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Expliquez et commentez cette pensée de J.-J. Rousseau : « On ne laissera prendre à Émile aucune habitude si ce n'est de n'en avoir aucune. » ?

Publié le 20/06/2009

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rousseau

Introduction. — Raisonnable et libre, l'homme conscient de sa dignité rêve souvent d'une activité rigoureusement rationnelle, c'est-à-dire déterminée dans tous ses détails par des actes de volonté réfléchie. Aussi éprouve-t-il une certaine mésestime pour l'habitude qui dispense de la réflexion et substitue l'automatisme à la décision volontaire; parfois même il prononce contre elle une condamnation catégorique. Parmi les penseurs qui voudraient supprimer l'habitude, on cite l'auteur d'Émile, qui a écrit : « La seule habitude qu'on doit laisser prendre à l'enfant est de n'en contracter aucune «. Affirmation paradoxale à première vue. Tâchons de bien la comprendre, nous serons amenés par là à une juste conception du rôle de l'habitude. I. — Explication. A. Le texte. — La pensée de Rousseau paraît tout d'abord si claire qu'il est à peine besoin de l'expliquer : en fait d'habitudes, il n'en est qu'une qui soit bonne et qu'il faille acquérir, celle de ne jamais agir par habitude. Mais si on veut préciser ce qu'il faut entendre par habitude, on éprouve quelque embarras : il est des habitudes d'espèces si diverses! La pensée de l'Émile nous fait songer aux routines qui ankylosent l'esprit ou aux besoins qui asservissent; mais il est des habitudes qui, au contraire, facilitent le travail d'invention et libèrent des besoins s opposant au jeu de la liberté. Rousseau condamne-t-il les secondes aussi bien que les premières?

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« De cet examen de la réflexion de Rousseau et de notre incursion dans l'Émile, nous pouvons cependant tirer lesgrandes thèses d'une conception générale de la valeur de l'habitude en général et particulièrement dans l'éducation. A.

Dangers de l'habitude. — Les habitudes sont dangereuses : Rousseau n'a guère vu que leurs dangers, mais il les a bien vus.

On a assez dit — et exagéré — leur œuvre destructrice pour que nous n'ayons pas à nous y attarder: ce sont plutôt des réserves qu'il conviendrait de faire.Du point de vue affectif, l'habitude ou plutôt l'accoutumance émousse le sentiment, couvre toutes choses d'unegrisaille uniforme, et par suite dissout le plaisir de vivre.

Maine de Biran dit bien qu' « à un certain âge, on ne peutêtre content et heureux que de la manière conforme à des habitudes contractées, et pas autrement » (Journalintime); les jeunes comme les vieux ne se fatiguent pas, nous le savons bien, de certaines facéties, et on a pu direque « les plaisanteries les plus aimées sont celles qui gardent la trace des anciens rires » (Malègue, Augustin, II,102).

Il n'en reste pas moins vrai que l'habitude est incompatible avec les grandes émotions et avec la joie explosivequ'affectionne la jeunesse.Du point de vue intellectuel, l'habitude risque de dégénérer en routine, et la routine est la mort de la penséeinventrice.

On sait bien que l'esprit le plus inventif ne peut se passer d'habitudes et même de routines quiconditionnent son invention.

Mais on s'hypnotise sur le danger, qui, de fait, n'est pas chimérique, de s'en tenir à laroutine et de s'assoupir dans l'automatisme.

De là l'intransigeance, du moins verbale, de Rousseau, qui dit de sonélève imaginaire : « Il ne sait ce que c'est que routine, usage, habitude; ce qu'il fit hier n'influe point sur ce qu'il faitaujourd'hui.

» (L.

II, p.

177-178.) B.

Nécessité. — Cette dernière affirmation nous rend en quelque sorte tangible la chimère poursuivie par Rousseau, la chimère d'un pur esprit sur lequel l'expérience passée ne laisserait aucune trace et dont toute l'activité seraitréfléchie dans tous ses détails.Il est impossible que ce que nous faisons aujourd'hui n'exerce pas une certaine influence sur ce que nous feronsdemain.

Dans le monde psychologique, comme dans le monde physique, rien ne se perd, et toujours nos actes noussuivent.

La formation d'habitudes est inévitable, on peut y voir une nécessité de nature.Heureuse nécessité d'ailleurs, car, les habitudes étant nécessaires pour la bonne exécution des actes apparemmentles plus simples, sans elles l'homme serait désarmé dans sa lutte pour la vie.

Pour prétendre, comme Rousseau, n'agirjamais que d'après un jugement réfléchi et ne jamais recourir aux mécanismes montés en soi par la répétition, il fautfermer les yeux à l'étroitesse de notre champ d'attention.

Hamelin (Essai, p.

332) disait avec autrement de bon sens: «Si les êtres qu'on observe sont réduits à n'être que des automates dans l'immense majorité de leurs actes, c'estqu'ils n'ont, pour ainsi dire, qu'un petit capital de conscience et sont tenus de l'économiser.

» Nous avonsexpérimenté nous-mêmes ce qui, dit la légende, arriva au mille-pattes à qui on demandait comment il faisait pourmarcher et pour combiner les mouvements de tous ses membres : il s'arrêta paralysé.

Heureusement que nousn'avons pas besoin de guider dans tous les détails de leur activité nos bras et nos jambes, notre langue et mêmenotre pensée.

Les habitudes s'en chargent.

Sans elles nous serions réduits à l'inaction et privés de cette maîtrise denous dans laquelle Rousseau voit le plus grand des biens. Conclusion. — Il n'y a donc pas entre l'habitude et la pensée l'opposition que pense Rousseau et d'autres avec lui; pensée et habitude collaborent ensemble et se renforcent heureusement pour nous : « Sans l'intelligence^ la vien'aurait point certains automatismes; et, sans automatismes,, l'être vivant ne pourrait même pas être intelligent.

»(Pradines, Psychologie générale, I, 576.)C'est pourquoi, s'il est certains domaines dans lesquels la bonne habitude est de n'en avoir aucune, il est plus vraide dire que l'homme vaut par la somme de bonnes habitudes qu'il est parvenu à acquérir.

L'acquisition de ceshabitudes constitue, comme Rousseau le dit ailleurs, l'objet essentiel de l'éducation.. »

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