science, pour se demander de quoi il peut véritablement y avoir histoire.

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