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En quel sens peut-on dire que nos paroles nous trahissent ?

Publié le 28/08/2005

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. Austin, Quand dire c'est faire), "Nous prendrons donc comme premiers exemples quelques énonciations qui ne peuvent tomber sous aucune catégorie grammaticale reconnue jusqu'ici, hors celle de l'« affirmation » ; des énonciations qui ne sont pas, non plus, des non-sens, et qui ne contiennent aucun de ces avertisseurs verbaux que les philosophes ont enfin réussi à détecter, ou croient avoir détectés : mots bizarres comme « bon » ou « tous » auxiliaires suspects comme « devoir » ou « pouvoir » constructions douteuses telles que la forme hypothétique. Toutes les énonciations que nous allons voir présenteront, comme par hasard, des verbes bien ordinaires, à la première personne du singulier de l'indicatif présent, voix active. Car on peut trouver des énonciations qui satisfont ces conditions et qui, pourtant, A) ne « décrivent », ne « rapportent », ne constatent absolument rien, ne sont pas « vraies ou fausses » ; et sont telles quen B) l'énonciation de la phrase est l'exécution d'une action (ou une partie de cette exécution) qu'on ne saurait, répétons-le, décrire tout bonnement comme étant l'acte de dire quelque chose. (...)Exemples :(E.a) « Oui [je le veux] (c'est-à-dire je prends cette femme comme épouse légitime) » - ce « oui » étant prononcé au cours de la cérémonie du mariage.(E.b) « Je baptise ce bateau le Queen Elisabeth - comme on dit lorsqu'on brise une bouteille contre la coque.(E.c) « Je donne et lègue ma montre à mon frère » - comme on peut le lire dans un testament.

Parler, c’est dire ce que l’on pense, c’est-à-dire rendre publiques nos pensées. De ce point de vue, les paroles que nous proférons transmettent un message dont nous fixons nous-mêmes le sens. Dès lors, comment penser que nos paroles puissent, en un sens, nous trahir ? D’abord, on peut s’interroger sur les conditions dans lesquelles nous parlons : sous le coup de la colère, je dis des choses que je ne pense pas (« mes paroles dépassent ma pensée «) ou bien que je ne voulais pas dire. La trahison ce joue alors dans le décalage entre ce que je pense et ce que je dis, c’est-à-dire par l’absence de maîtrise dans ce que je dis.

Dès lors, nous devons remarquer deux choses : d’une part, parler, c’est parler à quelqu’un. Autrement dit, ce que je dis en susceptible d’être interprété par autrui : le sens de mes paroles se fixent aussi dans leur réception. Il ne s’agit pas de dire qu’autrui comprend mal mes propos, mais que mes paroles disent toujours plus que ce que je pense y mettre. La parole est donc le lieu d’un excès de sens. D’autre part, depuis les travaux de la psychanalyse, il n’est plus possible de tenir la pensée pour maîtresse d’elle-même : ainsi, ce que nous disons révèle toujours plus que ce que la pensée elle-même ne cherche à révéler dans la parole. C’est le cas, par exemple, du lapsus. Là encore, la parole est soumise à l’excès de sens. C’est cet excès que nous devons examiner, puisque nous nous demandons bien en quoi nos paroles, et non nous-mêmes, nous trahissent lorsque nous parlons.

« ne la discute pas.

On n'a pas plus besoin de démontrer cette assertion qu'il n'y a àprouver que « damnation ! » n'est ni vrai ni faux : il se peut que l'énonciation « serveà mettre au courant » — mais c'est là tout autre chose.

Baptiser un bateau, c'estdire (dans les circonstances appropriées) les mots « Je baptise...

» etc.

Quand je dis,à la mairie ou à l'autel, etc.

« Oui [je le veux] », je ne fais pas le reportage d'unmariage : je me marie.Quel nom donner à une phrase ou à une énonciation de ce type ? Je propose del'appeler une phrase performative ou une énonciation performative ou — par souci debrièveté — un « performatif ».

Ce nom dérive, bien sûr, du verbe [anglais] perform,verbe qu'on emploie d'ordinaire avec le substantif « action » : il indique que produirel'énonciation est exécuter une action (on ne considère pas, habituellement, cetteproduction-là comme ne faisant que dire quelque chose.

