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Explication du texte de Merleau-Ponty sur nature et culture - La phénoménologie de la perception

Publié le 22/09/2012

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« Il n’est pas plus naturel ou pas moins conventionnel de crier dans la colère ou d’embrasser dans l’amour que d’appeler “table” une table. Les sentiments et les conduites passionnelles sont inventés comme les mots. Même ceux qui, comme la paternité, paraissent inscrits dans le corps humain, sont en réalité des institutions. Il est impossible de superposer chez l’homme une première couche de comportements que l’on appellerait “naturels” et un monde culturel ou spirituel fabriqué. Tout est fabriqué et tout est naturel chez l’homme, comme on voudra dire, en ce sens qu’il n’est pas un mot, pas une conduite qui ne doive quelque chose à l’être simplement biologique, et qui en même temps ne se dérobe à la simplicité de la vie animale, ne détourne de leur sens les conduites vitales, par une sorte d’échappement et par un génie de l’équivoque qui pourraient servir à définir l’homme. «

Maurice Merleau-Ponty, La phénoménologie de la perception, Paris, PUF, 1945

 

 

 

 

La question qui préoccupe le phénoménologue est de savoir s’il faut encore distinguer en l’homme deux couches distinctes, deux êtres séparés : l’un purement naturel et l’un purement culturel. Contre une approche naïve du naturel et du culturel, Merleau-Ponty soutient qu’en l’homme tout est simultanément naturel et culturel : ce qui est culturel possède une dimension biologique, ce qui dépend de notre manière corporelle d’être dans le monde ; ce qui est biologique (conduites vitales) se détache du biologique, a un autre sens que biologique, un sens culturel. Il est donc impossible de séparer en l’homme le naturel et le culturel. Mais comment comprendre que chez Merleau-Ponty « Tout est fabriqué et tout est naturel chez l’homme, comme on voudra « ? (Cf. La phénoménologie de la perception, p. 124.) 

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« 2 prohibition de l’inceste constitue une règle à caractère universel.

L’interdiction du mariage entre proches, si elle a un champ d’application variable selon les us et coutumes, n’en demeure pas moins que cette interdiction est toujours présente dans n’importe quel groupe social.

Or pour le phénoménologue ce qui est tenu pour naturel n’est en vérité que conventionnel et que tout ce qui apparaît comme culturel n’est en définitive que naturel.

C’est dire que pour lui, il n’y a pas lieu de superposer nature et culture, que la nature n’est pas plus première que la culture est seconde.

Les deux éléments n’obéissent pas à la logique de la superposition à la manière de deux étages d’un bâtiment.

Dans cette lancée, il serait erroné de croire que le naturel et le culturel seraient deux ingrédients séparables qui s’ajouteraient l’un à l’autre, que le naturel, donné à la naissance, viendrait en premier et formerait la première dimension de la structure, que le culturel, effet de l’histoire, fourni par l’éducation, l’héritage, viendrait se greffer après coup pour former une épaisseur culturelle.

Contre cette pépinière de considérations, Merleau-Ponty fait valoir que ces deux déterminations sont inséparables qui se marient.

Le naturel et le culturel sont toujours donnés ensemble.

Notre nature est aussi bien culturelle que notre culture est naturelle.

Pourquoi ? Parce que la condition humaine (et non la nature humaine) est échappement en ce sens que l’homme se dérobe à la simplicité de la vie animale et détourne de leur sens les conduites vitales.

L’échappement, spécificité de la condition de l’homme au monde, correspond à une complexification des rapports de l’être humain à son milieu et un changement de finalité de ses conduites : l’homme donne un sens, c’est-à-dire une finalité, et ce faisant, il échappe au déterminisme naturel.

On peut lire pour éclairer ce point, le beau roman de Vercors, Les animaux dénaturés , qui porte sur une recherche d’une définition de l’homme, suite à la découverte imaginaire d’une nouvelle peuplade qui aurait été le maillon manquant entre nous et les primates supérieurs, sur fond de l’étroite imbrication du naturel et du culturel qui fait de nous des « animaux dénaturés ».

C’est le rapprochement entre langage et les divers comportements humains qui apparaissent comme autant de systèmes de signes, codes, comparables à ce code singulier qu’est le langage, qui est le point nodal de la thèse merleau-pontienne.

Rappelons que pour F.

De Saussure, Cours de linguistique générale , le signe linguistique est arbitraire, que le rapport entre signifié (sens) et signifiant (image acoustique) est conventionnel.

Ce caractère conventionnel vaut pour tous les systèmes de signes dont se tisse la vie sociale, notamment dans ce qui met en jeu le corps.

D’emblée, on sait que les langages gestuels étaient des codes sociaux et comme tels conventionnels.

Aucun de ces langages du corps (codes gestuels, prosodiques, kinésiques, proxémiques, etc.) n’apparaît en effet comme universel.

Tel hochement de tête signifiant « oui » dans une culture signifiera « non » dans une autre.

On pourrait objecter qu’il existe des signes naturels qui sont des gestes ou mimiques émotionnelles : par exemple les pleurs dans la souffrance, le rire dans la joie.

Mais répond notre auteur, même ces mimiques émotionnelles sont conventionnelles : le cri dans la colère, le baiser dans l’amour, les pleurs lors du deuil, ne sont nullement universels : le Japonais n’use pas du baiser et sourit dans la colère.

De même, les pleurs peuvent exprimer la joie, ou le silence de la souffrance.

Or « on ne pourrait parler de ‘signes naturels’ que si, à des ‘états de conscience’ donnés, l’organisation anatomique de notre corps faisait comprendre des gestes définis » ( Ibid., p.

220).

En fait, dit Merleau-Ponty, non seulement les codes servant à signifier les sentiments sont conventionnels, et donc inventés, mais les sentiments eux-mêmes sont construits : un sentiment qui paraît aussi naturel que l’amour paternel est en fait une institution, c’est-à-dire quelque chose de fabriqué.

Les sentiments seraient donc des faits sociaux, historico-culturels.

On a pu, par exemple, montrer qu’il existait un amour-passion spécifique à la civilisation occidentale (Cf.

Denis de Rougemont, L’Amour et l’Occident ), que certaines civilisations ignoraient l’amour, et que même l’amour maternel était pour une part inventé (Cf.

E.

Badinter, L’Amour en plus ).

Être père est indépendant de la paternité. »

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