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DURKHEIM: Que le déterminisme social garantit l'efficacité sociologique

Publié le 22/02/2012

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durkheim
C'est seulement au début du XIXe siècle, avec Saint-Simon d'abord, et surtout Auguste Comte son disciple, qu'une conception nouvelle s'est définitivement fait jour. Procédant, dans son Cours de philosophie positive, à la revue synthétique de toutes les sciences constituées de son temps, il constata qu'elles reposaient toutes sur cet axiome que les faits dont elles traitent sont liés suivant des rapports nécessaires, c'est-à-dire sur le principe déterministe; d'où il conclut que ce principe, qui avait été ainsi vérifié dans tous les autres règnes de la nature, depuis le règne des grandeurs mathématiques jusqu'à celui de la vie, devait être également vrai du règne social. Les résistances mêmes qui s'opposent aujourd'hui à cette extension nouvelle de l'idée déterministe ne doivent pas arrêter le philosophe; car elles se sont régulièrement produites chaque fois qu'il a été question d'étendre à un règne nouveau ce postulat fondamental, et elles ont toujours été vaincues«. Il fut un temps où l'on se refusait à l'admettre même dans le monde des corps bruts; il s'y est établi. On l'a nié ensuite des êtres vivants et pensants; il y est maintenant incontesté. On peut donc être assuré que les mêmes préjugés auxquels il vient se heurter, quand il s'agit de l'appliquer au monde social, ne dureront eux-mêmes qu'un temps. D'ailleurs, puisque Comte posait comme une vérité d'évidence — vérité, au reste, qui est maintenant incontestée — que la vie mentale de l'individu est soumise à des lois nécessaires, comment les actions et les réactions qui s'échangent entre les consciences individuelles, quand elles sont associées, ne seraient-elles pas soumises à la même nécessité ? De ce point de vue, les sociétés cessaient d'apparaître comme une sorte de matière indéfiniment malléable et plastique, que les hommes peuvent, pour ainsi dire, pétrir à volonté; il fallait désormais y voir des réalités, dont la nature s'impose à nous et qui ne peuvent être modifiées, comme toutes choses naturelles, que conformément aux lois naturelles qui les régissent. Les institutions des peuples ne pouvaient plus être considérées comme le produit de la volonté, plus ou moins bien éclairée, des princes, des hommes d'État, des législateurs, mais comme les résultantes nécessaires de causes déterminées qui les impliquaient physiquement. Étant donné la manière dont un peuple est composé à un moment de son histoire, l'état de sa civilisation à cette même époque, il en résulte une organisation sociale, caractérisée de telle ou telle façon, tout comme les propriétés d'un corps résultent de sa constitution moléculaire. On se trouve donc en face d'un ordre de choses stable, immuable, et une science pure devient, à la fois, possible et nécessaire pour le décrire et l'expliquer, pour dire quels en sont les caractères et de quelles causes ils dépendent (...) Les sciences, en même temps qu'elles proclament la nécessité des choses, nous mettent entre les mains les moyens de la dominer Comte fait même remarquer avec insistance que, de tous les phénomènes naturels, les phénomènes sociaux sont les plus malléables, les plus accessibles aux variations, aux changements, parce qu'ils sont les plus complexes. La sociologie n'impose donc nullement à l'homme une attitude passivement conservatrice; au contraire, elle étend le champ de notre action par cela seul qu'elle étend le champ de notre science. Elle nous détourne seulement des entreprises irréfléchies et stériles, inspirées par la croyance qu'il nous est possible de changer, comme nous voulons, l'ordre social, sans tenir compte des habitudes, des traditions, de la constitution mentale de l'homme et des sociétés. « Sociologie et Sciences sociales », in De la méthode dans les sciences.
durkheim

« peut dire que Durkheim y décèle un constat, une conviction, et la force d'une inférence logique; il n'y ade science que là où il y a liaison entre les faits suivant des rapports nécessaires (c'est la définition même du déterminisme, qui interdit qu'on le confonde avec le principe de causalité et tout ce que celui-cicomporte d'inévitablement métaphysique); toute science tire son efficacité et sa valeur de cet axiome;dans une Nature une et universelle, ce qui est vérifié là doit se vérifier ici. a. On reste dans l'histoire avec la deuxième partie du texte (Les résistances mêmes...

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la même nécessité ?).

Durkheim rappelle les résistances qu'a dû vaincre le principe du déterminisme pour s'imposer,d'abord dans le monde des corps bruts (allusion aux réactions suscitées par la révolution galiléenne?),puis dans le règne du vivant (il faut ici penser à l'oeuvre de Claude Bernard).

Mais de la régularité de l'apparition de ces résistances à celle de leur disparition, on peut tirer sociologiquement le pronostic, raisonnable parce que raisonné (on peut donc être assuré...), d'une victoire de la sociologie sur lespréjugés qui la freinent.

