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DESCARTES: Erreur et libre arbitre

Publié le 17/04/2005

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descartes
Considérant quelles sont mes erreurs... je trouve qu'elles dépendent du concours de deux causes, à savoir de la puissance de connaître qui est en moi et de la puissance d'élire ou bien de mon libre arbitre : c'est-à-dire de mon entendement et ensemble de ma volonté. Car par l'entendement seul, je n'assure ni ne nie aucune chose, mais je conçois seulement les idées des choses, que je puis assurer ou nier. Or en le considérant ainsi précisément, on peut dire qu'il ne se trouve jamais en lui aucune erreur, pourvu qu'on prenne le mot d'erreur et sa propre signification. Et encore qu'il y ait peut-être une infinité de choses dans le monde dont je n'ai aucune idée en mon entendement on ne peut pas dire pour cela qu'il soit privé de ces idées comme de quelque chose qui soit dû à sa nature mais seulement qu'il ne les a pas... Je ne puis pas aussi me plaindre que Dieu ne m'a pas donné un libre arbitre ou une volonté assez ample et parfaite puisqu'en effet je l'expérimente si vague et si étendue qu'elle n'est renfermée dans aucunes bornes... D'où est-ce donc que naissent mes erreurs? C'est à savoir de cela seul que, la volonté étant beaucoup plus ample et plus étendue que l'entendement, je ne la contiens pas dans les mêmes limites, mais que je l'étends aussi aux choses que je n'entends pas ; auxquelles étant de soi indifférente, elle s'égare fort aisément et choisit le mal pour le bien et le faux pour le vrai. Ce qui fait que je me trompe et que je péché. DESCARTES
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« privé de ces idées comme de quelque chose qui soit dû à sa nature, mais seulement qu'il ne les a pas...

»Dieu n'a pas pu me donner une faculté qui soit « imparfaite en son genre ».

Mon entendement conçoitcorrectement la vérité.

Toute idée claire et distincte est vraie, je puis me fier à l'évidence intellectuelle.Toute vraie pensée (lorsque c'est vraiment mon entendement qui fonctionne) est une pensée vraie.

Mais simon entendement est parfait, il n'est parfait qu'en son genre.

Autrement dit mon entendement n'est pasinfini, il est même « d'une fort petite étendue et grandement limité ».

Ce que je comprends clairement estvrai, mais je comprends clairement peu de choses.

Toutefois il faut insister sur ceci que la limite del'entendement n'est pas un vice de l'entendement.

Toutes les idées qui me font défaut, on ne peut pas direque j'en sois « privé » mais seulement que je ne les « ai pas ».

Cette distinction entre privation et négationest directement empruntée à la scolastique et à Thomas d'Aquin Un homme n'a pas d'ailes comme un oiseau: simple négation — qui n'est pas un mal à proprement parler — puisque la possession d'ailes n'appartient pasà l'espèce humaine.

Un homme est aveugle.

Cette fois il n'y a pas simple négation, mais privation de la vue,parce que l'aveugle est privé d'un « bien dû » à son espèce.

Et c'est ici que se pose le problème du mal etque nous pouvons demander : Pourquoi si Dieu est bon cet homme est-il aveugle, alors que la naturehumaine comporte normalement la possession du sens de la vue?En ce qui concerne l'entendement vous voyez que sa finitude n'est pas un mal à proprement parler.

Notreentendement n'est pas fait pour tout comprendre.

Il est fini, mais il est sain.

Car ses idées claires etdistinctes, si peu nombreuses soient-elles, sont vraies.Seulement la finitude de l'entendement explique que nous ignorions beaucoup de choses, elle n'explique pasque nous fassions des erreurs « car l'erreur n'est pas une pure négation mais plutôt est une privation dequelque connaissance qu'il semble que je devrais posséder ».«,..

Je ne puis pas aussi me plaindre que Dieu ne m'a pas donné un libre arbitre ou une volonté assez ampleet parfaite puisqu'en effet je l'expérimente si vague et si étendue qu'elle n'est renfermée dans aucune borne.»La volonté, à la différence de l'entendement, participe à l'infini, « en sorte que c'est elle principalement quime fait connaître que je porte l'image et la ressemblance de Dieu ».

