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David HUME: Passion déraisonnable et jugement

Publié le 06/04/2005

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Si une passion ne se fonde pas sur une fausse supposition et si elle ne choisit pas des moyens impropres à atteindre la fin, l'entendement ne peut ni la justifier ni la condamner. Il n'est pas contraire à la raison de préférer la destruction du monde entier à une égratignure de mon doigt. Il n'est pas contraire à la raison que je choisisse de me ruiner complètement pour prévenir le moindre malaise d'un Indien ou d'une personne complètement inconnue de moi. Il est aussi peu contraire à la raison de préférer à mon plus grand bien propre un bien reconnu moindre. Un bien banal peut, en raison de certaines circonstances, produire un désir supérieur à celui qui naît du plaisir le plus grand et le plus estimable ; et il n'y a là rien de plus extraordinaire que de voir, en mécanique, un poids d'une livre en soulever un autre de cent livres grâce à l'avantage de sa situation. Bref, une passion doit s'accompagner de quelque faux jugement pour être déraisonnable ; même alors ce n'est pas la passion qui est déraisonnable, c'est le jugement. David HUME
1) Thèse centrale : la raison ne peut juger une passion par elle-même, en tant que fait, mais seulement les jugements qui accompagnent (éventuellement) cette passion, comme - la supposition de l'existence d'objets qui n'existent pas en réalité (par ex. une peur fondée sur quelque chose qui n'existe pas).  - le choix de moyens pour atteindre un but projeté, pour satisfaire la passion (par ex. l'emploi de talismans pour gagner au jeu).  2) Deux exemples illustrent cette thèse. La raison n'a rien à dire - sur le fait que je décide de me ruiner pour quelqu'un que je ne connais pas ; - sur le fait que je préfère un bien moindre à un bien supérieur. Car ces deux faits ne sont pas des jugements, des raisonnements.

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« ne peut jamais combattre la passion sans la direction de la volonté.

»Car « le domaine propre (de la raison) est le monde des idées et la volonté nous place toujours dans le monde desréalités.

»La raison porte sur des idées, c'est-à-dire pour Hume des copies, des images des choses, des représentationsinertes.

La raison calcule, cherche les « causes » et les « effets », mais ne possède aucun dynamisme propre à enfaire un motif d'action : nous ne sommes pas avec elle dans « le monde des réalités ».Par contre, notre action peut être guidée par le souci d'éviter une douleur ou d'éprouver un plaisir.

Nous éprouvonsalors désir ou aversion, c'est-à-dire des passions, qui, elles, nous poussent à chercher l'objet ou à le fuir.

La raisonpeut alors intervenir pour rechercher comment (par exemple) fuir ou chercher.

« Mais évidemment, dans ce cas,l'impulsion ne naît pas de la raison qui la dirige seulement.

» La thèse est très forte puisqu'elle va jusqu'à affirmer que notre volonté de savoir ne prend source que dans lapassion, dans l'intérêt affectif que nous pouvons avoir.

La raison est toujours seconde.

C'est parce que les objetsnous affectent (nous touchent, nous font éprouver plaisir ou peine) que nous désirons, ensuite, les connaître. « Cela ne pourrait nous intéresser le moins du monde de savoir que tels objets sont des causes et tels autres deseffets, si les causes et les effets nous étaient également indifférents.

»La raison appartenant au monde des idées, des représentations, etc.

est un monde « inerte » et quasi indifférent,qui ne reçoit son intérêt que d'ailleurs : des passions.

Par suite, ce n'est pas la raison qui me dira si je dois:«préférer la destruction du monde à une égratignure de mon doigt » ou choisir « de me ruiner totalement pourprévenir le moindre malaise d'un Indien ou d'une autre personne complètement inconnue de moi ». Hume l'énonce avec la plus grande clarté : « Puisque la raison à elle seule ne peut jamais produire une action, niengendrer une volition, je conclus que la même faculté est aussi incapable d'empêcher une volition ou de disputer lapréférence à une passion ou à une émotion [...] Rien ne peut s'opposer à une impulsion passionnelle, rien ne peutretarder une impulsion passionnelle qu'une impulsion contraire [...] Nous ne parlons ni avec rigueur niphilosophiquement lorsque nous parlons du combat de la passion et de la raison.

»Il est donc clair que : « La raison est, et ne peut être que l'esclave des passions; elle ne peut prétendre à d'autrerôle au 'à les servir et à leur obéir.

»D'où vient la conception inverse ? L'illusion que la raison peut combattre la passion, la vaincre ? D'une part on peut redouter ou espérer une chose qui en fait n'existe pas.

Nos passions peuvent donc être fondéessur de fausses suppositions, lin ce sens, la raison peut effectivement dévoiler l'erreur, et la passion cesse.

Si jedésire un fruit croyant qu'il est bon et qu'on m'assure qu'il a un goût exécrable, je cesse de le désirer.

D'autre partune passion peut choisir des moyens erronés pour se satisfaire, et la raison le dévoiler.

Mais c'est en ces deux sensseulement qu'on pourra dire qu'une passion est déraisonnable.

Encore faut-il reconnaître que l'erreur n'est pas dansla passion, mais dans le jugement qui l'accompagne (ce fruit est bon, ces moyens sont adéquats).L'intérêt de la thèse de Hume n'est pas seulement de nous débarrasser d'un préjugé commun.

Il réside dans uneopposition que Kant gardera en mémoire : la raison théorique est extérieure à la morale.

Ce n'est pas laconnaissance pure qui peut nous pousser à agir.

L'action a des motifs propres.

Pour Hume, il s'agit de dire que cequi me pousse à agir est toujours un intérêt, une situation qui m'affecte.

C'est parce que les choses ne nous sont pas indifférentes, et ici affectivement indifférentes, qu'ensuite nous cherchons à les connaître, L'action prend sasource dans les situations vécues, la porte sur la représentation « indifférente » des choses. Hume est connu comme celui qui a réveillé Kant de son «sommeil dogmatique ».

Lorsque Kant dira que « le "faitd'être connu ne confère au monde aucune valeur », il se souviendra de la leçon humienne.

La raison théorique estextérieure à la morale et ne donne aucun motif suffisant d'action.

Mais Kant découvrira un usage pratique de laraison, qui nous «intéresse» au premier chef, et un motif rationnel de l'action : le respect de la loi morale. Quand Hume déclare : « Il n 'est vas contraire à la raison de préférer la destruction du monde à une égratignurede mon doigt», il veut montrer que ce qui nouspousse à agir n'est pas de l'ordre de la pure connaissance, mais relève des choix que j'opère dans une situation quine m'est pas indifférente.A l'heure où les choix se déguisent sous des propos rationnels, où la connaissance est censée être un motifsuffisant d'action (que l'on songe au développement de la biologie et aux expérimentations sur l'être humain), il n'estcertes pas inutile de rappeler que c'est en fonction de valeurs et de buts qui sont extérieurs à la raison que celle-ciintervient. HUME (David). Né et mort à Edimbourg (1711-1776).. »

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