EXPLICATION DE TEXTE: ARISTOTE, Éthique à Nicomaque

Le fait que l'ami est autre que le flatteur me semble montrer clairement que le plaisir n'est pas un bien, ou qu'il y a des plaisirs spécifiquement diffé-rents. L'ami, en effet, paraît rechercher notre compagnie pour notre bien, et le flatteur pour notre plaisir, et à ce dernier on adresse des reproches, et ,' l'autre des doges, en raison des fins différentes pour lesquelles ils nous fréquentent. En outre, nul homme ne choisirait de vivre en conservant durant route son existence l'intelligence d'un petit enfant, même s'il conti¬nuait à jouir le plus possible des plaisirs de l'enfance ; nul ne choisirait non plus de ressentir du plaisir en accomplissant un acte particulièrement déshonorant, même s'il ne devait jamais en résulter pour lui de consé¬quence pénible. Et il y a aussi bien des avantages que nous mettrions tout notre empressement à obtenir, même s'ils ne nous apportaient aucun plaisir, comme voir, se souvenir, savoir, posséder les vertus. Qu'en fait des plaisirs accompagnent nécessairement ces avantages ne fait pour nous aucune différence, puisque nous les choisirions quand bien même ils ne seraient pour nous la source d'aucun plaisir. Qu'ainsi donc le plaisir ne soit pas le bien, ni que tout plaisir soit désirable, c'est là une chose, semble-t-il, bien évidente.

ARISTOTE, Éthique à Nicomaque

Limitant l'importance à accorder au plaisir pour souligner le rôle central qu'il convient de reconnaître au bien dans la vie d'un homme digne de ce nom, Aristote esquisse dans cet extrait une morale rationnelle qui sera compatible avec le christianisme : les exigences de ce dernier condamnent fréquemment le plaisir, toujours suspect de rattacher l'âme à la chair ou au monde, et privilégient le bien tel que peut le réaliser le fidèle, cette fois en obéissant à Dieu. C'est un aspect de la philosophie aristotélicienne qui aura sans doute moins d'influence que sa métaphysique pour préparer la scolas­tique, mais on ne doit pas en sous-estimer l'importance.