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Etudiez cette idée de Stendhal : «Toute ceuvre d'art est un beau mensonge... Tous ceux qui ont écrit le savent bien.»

Publié le 21/12/2010

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stendhal

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« peut-être, mais «beau mensonge». 2 L'oeuvre littéraire ment par rapport aux autres hommes Donc, souvent insincère par rapport à lui-même, l'écrivainest-il plus sincère et lucide par rapport aux autres hommes ? C'est en tout cas sa grande prétention que cettelucidité psychologique, cette sorte d'impitoyable analyse de tout ce qui l'entoure.

Mais là encore n'y a-t-il pasbeaucoup de bluff et de mensonge : «Tous ceux qui ont écrit» sont, quand ils se confessent, assez réservéségalement sur ces vérités-là.

Par exemple les personnes que connaît très bien un écrivain, il ne les peint guère, pourmille raisons, sociales et humaines.

Un romancier peint mal les êtres qu'il aime beaucoup : il évoque rarement safemme quand le mariage est bon ; il la peindrait plutôt s'il avait à s'en venger.

Rappeler ici un curieux passage deMontherlant dans Le Démon du bien, tome III de la série des Jeunes Filles : c'est au moment où Costals en a assez de Solange et s'est provisoirement débarrassé d'elle qu'il écrit un roman où elle lui fournit une part de son inspiration: «Il la vidait, Solange, comme un plat qu'on sauce, comme un lac embourbé qu'on récure complètement.

Il lapompait et la dégorgeait dans son roman.

Elle était loin et elle se croyait à l'abri.

Mais de loin il lui soutirait sesfluides et la dépersonnalisait, par son art, comme elle lui avait soutiré ses fluides et l'avait dépersonnalisé, par lapuissance d'ennui qui émanait d'elle.

Et il la dépersonnalisait doublement, parce qu'il dispersait ses traits dansplusieurs des personnages de son livre ; elle cessait d'être un individu, elle cessait d'être.

«Ah! tu as voulu boiremon âme!».

Maurois a beaucoup mieux peint dans Climats sa première femme, Janine, dont il était très amoureux, mais dont le tempérament lui restait assez étranger, que sa seconde femme, Simone de Caillavet, avec qui ilsemblait pourtant avoir une entente intellectuelle plus grande.

C'est peut-être qu'en réalité on peint mieux ce qu'on veut attaquer : un des plus admirables psychologues de notre littérature, Saint-Simon, peint la Cour pour s'envenger.

Une bonne peinture est souvent, en littérature, agressive, vengeresse.

C'est dire qu'elle a beaucoup dechances d'être mensongère : la danseuse Caryathis n'était sûrement pas le monstre qu'évoque Jouhandeau dans sesChroniques maritales .

Inversement, les romanciers qui veulent n'avoir aucun point de vue a priori*sur les autres hommes, être impartiaux en somme, font souvent de mauvais romans ; erreur, au moins en théorie, des romanciersnaturalistes : le point de vue du romancier n'est pas celui du savant impartial.

Comme dit Sartre dans un articlecélèbre sur Mauriac, cet auteur a peut-être commis l'erreur de vouloir se trouver, en tant que romancier, une placeprivilégiée dans son système romanesque, d'où il s'efforce de juger, en toute connaissance, ses personnages, bref ila cherché à prendre le point de vue de Dieu.

Or «au regard de Dieu qui perce les apparences sans s'y arrêter, iln'est point de roman, il n'est point d'art, puisque l'art vit d'apparences.

Dieu n'est pas un artiste ; Monsieur Mauriacnon plus.» («M.

Fr.

Mauriac et la liberté», 1939, in Situations I.) Ainsi, loin de connaître un homme universel, l'artiste présenterait plutôt un réquisitoire contre les hommes particuliers : La Rochefoucauld croyait peindre l'hommeuniversel ; en fait ses Maximes pessimistes sont souvent une attaque contre ceux qui l'ont empêché de réussir et c'est d'ailleurs cet inconscient mensonge qui fait la valeur de ses Maximes. 3 L'oeuvre littéraire ment par rapport au monde.

Pas plus que l'écrivain n'est impartial à l'égard des autres hommes, iln'est impartial à l'égard du monde, et ceci non pas seulement parce qu'il a un point de vue particulier en face d'unmonde immense et universel (le savant aussi a un point de vue particulier et pourtant son oeuvre n'est pasmensongère), mais parce qu'il est plus en état d'agressivité à l'égard du monde que dans une sorte d'indifférence etsereine impartialité.

Un grand artiste accuse le monde plutôt qu'il ne le décrit : il ment en faisant passer pour lemonde réel le monde qu'en réalité il attaque.

Ceci est surtout visible chez les romanciers modernes et l'on songeraessentiellement à Kafka (Kafka accuse le monde qui d'ailleurs accuse Kafka) ou à Céline.

Mais voici qui existe depuistoujours : Phèdre nous apparaît moins comme une impartiale méditation sur le Destin que comme un réquisitoire contre les Dieux.

Dans un autre ordre d'idées, Voltaire accuse l'absurdité du monde dans Candide ; Stendhal accuse la sottise et la lâcheté de la France de la Restauration et lui oppose une intelligence et peut-être imaginaire sociétéitalienne, double mensonge bien sûr, mais aussi deux oeuvres d'art : Le Rouge et le Noir, La Chartreuse de Parme, et ceci justement parce qu'il n'expose pas de grandes vérités sur le monde, vagues et applicables à tout et à rien,mais parle franchement avec ses partis pris, ses préjugés et ses malheurs d'intellectuel libéral et artiste du début duXIXe siècle.

Bref, que ce soit à l'égard de soi-même, des autres hommes ou du monde, l'artiste est un grandmystificateur qui cherche à présenter comme vérité objective, ses griefs, ses accusations d'homme individuel etsouvent mû par la mauvaise foi. III Discussion.

Les degrés du mensonge Sans revenir sur ce qui vient d'être établi, n'est-il pas possible d'aller un peu plus loin que Stendhal, ou du moins delaver quelque peu l'artiste de la bassesse implicite contenue dans ce mot de «mensonge» ? En d'autres termes,Stendhal ne mêle-t-il pas sous le même vocable ce qu'on pourrait appeler des mensonges par en bas et desmensonges par en haut? 1 Le mensonge par en bas.

En effet, tous les écrivains ne relèvent pas de l'analyse que nous venons d'esquisser,c'est-à-dire de cette partialité, de ces mensonges par agressivité et par revendication.

Beaucoup mentent parconformisme : conformisme moral (des fades romans de chevalerie de la fin du moyen âge aux Veillées des Chaumières et aux romans de Delly, en passant par les Fables de Florian, etc.

; sur un plan plus sérieux penser aux drames de Diderot, aux romans de Bernardin de Saint-Pierre) ; conformisme social aussi (tous ceux qui écrivent pouravoir les bonnes grâces d'une classe sociale, sans oser ou même sans penser qu'ils peuvent en sortir : nombreuxexemples depuis l'historien Froissart, qui ment délibérément sur la vie de son temps pour garder le mythechevaleresque dans toute sa pureté chez l'aristocratie, jusqu'à Paul Bourget, à propos duquel on a dit que la vertucommençait chez lui avec cinquante mille livres de rentes) ; bref, un mensonge par timidité, par insuffisance, avectout ce que le mot de mensonge implique de bassesse, de mauvaise foi, de sottise.. »

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