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Est-il vrai de dire que l'homme a des désirs quand l'animal n'a que des besoins ?

Publié le 17/01/2022

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  • a) L'opinion commune

  Au sens large, le besoin est « l'état d'un être par rapport à ce qui lui est nécessaire en vue de n'importe quelle fin, soit interne, soit externe ; soit qu'il ignore, soit qu'il le sache « (Lalande). En ce sens nous dirons « J'ai besoin d'un marteau pour enfoncer ce clou «.
 Cependant, on introduit communément une restriction à cette définition en ne considérant comme besoin que ce qui relève d'une exigence de la nature. Pris en ce sens restreint, le besoin se définit comme l'état d'un être par rapport aux moyens indispensables à son existence, sa conservation ou son développement « (Lalande). On oppose alors le besoin au désir, lequel ne présenterait pas ce caractère nécessité. Ainsi, parce qu'il reste au niveau des nécessités biologiques, l'animal n'a que des besoins. En revanche, parce qu'il rechercherait autre chose que ce dont il a besoin, l'homme aurait des désirs.

  •  b) Le problème

 Mais se pose le problème du fondement objectif de ce caractère de nécessité par lequel le besoin se distinguerait du désir. Car tout désir ne répond-il pas lui aussi à une nécessité ? Est-il donc vrai de dire que l'homme a des désirs quand l'animal n'a que des besoins ?

« Ne peut-on pas alors, à l'instar de Hegel, voir dans le besoin animal et le mouvement de la vie la premièremanifestation du désir et de l'Esprit au sein de la nature? Inversement, ne peut-on pas penser les besoins deshommes comme pris dans la dialectique historique de leurs désirs? On peut, avec Hegel, voir l'émergence de la vie au sein de l'inerte comme letravail de la négativité introduisant le mouvement au sein de la nature.

Lebesoin qui travaille le vivant peut alors être interprété, selon une perspectivetéléologique, comme le premier éveil du désir et de l'Esprit au sein de lamatière.

Le désir ne serait alors rien d'autre que le besoin devenant peu à peuconscient de lui-même, rompant avec la finitude qui le bornait à l'éternellerépétition du même, dans la sphère naturelle, pour s'ouvrir à l'altérité, aumouvement et à l'histoire.

C'est peut-être en effet dans la vie organique quel'Esprit fait sa première apparition dans le monde et y amorce son retour à soi.Le besoin animal peut alors être pensé comme l'effort de l'Esprit déchirant ladure carapace de la matière dans laquelle il était emprisonné.

Dès lors, ledésir spécifiquement humain apparaît comme ce qui donne à ce travail dunégatif, d'abord sourd, sa pleine effectivité : l'homme ne se contente pas desatisfaire ses désirs en consommant et détruisant les objets, il transformeradicalement le monde selon les désirs nés de son esprit.À son tour, la négativité infinie et radicale qui est celle du désir humaintransforme techniquement ta nature et mobilise la matière inerte par le travail: le monde de l'homme n'est plus un monde naturel, mais un monde ouvré parl'homme.

La dévorante inquiétude du désir de cet animal toujours insatisfaitspécifie la matière en fonction des buts propres à l'homme, au cours del'histoire des techniques et du travail.

Or, au sein de ce monde transformé parle désir naissent de nouveaux besoins, spécifiquement humains : le besoin n'est pas ici purement biologique, il est à penser plus largement comme l'état d'un être qui manque de ce qui lui estnécessaire pour atteindre un but qu'il s'est fixé.

Il est en effet des besoins en vue d'une vie spécifiquementhumaine, qui dépassent les bornes de la simple survie animale : l'homme a des besoins sociaux, des besoins culturelsau sein d'une société donnée.

Les besoins se particularisent au sein de l'histoire née du désir.Ainsi donc, le désir s'historicise et se transforme en besoin dans un monde transformé par l'homme.