Mais cela prouve aussi que le progrès d'une science ne peut pas se réduire à laréarticulation purement formelle de son contenu logique, ni à l'accumulation de son savoir.

La « conquête» de la vérité passe par une « lutte des idées» que la sociologie appréhende, précisément, dans des «rapports de force».

Toute nouveauté, en un sens, est subversive : elle dérange l'ordre établi, il est inévitable que celui-ci résiste.

Si l'issue peut être prévue (non par le destin de l'universel, mais par la loiqu'on peut tirer de la règle), elle passe néanmoins par le conflit des forces en présence.

De ce point devue, toute épistémologie a besoin d'une sociologie de la connaissance — que Durkheim applique ici à lasociologie elle-même. b. La nouveauté historique, en l'occurrence, c'est donc un nouvel objet.

Avec le quatrième alinéa (—> ...

ils dépendent) commence la troisième partie de notre texte, plus spécifiquement épistémologique.

Nouvel objet : cela doit s'entendre en deux sens; un objet de plus dans le cadre de l'objectivité scientifique; un objetdifférent en lui-même, renouvelé dans sa conception, autrement qualifié du fait même que se trouvent «disqualifiées » toutes sortes de représentations antérieures.

Les sociétés sont désormais des réalités dont lanature s'impose à nous avec les lois qui les régissent : ce sont des choses à caractériser à partir de leurs causes.

Le point est capital dans la théorie sociologique — on y reviendra.

Notons seulement, pour l'instant,qu'.en des sociétés (parce qu'elles sont instituées autant qu'elles sont constituées) à l'observation, à la description et à l'explication qu'autorise la rationalité du principe déterministe (le moment de sa crise,dans les sciences physiques elles-mêmes, n'est pas encore venu), Durkheim les soustrait auxinterprétations subjectivistes » (volontaristes ou artificialistes) et à tout ce qu'elles comportent de tautologique,d'arbitraire ou d'irrationnel.

Notons aussi l'enchaînement de cause à effet qui produit la théorie elle-même: de ce que l'organisation sociale est désormais un résultat résulte à son tour la science pure de la sociologie. d) Ainsi, et pour finir, se précise le pouvoir de la sociologie (dernier paragraphe).

Conformément à la conviction rationaliste que le propre des sciences est de savoir tourner la nécessité, par les prisesqu'assure la compréhension qu'elle en a, en faveur et au profit des hommes (conviction triomphant encette fin de siècle, et culminant dans le « scientisme » — est-ce être sociologue que de remarquer, enl'occurrence, que Durkheim n'y échappe pas?), la capacité d'action de la sociologie se trouve ici affirmée, à raison même de la complexité des faits sociaux (plus il y a de rapports « en jeu », plus il peut y avoir de jeu » dans les rapports, qui favorise la variation : un constat que la biologie post-darwinienne n'a cessépour sa part de vérifier sur ses propres objets).

Contre les conservateurs qui tireraient argument du poids des déterminismes sociaux pour prôner l'immobilisme (et soutenir qu'on ne saurait agir sur les désordres dela société), Durkheim préserve, dans la théorie sociologique, toutes les raisons et toutes les chances de son efficacité pratique.

Mais contre les activistes » qui s'imaginent qu'un décret de la volonté suffit (pour changer le monde, ou la vie), il rappellequ'il faut savoir compter avec la nécessité. 3.

Cet aspect pratique de la sociologie durkheimienne invite à revenir sur un point qui, dans le texte, pourrait faire difficulté : les phénomènes sociaux sont-ils oui ou non malléables? Oui, si on se reporte à ceque nous venons de conclure — les plus malléables même de tous les phénomènes naturels, et pour des raisons que Comte avait lui-même avancées.

Mais, par ailleurs, les habitudes, les traditions, la constitution mentale de l'homme et des sociétés, qui résistent si fort au changement et qu'on ne peut pétrir à volonté, ne forment-elles pas un ordre de choses stable, immuable, qui nous force à récuser l' indéfinie malléabilité et plasticité de la matière sociale? Pour y voir clair, il faut reconsidérer le parti-pris déterministe qui objective les faits sociaux comme des choses : Durkheim s'en est lui-même expliqué dans de multiples mises au point.

Il n'y a pas de préjugé « réaliste » qui ferait des rapports sociaux des entités« données du dehors », avec une réalité physique, voire matérielle, soumise à l'attraction ou à la répulsioncomme les corps de la nature...

« Nous ne disons pas, en effet, que les faits sociaux sont des chosesmatérielles, mais sont des choses au même titre que les choses matérielles, quoique d'une autre manière.» La revendication est d'ordre épistémologique : il s'agit, contre les illusions de l'introspection et latentation d'inférer le sens des réalités sociales à partir de l'intuition du « moi », de voir autrement, de faire que l'esprit sorte de lui-même, « par. »

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