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HUME: Société et individu

Publié le 22/02/2012

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De tous les être animés qui peuplent le globe, il n'y en a pas contre qui, semble-t-il à première vue, la nature se soit exercée avec plus de cruauté que contre l'homme, par la quantité infinie de besoins et de nécessités dont elle l'a écrasé et par la faiblesse des moyens qu'elle lui accorde pour subvenir à ces nécessités. Dans les autres créatures, ces deux circonstances se compensent généralement l'une l'autre. Si nous considérons le lion en tant qu'animal vorace et carnivore, nous découvrirons aisément qu'il n'est pas soumis à de très grandes nécessités; mais, si nous tournons nos regards sur sa constitution et son tempérament, sur son agilité, son courage, ses armes et sa force, nous trouverons que ses avantages sont proportionnés à ses besoins. Le mouton et le boeuf sont privés de tous ces avantages : mais leurs appétits sont modérés et leur nourriture est facile à obtenir. C'est en l'homme seulement qu'on peut observer, à son plus haut point de réalisation, cette union monstrueuse de la faiblesse et du besoin. Non seulement la nourriture nécessaire à sa subsistance fuit ses recherches et son approche, ou du moins elle réclame, pour sa production, de la peine; mais encore il faut que l'homme soit pourvu de vêtements et d'une habitation pour se défendre contre les injures du temps; pourtant, à le considérer uniquement en lui-même, il n'est pourvu ni d'armes, ni de force, ni d'autres capacités naturelles qui répondraient à quelque degré à tant de nécessités. C'est par la société seule qu'il est capable de suppléer à ses déficiences, de s'élever à l'égalité avec ses compagnons de création et même d'acquérir sur eux la supériorité. La société compense toutes ses infirmités; bien que, dans ce nouvel état, ses besoins se multiplient à tout moment, ses capacités sont pourtant encore augmentées et le laissent, à tous égards, plus satisfait et plus heureux qu'il ne lui serait jamais possible de le devenir dans son état de sauvagerie et de solitude. Quand chaque individu travaille isolément et seulement pour lui-même, ses forces sont trop faibles pour exécuter une oeuvre importante; comme il emploie son labeur à subvenir à toutes ses différentes nécessités, il n'atteint jamais à la perfection dans aucun art particulier; comme ses forces et ses succès ne demeurent pas toujours égaux à eux-mêmes, le moindre échec sur l'un ou l'autre de ces points s'accompagne nécessairement d'une catastrophe inévitable et de malheur. La société fournit un remède à ces trois désavantages. L'union des forces accroît notre pouvoir; la division des tâches accroît notre capacité; l'aide mutuelle fait que nous sommes moins exposés au sort et aux accidents. C'est ce supplément de force, de capacité et de sécurité qui fait l'avantage de la société. Traité de la nature humaine (1739-1740). Traduction A. Leroy, Paris, Aubier, p. 601-603. Le texte est extrait du livre III, 2e partie, section 2.
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« etc.), que jaillit la nécessité de l'action.

On pourrait imaginer que l'indolence, composante du bonheur humain, s'épanouirait pleinement dans un monde de parfait équilibre entre les besoins et les biens; elleserait l'apanage d'un quelconque âge d'or. Mais dans les faits, c'est l'impuissance qui appelle la maîtrise, la nécessité de l'action sous la forme duprocès de transformation.

La peine, le travail, apparaît dans les faits, en raison des contraintes auxquelles se trouve soumise la nature humai le dans son rapport avec la nature extérieure, comme la directionpremière dans laquelle s'engage l'action humaine sous peine de voir menacée la survie même de l'individuet de l'espèce.

L'activité économique devient ainsi prototype de l'action.

La définition de l'homme commeêtre de la consommation (la quantité infinie de besoins), mesurée conjointement à la rareté des biens immédiatement donnés pour sa satisfaction et à la constance de la menace extérieure, entraîne ladéfinition de l'homme comme être producteur à travers la mise en place de l'invention et de l'artificeconsidérés comme caractéristiques essentielles de la nature humaine. 3.

