Devoir de Philosophie

Est-il plus facile de faire son devoir que de le connaître ?

Publié le 19/08/2010

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Le devoir est l'obéissance à une loi morale universelle que nous construisons nous-même et suppose d'une manière ou d'une autre l'autonomie de la volonté. Le devoir exprime une obligation qui n'a rien à voir avec la nécessité et la contrainte. Car ce qui est obligatoire peut être fait ou ne pas fait, alors que je ne puis en aucun me soustraire à ce qui est nécessaire. Le devoir et l'obligation morale sont libres ; devant le nécessaire la volonté doit s'incliner. La connaissance relève du savoir, et de la réflexion ; or avoir connaissance de quelque chose c'est en avoir conscience, c'est-à-dire pouvoir déterminer ce qu'il est. Mais dans ce cas est-il plus facile de faire son devoir que de le connaître ? La question pourrait nous désarçonnait puisqu'il semblerait logiquement que pour faire quelque chose, il faut en avoir connaissance, il faut le connaître et en avoir conscience. Autrement dit, il semble que l'un ne pas sans l'autre. Pourtant, le sujet nous pose comme une affirmation qu'« il est plus facilement de faire son devoir que de le connaître «. Dès lors ce serait dire que nous pouvons faire notre devoir de manière spontanée, presque naturellement sans connaître la règle sous-jacent à notre action. Mais comment savoir alors que nous avons bien agi et que notre devoir était bien justement notre devoir ? Ne faut-il pas déjà connaître son devoir pour pouvoir agir moralement ? On le voit, c'est dès lors le statut de la morale et la possibilité de toute action conforme au devoir qui est en question ici.             Or s'il semble possible que soit plus facile de faire son devoir sans le connaître en écoutant simplement ses sentiments comme la sympathie et la pitié (1ère partie), il faudra envisager les conséquences en vue de la fondation même d'une morale et le risque de réduire la morale et le devoir à un pur instinct ou à un mécanisme intérieur et sur un renversement possible du rapport de facilité (2nd partie). Cependant, si ce renversement se trouve fondé alors nous serons face à un paradoxe, mais peut-être pourrons-nous nous en dégager en se demandant quelle nécessité y a-t-il d'opposer la théorie à la pratique du devoir, même si cela passe par une redéfinition plus large du devoir (3ème partie).

« Mais à quoi me servira de chercher? Rien ne paraît «: ce sont là les mots d'un ami de Pascal qui se plaignait de ne point trouver Dieu malgré ses efforts. Il avait beau se prêter à tout les exercices que recommande la piété la plus honnête, au cœur de son activité zélée, jamais il ne trouvait la foi, soit cette révélation qui éclaire le cœur du croyant et donne sens à sa vie. Ce n'est pas tant la question de Dieu qui nous intéresse ici que la réponse que lui fit  Pascal. En effet, il répondit à ce dernier: « La machine «. La machine, comprenons-le tout de suite, c'est le corps, ainsi que ce qui dans l'âme participe à son mécanisme. Pourquoi cette réponse énigmatique? Pourquoi parler du corps à celui qui désire ardemment connaître Dieu? Il faut relier cette réponse à un fragment des Pensées (661) qui nous rappelle que « nous sommes automate autant qu'esprit «. Force est de constater que nous pouvons faire sans comprendre, faire sans connaître. Notre corps peut prendre certaines habitudes, certains plis, qui ne sont pas nécessairement – mieux, qui ne doivent pas forcément, nécessairement l'être – conscient. Par conscient, il faut ici entendre qu'il existe une certaine classe de comportements qui n'exige pas de retour sur soi, soit la conscience de faire. On peut parler en ce sens d'habitude. Ainsi pouvons-nous avoir l'habitude de faire ce qui doit être fait, ce qui est validé par notre entourage ou même la société, sans que ce faire soit conscient. Nous le faisons parce que nous l'avons appris comme ça, nous le faisons parce qu'il en a toujours été question de cette manière et non d'une autre, sans même que nous sachions seulement pourquoi. Ainsi la machine se ploie, sans qu'il soit question de s'interroger sur la raison de ce plie. Si jamais il arriva que nous puissions connaître notre devoir, ce n'est plus le cas. Nous devenons automate. Faire sans connaître, c'est faire par habitude, c'est faire machinalement justement. La machine est pour ainsi dire notre première marge. Mais il en existe une autre, celle de ce que l'on pourrait appeler communément l'intuition. En effet, peut-on penser le devoir que comme exclusivement oeuvre de la raison? La raison est un sujet bien sensible, une faculté à laquelle Rousseau reprochera d'être bien inégalement réparti dans le temps et chez les hommes. Pourtant, avant que cela ne soit parfaitement compris, ou même compris tout simplement, certains enfants ne volent pas ou plus, certains hommes ressentaient l'injustice faite aux esclaves noirs, certains hommes s'indignaient contre le massacre des indiens d'Amérique. Si l'on prend ces exemples, c'est pour marquer la relativité évidente d'une raison qui sut élaborer des théories justifiant l'esclavagisme, d'une raison qui sut justifier la supériorité d'une « race « sur une autre pour légitimer une invasion meurtrière, des missionnaires plus que discutables... La raison d'hier n'est pas celle d'aujourd'hui, ce qui était connu hier, est moqué aujourd'hui.

