La certitude est-elle le signe d'une pensée morte ?
Publié le 21/09/2005
Extrait du document
«
Le doute de Descartes est provisoire et a pour but de trouver unecertitude entière & irrécusable.Or il est sûr que les sens nous trompent parfois.
Les illusions d'optiqueen témoignent assez.
Je dois donc rejeter comme faux & illusoire toutce que les sens me fournissent.
Le principe est aussi facile àcomprendre que difficile à admettre, car comment saurais-je alors quele monde existe, que les autres m'entourent, que j'ai un corps ? Entoute rigueur, je dois temporairement considérer tout cela comme faux.A ceux qui prétendent que cette attitude est pure folie, Descartesréplique par l'argument du rêve.
Pendant que je rêve, je suis persuadéque ce que je vois et sens est vrai & réel, et pourtant ce n'estqu'illusion.
Le sentiment que j'ai pendant la veille que tout ce quim'entoure est vrai & réel n'est donc pas une preuve suffisante de laréalité du monde, puisque ce sentiment est tout aussi fort durant mesrêves.
Par suite je dois, si je cherche la vérité : « feindre que toutesles choses qui m'étaient jamais entrées en l'esprit n'étaient non plusvraies que l'illusion des songes ».Mais le doute de Descartes va bien plus loin dans la mesure où il rejetteaussi les évidences intellectuelles, les vérités mathématiques.
« Jerejetai comme fausses toutes les raisons que j'avais prises auparavantpour démonstrations.
»Nous voilà perdu dans ce que Descartes appelle « l'océan du doute ».Je dois feindre que tout ce qui m'entoure n'est qu'illusion, que mon corps n'existe pas, et que tout ce que jepense, imagine, sens, me remémore est faux.
Ce doute est radical, total, exorbitant.
Quelque chose peut-ilrésister ? Vais-je me noyer dans cet océan ? Où trouver « le roc ou l'argile » sur quoi tout reconstruire ? Onmesure ici les exigences de rigueur et de radicalité de notre auteur, et à quel point il a pris acte de lasuspicion que la révolution galiléenne avait jetée sur les sens (qui nous ont assuré que le soleil tournait autourde la Terre) et sur ce que la science avait cru pouvoir démontrer.« Mais aussitôt après je pris garde que, cependant que je voulais ainsi penser que tout était faux, il fallaitnécessairement que moi, qui pensais, fusse quelque chose.
Et remarquant que cette vérité : je pense donc jesuis, était si ferme et si assurée, que les plus extravagantes suppositions des sceptiques n'étaient pascapables de l'ébranler, je jugeai que je pouvais la recevoir, sans scrupule, pour le premier principe de laphilosophie que je cherchais.
»Il y a un fait qui échappe au doute ; mon existence comme pensée.
Que ce que je pense soit vrai ou faux, jepense.
Et si je pense, je suis.
Le néant ne peut pas penser.
La première certitude que j'ai est donc celle demon existence, mais comme pure pensée, puisque, en toute rigueur, je n'ai pas encore de preuve del'existence de mon corps.
Quand bien même je nierais que le monde existe, que mon corps existe, que jepuisse penser correctement, je ne pourrais remettre en cause ce fait : je pense, et par suite, je suis.
Lavolonté sceptique de douter de tout, l'idée qu'aucune vérité n'est accessible à l'homme, se brise sur ce fait :je pense.
Voilà le roc, voilà l'argile.
Voilà le point ferme grâce auquel j'échappe à la noyade dans l'océan dudoute, par lequel je retrouverai la terre ferme de la science vraie.
La certitude conduit à l'erreurComme l'écrit Alain, «ceux qui aiment la vérité par-dessus tout, ceux que je vois prêts à souffrir et à mourirpour elle, sont aussi ceux qui vont se coller à l'erreur comme les mouches à la vitre» (Propos).
Morte est lapensée du dogmatique, du fanatique, de tous ceux qui tiennent pour acquis ce qui est à remettre en cause,au nom même de la vérité.
Alain y verra la marque de tous les préjugés.
Préjugé.
Ce qui est jugé d'avance, c'est-à-dire avant qu'on se soit instruit.
Le préjugé fait qu'ons'instruit mal.
Le préjugé peut venir des passions ; la haine aime à préjuger mal ; il peut venir del'orgueil, qui conseille de ne point changer d'avis ; ou bien de la coutume qui ramène toujours auxanciennes formules ; ou bien de la paresse, qui n'aime point chercher ni examiner.
Mais le principalappui du préjugé est l'idée juste d'après laquelle il n'est point de vérité qui subsiste sans serment àsoi ; d'où l'on vient à considérer toute opinion nouvelle comme une manoeuvre contre l'esprit.
Lepréjugé ainsi appuyé sur de nobles passions, c'est le fanatisme.
Définition générale du préjugé:
Préjuger, c'est tenir une idée vraie, affirmer ou nier une opinion, avant tout examen attentif, avant touteétude réelle.Conséquence: puisque le préjugé se présente à l'esprit comme une idée vraie, il rend difficile la recherche,l'effort pour s'instruire, qui paraissent alors inutile.
Origine du préjugé:
a) Alain discerne plusieurs causes possibles:
* les passions (la haine par exemple fait qu'on juge réellement mauvais celui qu'on hait, parce qu'on le hait;.
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