En quel sens peut on dire que nos paroles nous trahissent
Publié le 07/03/2005
                            
                        
Extrait du document
Un problème extrêmement débattu en philosophie de l’esprit reste celui sur l’antériorité de la parole ou de la pensée : pensons-nous avant de parler ou bien parlons-nous pour penser ? Nous n’avons pas ici à répondre à une telle question, aussi, pour plus de commodité, nous tiendrons pour acquis le fait que nous parlons couramment pour exprimer nos pensées. Puisque nous sommes capables de réfléchir en silence, la parole est le moyen que nous empruntons pour rendre nos pensées publiques. Si nous nous sentons heureux ou triste, nous dirons respectivement « Je suis heureux « ou « Je suis triste «. La bonne expression de la pensée passe le bon choix de mots, c’est-à-dire par l’adéquation entre ce que je pense et ce que je dis. Dès lors, si je m’exprime mal, si mes paroles sont confuses, la situation de communication est altérée et l’on ne me comprend pas ou peu. « Que vouliez-vous dire ? «, me demandera-t-on.
De ce point de vue, nos paroles ne nous trahissent pas, mais nous nous exprimons mal, c’est-à-dire nous faisons un mauvais usage de la parole. Toutefois, cette conception simplifie à l’extrême les choses, car elle revendique une maîtrise totale de la parole par la pensée. Or, si la pensée se rend publique par la parole, elle se soumet alors à un ensemble de conditions qui ne dépendent plus d’elle. Cette idée s’appuie la constatation que la manière dont nous parlons trahit ou laisse toujours transparaître quelque chose de nous. Les niveaux de langage en sont un exemple : ce n’est pas la même chose que de dire « C’est de la balle « (argot), « C’est chouette « (langage familier) ou « C’est intéressant « (langage soutenu) ; en l’entendant, nous savons alors que nous n’avons pas affaire à la même personne. Ensuite, le langage possède des ressources de sens qui excèdent les mots employés : c’est le cas de l’ironie. Par exemple, si dans une situation où je m’ennuie profondément, je dis sur un certain ton : « C’est génial «, on comprendra alors que je m’ennuie. Ce que signifie mes paroles va donc au-delà de ce que je dis, puisqu’en disant « C’est génial « je veux dire « C’est nul «. Dès lors, nos paroles, parce qu’elles se détachent de la pensée, nous trahissent toujours, c’est-à-dire révèlent quelque chose de nous.
«
                                                                                                                            Selon Bergson, en effet, le langage est une sorte de prisme, propre à la penséeconceptuelle, qui masque et déforme la réalité, car le mot, parce qu'il dépassel'individuel et appartient  au genre, est incapable  d'exprimer cette  réalité danstoutes ses nuances.
                                                            
                                                                                
                                                                    Dès que le mot est général, on tombe dans le concept.
                                                            
                                                                                
                                                                    Orle terme général,  selon Bergson, déforme  la réalité  dans la  mesure où il rendcommunes à un nombre indéfini de choses des propriétés singulières : lorsque jeparle de la douceur d'une chose, par exemple, j'emploie un terme général que jepuis appliquer à de nombreuses autres choses, à toutes les choses douces ; orchaque  chose est unique,  et unique  est la douceur  de chacune.
                                                            
                                                                                
                                                                    En  outre lelangage morcelle l'unité concrète des choses : lorsque je dis qu'une chose estdouce et légère et fraîche, je sépare ce qui en réalité ne peut l'être car la chosen'est pas un assemblage de qualités distinctes, mais une union intime de toutesses qualités; de plus, en disant qu'une chose est douce et légère, je sépare lachose de ses qualités, c'est-à-dire d'elle-même.
                                                            
                                                                                
                                                                    Enfin le langage fige la réalitéen disant ce qu'elle est, alors qu'elle devient toujours, qu'elle change, s'écoulecontinuellement.On comprend,  dans ces conditions, que l'on  puisse dire que nos paroles noustrahissent : que nous voulions décrire la réalité  du monde extérieure ou notreréalité intérieure, les mots se révèlent des outils imparfaits, ils nous secondentmal, parfois  même ils nous  abandonnent  complètement.
                                                            