Cela est vrai del'espèce, mais aussi de l'individu : dans l'amour, le besoin physique, une fois dépassé par l'inquiétude du désir, setransforme en besoin affectif, moral et spirituel...

en désir de plénitude d'être.

Toutefois ce rapport dialectique nousautorise-t-il à réduire le désir au besoin et à renoncer à penser la spécificité humaine du désir? Le besoin moral et spirituel que nous venons d'évoquer ne peut-il être pensé comme constituant l'essence même dudésir? À ce stade de l'analyse, on peut définir le manque spécifiquement humain comme étant manque d'être,qu'aucune consommation d'objets finis ne saurait combler.

Le désir porte sur un autre désir, et son secret estontologique : ainsi le manque dont souffre et jouit l'amoureux, lorsqu'il exprime son désir et son besoin moral etspirituel de l'autre - besoin et désir, ici, c'est tout un - est manque de plénitude ontologique.Le beau mythe d'Aristophane, dans le Banquet, préfigure, par l'image, l'essence du désir amoureux et son objet, telsque la raison pourra les penser : le désir est désir de plénitude d'être.

Les petits êtres du mythe sont, avant leurdivision par Zeus, complets et heureux et aspirent ensuite à le redevenir.

La sphère est ici le symbole du SouverainBien, parachevé, parfait, autarcique et autosuffisant, ayant absolument valeur de fin.

La prêtresse inspirée, Diotime,portera cette première intuition à la lumière du logos : le désir amoureux n'est pas désir d'objet ou désir depossession.

IL est désir de création dans le beau, ce qui est pour un être qui se sait mortel la manière de tendrevers l'immortalité qu'il n'a pas.

Son véritable objet est le Beau, splendeur sensible du Bien, qui nous émeut ici-basplus qu'aucune autre essence, et provoque la réminiscence de l'âme brûlante de désir.

Celui qui, au terme de ladialectique ascendante, de la purification et de l'intensification du désir, contemple le Beau, sait désormais ce qu'ilrecherchait en l'autre et avec lui : une plénitude d'être par conversion de l'âme à l'intelligible dont elle est parente.L'homme alors devient presque divin.L'homme est donc l'être du désir qui projette d'être Dieu.

Mais peut-être n'arrive-t-il « à réaliser qu'un dieu manqué»( Sartre ).

Il ne peut jamais coïncider avec soi, être soi comme les animaux le sont dans la sphère bornée du besoinet la léthargie de l'assouvissement.

En effet, la conscience (le pour-soi humain) n'est-elle pas l'inquiétude dunégatif, le néant qui troue l'opacité de l'être? Ayant sans trêve à se temporaliser pour s'arracher à l'en-soi qu'ellen'est plus, pour viser par le projet ce qu'elle n'est pas encore, la conscience est par essence désir.La conscience, par nature, ne peut jamais coïncider avec soi : ce serait sa mort en tant que conscience qu'une telleretombée dans l'en-soi.

La conscience n'est, on le voit, conscience, que par te manque qui la constitue, au regardde cette totalité manquée : ainsi donc, tant vit la conscience, tant vit le désir, tant la conscience se temporalise etse dynamise, de façon extatique et exténuante. On peut donc dire que l'homme, non seulement a des désirs, mais est désir, sujet désirant.

L'animal, lui, est dans lebesoin, chose parmi les choses.

Il est l'objet du besoin spécifique, alors que le désir marque l'apparition du sujet àjamais inapaisé, de la douloureuse négativité qui pourtant aspire à la sérénité de l'être.

Le désir, douleur etdynamisme à la fois exaltant et harassant, n'est-il pas L'aspiration à la valeur qui préside à toute création : créationd'oeuvre, création d'une vie qui soit une oeuvre ? Mais si la valeur ne peut jamais, comme telle, s'incarner dansl'être, cela signifie aussi que pour la conscience désirante jamais la tâche de construction de soi n'est achevée.C'est donc par essence que l'homme, être de désir, est un être inachevé : un être libre qui a toujours à être ce qu'ildoit être.. »

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