Je dispose en effet d'un pouvoir absolude dire oui ou non, de décider de « faire une chose ou de ne la faire pas».

Dieu a créé arbitrairement lesvérités éternelles (il aurait pu les créer autrement) et moi, à l'image de la liberté divine, je disposerais d'unpouvoir absolu, non de créer à mon tour, mais d'accepter ou de refuser les évidences que Dieu me propose.De l'indifférence d'inclination (c'est-à-dire de l'hésitation d'une volonté mal éclairée par la raison) qui n'estqu'une caricature de la liberté, il faut distinguer une indifférence d'élection qui est une sorte de pouvoirabsolu que j'aurais de me tourner vers le mal et vers le faux même si mon entendement est parfaitementéclairé.

C'est du moins ce que précise Descartes dans une lettre au R.

P.

Mes-land du 9 février 1645.Mais, dans tous les autres textes Descartes interprète autrement la « perfection » de ma volonté.

On noteraaussi que si ma volonté était ce pouvoir de décision radical et quasi diabolique, elle suffirait à expliquerl'erreur.

Or Descartes dit exactement le contraire.

La volonté, parce qu'elle est « parfaite » n'est pas lasource de l'erreur.

Descartes reprend ici une idée de Thomas d'Aquin.

La volonté est parfaite parce qu'elletend toujours au bien.

Il conviendrait alors d'interpréter l'amplitude, l'infinité de la volonté comme une viséedu bien universel.

Dans les Sixièmes réponses (Réponse au 6' scrupule) Descartes écrit : « La volonté del'homme étant telle qu'elle ne se peut naturellement porter que vers ce qui est bon, il est manifeste qu'ilembrasse d'autant plus volontiers et par conséquent d'autant plus librement le bon et le vrai qu'il les connaîtplus évidemment.

»« D'où est-ce donc que naissent mes erreurs?...

De cela seul que la volonté étant beaucoup plus ample etplus étendue que l'entendement...

je l'étends aussi aux choses que je n'entends pas, auxquelles étant de soiindifférente elle s'égare fort aisément.

» L'erreur de mes jugements ne vient donc à proprement parler ni de l'entendement ni de la volonté mais durapport entre l'infinité de la volonté et la finitude de l'entendement.

Ma volonté décide d'affirmer une idéeavant (précipitation) que mon entendement l'ait pleinement éclaircie; elle affirme ainsi comme vraies desidées qui ne sont pas claires, qui sont des préjugés (prévention).Mais en quel sens l'entendre? On dit communément que la volonté cartésienne est identique à ce « librearbitre » de la croyance populaire, capable de choisir le mal alors que le bien est aperçu clairement (dumême coup Dieu est innocent du mal, c'est l'homme qui « volontairement » se sert mal de son libre arbitre).En ce sens l'erreur se ramènerait au péché.

M.

Gouhier qui accepte cette interprétation classique écrit :«C'est pécher que de ne pas se servir comme il faut de la raison et ici la première règle de la méthode estdevenue un onzième commandement de Dieu.

»La théorie de Descartes ne nous paraît pas aussi simple.

Descartes ne dit pas que je me trompe exprès (cequi serait bizarrement ramener l'erreur au mensonge).

Il explique par exemple à Gassendi (dans lesCinquièmes réponses) que je décide de manger une pomme (sur la simple vue de sa couleur et de son odeuragréable) et que peut-être, ce faisant, je commets une erreur (dans le cas où la pomme seraitempoisonnée).

Je puis décider de boire l'eau d'une fontaine publique sans m'enquérir sérieusement si elle estpotable.

Ma décision n'a pas attendu que je sois pleinement éclairci.

Mais un tel acte n'a rien de communavec la volonté délibérée de s'empoisonner.

C'est quoique j'ai voulu mon bien, et même très exactementparce que j'ai voulu mon bien que j'ai rencontré mon mal : «Il arrive souvent que c'est le désir de connaîtrela vérité qui fait que ceux qui ne savent pas l'ordre qu'il faut tenir pour la rechercher manquent de la trouveret se trompent »Dans les Principes de philosophie, Descartes entreprend de nous expliquer, c'est le titre même du paragraphe. »

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