                                                                                
                                                                     Et ce  qui  vaut  pournotre expérience ordinaire du monde vaut évidemment davantage  encore pour	cette expérience proprement extraordinaire qu'est l'expérience mystique du divin : tous les mystiques s'accordent àreconnaître que toute  parole  est fondamentalement  inapte à exprimer  le divin  et l'expérience  qu'en peut fairel'homme.
 La seule expression possible de la pensée et du réel ?
Une pensée pure inexprimable ?
Mais si selon Bergson la pensée demeure incommensurable au langage, cela signifie qu'il existe au-delà de la penséeformulée dans le langage (c'est-à-dire de la pensée conceptuelle) une autre forme de pensée, une pensée pure etvraie, qui est la pensée intuitive « vision directe de la réalité ».
C'est dans les mots que nous pensons.
Mais on peut remettre en cause une telle vue, et aussi bien affirmer qu'une telle pensée au-delà du langage n'estpas autre chose qu'une pensée qui n'existe pas encore, qu'il n'est pas de pensée sans langage, qu'une pensée nonformulée dans le langage n'est qu'un fantôme qui s'évanouit aussitôt qu'il surgit.
                                                            
                                                                        
                                                                    Ainsi 	Hegel observe-t-il que «c'est	dans  les mots  que nous  pensons.
                                                            
                                                                                
                                                                     [...] Nous  n'avons  conscience  de nospensées, nous n'avons des pensées déterminées et réelles que lorsque nousleur  donnons  la forme  objective,  que nous  les différencions  de notreintériorité, et que par suite nous les marquons de la forme externe, mais d'uneforme qui contient aussi le caractère de l'activité interne la plus haute.
                                                            
                                                                                
                                                                    C'estle son  articulé,  le mot,  qui seul  nous  offre  une existence  où l'externe  etl'interne sont si intimement  unis.
                                                            
                                                                                
                                                                    Par conséquent,  vouloir penser  sans lesmots,  c'est une tentative  insensée.
                                                            
                                                                                
                                                                     [...] Et il est  également  absurde deconsidérer comme un désavantage et comme un défaut de la pensée cettenécessité qui lie celle-ci au mot.
                                                            
                                                                                
                                                                    On croit  ordinairement, il est vrai, que cequ'il y a de plus haut, c'est l'ineffable.
                                                            
                                                                                
                                                                    Mais c'est là une opinion superficielle etsans fondement;  car, en réalité,  l'ineffable,  c'est la pensée  obscure,  lapensée à l'état de fermentation, et qui ne devient claire que lorsqu'elle trouvele mot.
                                                            
                                                                                
                                                                    Ainsi le mot donne à la pensée son existence la plus haute et la plusvraie » (Philosophie de l'esprit).
                                                            
                                                                                
                                                                    Les paroles ne  trahissent pas en fait notrepensée.
                                                            
                                                                                
                                                                    Nos sentiments et nos impressions, qui nous paraissent inexprimablesou mal rendus par les possibilités expressives de la langue, ne sont en fait queconfus et manquent de réalité pour pouvoir être exprimés dans l'élément dulangage.
La structure de la langue, origine de l'impression d'être trahis par nosparoles ?
Mais que nous  admettions  ou non  une pensée  au-delà  du langage,  ne peut-on  pas dire  que nos paroles  noustrahissent,  non plus  en ce sens  qu'elle  ne permettent  pas d'exprimer  exactement  notre pensée,  mais qu'ellesinduisent notre pensée en erreur, qu'elles nous trompent en raison d'un manque de clarté et de cohérence internedu langage lui-même? En effet, si nos paroles nous trompent, n'est-ce pas parce que le langage est ambigu? N'est-ce pas parce que le sens des mots n'est pas nettement défini, que les mêmes mots, les mêmes phrases possèdentsouvent plusieurs  sens, parfois divergents, voire  contradictoires ? De là ces incompréhensions et ces  erreurs deraisonnement que dénonçait Aristote en observant que « l'erreur vient de la ressemblance, et la ressemblance dudiscours » (Réfutations sophistiques, 169 b).
                                                            
                                                                                
                                                                    Il nous faut donc examiner en quoi consiste l'ambiguïté du langage ; or.
                                                                                                                    »
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