(...)PEUT-IL ARRIVER QUE DIRE UNE CHOSE CE SOIT LA FAIRE ?(...) Une telle doctrine semble d'abord étrange, sinon désinvolte ; mais pourvue degaranties suffisantes, elle peut en venir à perdre toute étrangeté." AUSTIN in "Quand dire, c'est faire", 1ère conférence, Paris, Editions du Seuil, 1970. 3.

la situation psychologique par rapport à l'interlocuteur (l'analyse transactionnelle étudie la parole en action où lesujet qui parle choisit sa position d'enfant, d'adulte ou de parent à l'égard de son interlocuteur). Il importe de réfléchir à l'opposition de la parole comme action et de la parole comme témoin.

La parole commeaction : cf..

Bergson dans L'Évolution créatrice : grâce au langage, une action commune est possible, mais du mêmecoup le langage, en découpant le monde, laisse échapper le mouvement de l'intuition - la parole nous trahit danscette incapacité à rendre compte de la réinvention sans fin dont témoigne la durée: « Ce ne sont pas seulement les objets extérieurs, ce sont aussi nos propres états d'âme qui se dérobent à nousdans ce qu'ils ont d'intime, de personnel, d'originalement vécu.

» La parole peut être comprise comme témoin involontaire de tout ce qui est de l'ordre de l'inconscient.

La parole noustrahit parce qu'elle révèle ce que nous tenons secret au plus profond de nous.

Cf.

Freud, L'Interprétation des rêves: sur la nécessité d'une transcription (übertragen, traduction) des pensées du rêve, distinction du contenu latent.Ici la trahison est transcription. " Ca parle là où ça souffre" : cet aphorisme de Jacques Lacan souligne la liaison étroite entre le langage et la psychanalyse.

Lapsus, rêves, cure, toutse joue autour de la question du langage et de sa signification. La révolution psychanalytique part d'une constatation dont toutel'oeuvre de Freud s'efforce d'administrer la preuve en étendant ses recherches depuis le comportement du sujet individuel jusqu'auxmanifestations culturelles de l'humanité (art, religion, guerre, morale); l'hommen'est pas le centre de lui-même.

Il y a en lui un autre sujet que le sujetconscient de la psychologie traditionnelle dont les racines sont à trouver ducôté de la sexualité: l'inconscient. La découverte freudienne n'est dont pas une recherche de type biologique ouphysiologique, encore moins une apologie des instincts, et le psychanalysten'est pas tant à comparer à un explorateur de fonds inconnus qu'à unlinguiste tentant de déchiffrer des réseaux de signes et d'en interpréter lesens.

Ce qui a été "refoulé" continue de fonctionner en dehors du sujet, et le nouveau sujet de cet "en dehors" est strictement ce qu'on nommeinconscient.

Une vérité, une conduite refoulée s'expriment ailleurs, dans unautre registre, en langage chiffré et clandestin.

Sous la voix claire de notreconscience, murmure ou quelque fois crie une autre voix, celle d'une histoiretrès ancienne, celle de notre passé individuel et plus généralement de notre culture qui nous conte des récits faits d'inceste, de meurtre et de parricide. Freud , nous donne donc à comprendre que l'homme est indissociablement un être de désir et un être de langage et que le premier a besoin du second pour se dire ou pour se cacher.

L'inconscient est donc un langage quine cesse de parler, qu'il s'agisse de la folie, parole qui a renoncé à se faire (re)connaître, ou de la "normalité" dans laquelle le sujet ne parvient que rarement à maîtriser son inconscient. Dans tous les cas de figure, la psychanalyste nous montre que le lieu en lequel l'homme accède à sonhumanité est le lieu de l'ordre du Symbolique, c'est-à-dire de la culture formellement identique à l'ordre du langage.Mais, cet ordre du Symbolique peut être aussi le lieu où l'homme "rate" son humanité. Ainsi, toute psychanalyse s'organise autour du langage, de la "maladie" à la "guérison" en un geste qui légitime. »

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