« Montaigne: « Ah! Ce sont mes propres flèches qui ont causé mes blessures » II. Commençons ici par un passage des Essais de Montaigne: « Et par là que veut elle dire, sinon que nostre devoir n'a autre règle que fortuite? La vérité doit avoir un visage pareil et universel.

La droiture et la justice, si l'homme enconnaissoit qui eust corps et véritable essence, il ne l'attacheroit pas à la condition des coustumes de cettecontrée ou de delle là; ce ne seroit pas de la fantasie des Perses ou des Indes que la vertu prendroit sa forme .

» Le devoir n'est ainsi, et Montaigne se contente d'observer cela d'un point de vue simplement factuelle, que fruit dela « fantasie », entendons l'imagination, celle des peuples à travers l'espace et le temps.

Les règles sont gratuite, arbitraires, sinon comment expliquer ce désaccord global d'un bout à l'autre de la planète en matière de morale et delégislation.

Montaigne consacre des pages à la présentation de ces multiples et parfois incommensurables disparités.De toute évidence, il ne semble pas exister de vertu en soi , qui sera à la disposition des hommes en dehors de toutes considérations circonstancielles quant aux lieux et aux temps. Il ne faut pas croire que nos valeurs ont quelques encrages dans des lois naturelles, présentes dans le coeur deshommes de tous temps et en tous lieux.

« Il est croyable qu'il y a des loix naturelles (...); mais en nous elles sont perdues ».

Et c'est à Montaigne de citer Cicéron dans De finibus : « Il ne reste rien qui soit véritablement nôtre: ce que j'appelle nôtre n'est qu'une production de l'art ».

Tout est fabriqué en l'homme: sa nature a été effacée par les coutumes, les habitudes, sa culture.

Et puisqu'il a perdu contact avec sa nature originelle, il doit se contenter deslois de son pays, sans prétendre qu'il existe un juste en soi (c'est par orgueil qu'il croit le trouver), où que ces loissont légitimement fondé sur une lois naturelles.

Finissons par cette métaphore qu'établit Montaigne, qui nous pousseà observer les lois de notre pays sans leur chercher un fondement méta-historique: « Les loix prennent leur authorité de la possession et de l'usage; il est dangereux de les ramener à leur naissance: elles grossissent ets'ennoblissent en roulant, comme nos rivières: suyvez les contremonts jusques à leur sources, ce n'est qu'un petitsurion d'eau à peine reconnoissable, qui s'enorgueillit ainsin et se fortifie en vieillissant ». Connaître notre devoir est une tâche toujours superficielle: il nous faut nous résoudre à renoncer, renoncer à unecompréhension concernant un fondement ou même une origine des devoirs que nous nous appliquons à suivre.Morale et politique sont traitées ici au même point: contentons-nos de nous appliquer aux respects des règles, sansremettre l'ensemble en question.