Ainsi se justifie (second alinéa) l'instauration de la société dont le premier pas est constitué par l'uniondes forces et la division du travail.

L'action collective est requise comme détour de la satisfactionindividuelle de même que la répartition des tâches au sein de la collectivité est destinée à faciliterl'obtention de cette satisfaction.

L'union monstrueuse de la faiblesse et du besoin doit pouvoir êtrecompensée par l'union bénéfique des individus faibles en moyens et riches en besoins.

L'addition desforces représente une véritable amplification de la puissance. Toutefois, cette amplification ne peut être réellement efficace que si elle est accompagnée d'une divisiondes tâches destinée à accroître l'habileté, la capacité : vision assez conforme à la représentationgénérale des avantages de la division du travail telle qu'on peut la repérer de Platon à Adam Smith, maisvision qui fait moins référence au perfectionnement de l'activité économique qu'a son émergencenécessaire.

La division est coextensive de l'union, parce qu'il n'y a d'union durable que là où il y a division.Union et division se portent garantes de l'aide mutuelle qui synthétise ainsi les deux termes.

Dans tous les cas est obtenu un supplément qui, tout en permettant l'accroissement des ressources communes, assure par ce détour l'augmentation de la satisfaction individuelle.

Au manque naturel répond la ruse culturelle,elle-même inscrite dans la nature de l'homme, dans la possible destinée de ses passions : si la fin del'action humaine est la consommation, la capacité de production susceptible de mettre en œuvre lesmoyens propres à atteindre cette fin relève de l'artifice, de la ruse, de la technique. Il est toutefois un paradoxe que Hume suggère sans s'y attarder : c'est que l'union des forces et la division destâches exigées en vue de la satisfaction des besoins suscitent par leur propre mouvement la multiplication desbesoins (dans ce nouvel état, ses besoins se multiplient à tout moment).

Au lieu de stabiliser la consommation, la société ne fait qu'amplifier ses exigences, que renforcer la définition de l'individu par la consommation infinie.Cet apparent inconvénient, qui résulte des avantages de la division du travail, prend place dans un processusoù s'inversent les rapports naturels : si, d'un côté, demeure la quantité infinie des besoins (actualisation decertains besoins, création de nouveaux), d'un autre côté il faudra reconnaître qu'à la faiblesse naturelle desmoyens s'est substituée la force artificielle des moyens qui engendrent une augmentation continue de lacapacité, de la force et de la sécurité; le supplément ainsi acquis réduit donc l'écart entre les fins et lesmoyens de telle sorte que, une fois la satisfaction absolue devenue problématique, subsiste la possibilité d'uncalcul élémentaire en plus ou en moins qui creuse de façon décisive le fossé entre l'état de société et l'état desolitude.

La vertu thérapeutique de l'état social se borne à la mise en place d'un supplément qui fait office deremède; la condition solitaire ignore en revanche toute médication.

Cette simple différence suffit à faireressortir les avantages de la société : à l'union monstrueuse de la faiblesse et du besoin se substitue l'unionheureuse de la force/capacité et du besoin; la conversion de l'un des termes en présence permet unrééquilibrage relatif au sein duquel les vertus adaptatives trouvent plus justement leur emploi.

En réparationdes aberrations naturelles (l'union monstrueuse), le propos de Hume est d'ordre tératologique; la pratique qu'ilsuscite, et dont il rend compte à la fois, est principalement de réajustement.

4.

Avant d'être envisagée comme perfectionnement de la production, l'union des forces et la division du travailsont appréhendées comme fondement même de l'organisation sociale.

Ce qui signifie qu'il n'est d'autrejustification à la société que la nécessité économique elle-même.

Point de penchant naturel à l'échange(comme chez Adam Smith, par exemple), point de dessein providentiel propre à provoquer les améliorationsnaturelles des capacités humaines pour l'accomplissement de l'oeuvre; la motivation déterminante est laconservation de l'individu à laquelle toute réalisation artificielle, technique, organisationnelle se trouve soumised'emblée.

La question de l'origine de la société est ici abordée sous un angle économique.. »

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