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Défendre ses droits, est-ce la même chose que défendre ses intérêts ?

Publié le 04/02/2004

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[I. Confusion possible entre les droits et les intérêts]
Lorsqu'une personne est victime d'un cambriolage, elle peut évidemment se sentir lésée dans son droit de propriété, mais elle peut aussi ressentir une agression d'ordre plus intime, comme si le cambrioleur s'en était pris à ses intérêts personnels : lui voler des vêtements, c'est bien la priver de biens qu'elle a intérêt à posséder. Plus généralement, le confusion entre les droits d'une personne et ses intérêts se manifeste lorsque celle-ci subit une agression, de quelque nature ou importance que ce soit, qui concerne la sphère privée de son existence. Le propriétaire d'un terrain a le droit de le posséder intégralement, mais ce sont plus immédiatement ses intérêts qui lui paraîtront être mis en cause si un voisin sans scrupules prétend s'en approprier un morceau.Il résulte de cette confusion que le système judiciaire est bien souvent compris comme mis en place pour la défense des intérêts de chacun, le droit devenant alors un moyen mis au service de ces intérêts. J'intenterai un procès au voisin pour défendre mes intérêts en même temps que mes droits, ou même en priorité par rapport à ces derniers, dans la mesure où mes intérêts me concernent de façon apparemment plus proche que mes droits, dont l'existence renvoie à celle d'un système anonyme — dont je n'ai pas nécessairement une connaissance très détaillée — qui paraît toujours un peu lointain. Dans l'organisation de la société, la défense des droits nécessite l'intervention d'un certain nombre d'institutions (la police, la justice, avec son tribunal, ses procureurs et ses avocats, son ensemble de textes et de codes, etc.) qui peuvent paraître d'une complexité excessive, alors que la défense de mes intérêts semble susceptible d'être opérée de manière plus simple, éventuellement plus rapide.Pour mettre en lumière que cette confusion n'est en fait pas fondée, il suffit d'inverser la perspective : la défense de mes intérêts est-elle nécessairement synonyme de celle de mes droits ? Il apparaît immédiatement que non, parce que mes intérêts peuvent être en contradiction avec les droits d'autrui.
Le droit naît du rapport de force et de l'intérêt. Il est donc normal que toute personne veuille légitimer ses intérêts par la loi. Marx montre que la classe dominante impose toujours ses privilèges en les instituant légalement. Mais, l'intérêt particulier doit-il céder le pas face à l'intérêt général ? Un droit fondé sur l'intérêt privé serait-il juste ?


« [III.

Les droits peuvent masquer des intérêts] On peut toutefois mettre en cause la validité de la distinction classiquement affirmée entre les droits et les intérêts,autrement dit se demander si les droits, dans leur formulation historique et sociale, respectent bien le principed'universalité auquel on les prétend si volontiers soumis.Pour ce faire, il suffit de poser le problème, non plus en termes individuels, mais au niveau de groupes ou de classessociales.

Lorsque Marx critique la célèbre Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1792, c'est précisément pour souligner qu'ils ne concernent pas l'homme en général, unhomme universel, mais qu'ils n'intéressent en fait (c'est-à-dire trèsexactement qu'ils satisfont ses intérêts) que l'homme bourgeois, le membred'une société bourgeoise.

Derrière le concept universel de « liberté », ilfaudrait ainsi comprendre que n'est considérée que la liberté d'entreprendre,derrière la noblesse apparente de l'égalité proclamée, on devrait percevoir unesimple « égalité dans la concurrence », derrière la « sécurité » ne seprofilerait que celle de la propriété privée, etc.

Les droits établis ne seraientdès lors rien d'autre que l'officialisation des intérêts de la classe dominante,et n'auraient aucun sens positif pour une classe dominée, dont ilsécraseraient même systématiquement les intérêts propres.D'un tel point de vue, il faudrait donc admettre que la défense des droitsn'est qu'une manière « hypocrite » de défendre des intérêts de classe, etinversement, que la défense des intérêts d'une autre classe (dominée)pourrait être celle de ses droits futurs.

La « froideur » apparente de la loi seprétendant universelle ne ferait que masquer la réalité historique de la luttedes classes.

Cette critique mérite sans doute d'être prise en considérationdans un monde où les inégalités économiques semblent désormais concerner,plus encore que des classes sociales, des pays ou des continents entiers.Il s'agit finalement de savoir, par exemple, si la défense des droits tels que lesconçoivent les pays industrialisés est autre chose que la défense de leursintérêts économiques bien compris. [Conclusion] La limite de la réflexion générale ou abstraite sur les droits ou le droit se manifeste dès que l'on constate - etcomment ne pas le faire ? - la variabilité historique ou culturelle des systèmes juridiques.

Le droit « idéal » semblecorrespondre à un homme lui aussi idéal, que l'on ne trouve peut-être nulle part, dans la mesure où l'humanité ne seréalise que dans différents contextes historiques, économiques, sociaux.

Faut-il en conclure brutalement que laconfusion entre les droits et les intérêts est finalement justifiée - même si c'est pour d'autres raisons que cellesadmises par la simple opinion ? Il reste également possible de penser que le droit est plus un but à atteindre, c'est-à-dire une élaboration permanente, qu'un système définitivement établi : dans cette optique, on pourrait espérerque les droits et les intérêts finissent par clairement se distinguer. Introduction Défendre ses droits n'est pas seulement de l'ordre du discours : c'est engager, par l'intermédiaire d'une action enjustice ou d'une protestation, une action concrète, difficile et parfois coûteuse.

On imagine mal telle défense sansune motivation à la hauteur de l'énergie qu'elle mobilise ; on imagine encore moins se battre pour un droit dont nousne ressentons pas la portée.

On ne se bat pour préserver un droit que si l'on estime qu'une attaque portée à cedroit nous a lésés : défendre ses droits se confond donc souvent avec la défense de ses intérêts. Une telle approche ne va pourtant pas sans paradoxes.

Expression de la volonté générale, le droit, ainsi que la loiqui l'exprime, a une vocation universelle.

Son ambition est de défendre l'intérêt général, et par-delà un idéal dejustice, il ne saurait se réduire à la somme des intérêts particuliers.

En considérant que défendre ses droits est lamême chose que défendre ses intérêts, ne fait-on pas de l'expression d'un idéal universel l'instrument de volontésparticulières, au service de l'individu et non de la société ? En d'autres termes, n'est-ce pas se servir du droit plutôtque le servir ? I.

Défendre mes droits va généralement dans le sens de mes intérêts. »

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