On peut bien évidemment discuter des lois, mais Montaigne craint que celui quidésire en changer certaines n'introduisent bien plus de désordre que la quantité de désordre qu'il souhaitait résorber.Le risque est toujours ici d'être blessé par ses propres flèches.

C'est pour cela que Montaigne opte pour unconservatisme moral et politique, puisqu'on ne peut toucher à cet édifice que sont les règles sans risquer bien plusde dégât.

Il est ainsi plus aisé de se contraindre à la règle que de tenter dangereusement d'en contester la courbepar un acte de connaissance à jamais repousser dans les plis et replis de la fortune et de la fantaisie humaine. Entre Foucault et Pascal? III. Pour Foucault, la loi (qu'elle soit morale – devoir – ou politique), comprise comme instrument de coercition sociale,va être ce qui va me construire de pied en cap comme sujet, ce qui va me donner mon allure propre.

La mécaniquedu pouvoir qui traverse le jeu des normes de discipline, impose des comportement corporels, fabriquant ainsi descorps dociles et soumis: « Dans toute société, le corps est pris à l'intérieur de pouvoir très serrés qui lui imposent des contraintes, des interdits ou des obligations » (dans Il faut sauver la société ).

Les lois disciplinent le corps, elles exercent une véritable coercition sur ses postures, elles surveillent ses gestes, produisent ces comportements.Foucault dit ainsi en ce sens dans Dits et Ecrits : « Le corps humain entre dans une machine du pouvoir qui le fouille, le désarticule et le recompose ».

Nous revenons en ce point à la machine pascalienne. Cette vision de la loi est capitale.

En effet, dans cette vision foucaldienne, la loi n'est plus simplement ce quiinterdit, ce qui m'empêche de l'extérieur, mais devient véritablement quelque chose d'intériorisé et cetteintériorisation de loi est négative.

En effet, cette intériorisation de la loi va lui donner une autre fonction quesimplement celle d'interdire, de contraindre: elle va produire au sein même de l'individu des comportements.

D'un rôlepurement négatif (interdire, exclure, empêcher), elle va devenir un mécanisme ouvert et positif qui ne cesse des'étendre pour créer de nouveau comportements à partir de foyer de contrôle disséminés dans la société.

La loi estpartout, où que j'aille je suis cerné par leur présence.

Au point que je m'y soumet même inconsciemment d'ailleurs. Mais comprenons que le point principal est ici celui-ci: alors que le rôle des institutions disciplinaires étaitessentiellement négatif dans les sociétés souveraines (interdire), celles-ci jouent désormais un rôle positif etproductif: il faut faire croître l'utilité des individus.

Par exemple, la discipline induite par les normes et lois au seind'un atelier de production, ne se contente pas de prévenir de possibles débordements individuels: elle produit desrendements plus élévés, des cadences toujours plus rapides en créant des comportements appropriés.

Or, toutes lesinstitutions disciplinaires présentent au sein de la société communiquent entre elles via le jeu des normes, des lois qui imposent leur message, leur discipline: « Quoi d'étonnant si la prison ressemble aux usines, aux écoles, aux casernes, aux hopitaux qui tous ressemblent aux prisons? (...) Tandis que les établissements disciplinaires semultiplient, leurs mécanismes ont une certaine tendance à ce désinstitutionnaliser, à sortir des forteresses closesoù ils fonctionnaient » (Surveiller et Punir ). Pour reprendre l'idée de Sartre citée plus haut: nous sommes pétris par notre milieu, et ce dès notre naissance.

Maisnous pouvons ici revenir un instant à Pascal.

Ce dernier évoque dans les Pensées ce mécanisme par lequel l'homme ne cesse de se divertir afin de ne point penser aux questions existentielles profondes et angoissantes comme lamort qui finira par le prendre un jour ou l'autre.

Ainsi, celui chasse, ne chasse pas pour le lièvre qu'il poursuit, mais. »

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