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La foi et l'athéisme chez SARTRE

Publié le 14/04/2011

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Une autre explication de Dieu apparaît dans L'être et le néant. Il est important de la mentionner aussi. De même que le moi ne se réalise, ne se saisit et ne se trouve qu'à travers l'autre, comme nous l'avons indiqué d'après l'idée positive que Sartre se fait de la communication, de même l'humanité tout entière ne se réalise, ne se saisit et ne se trouve qu'à travers l'Autre, c'est-à-dire Dieu, le seul vis-à-vis encore possible pour une humanité conçue dans sa totalité. Dieu devient ainsi, pour Sartre, la traduction favorite d'un humanisme abstrait qui se représente l'humanité globale face à un Tiers absolu et indispensable. « Ainsi le concept-limite d'humanité (...) et le concept-limite de Dieu s'impliquent l'un l'autre et sont corrélatifs. «     

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« ordres divins qu'il prétendait recevoir n'étaient en réalité que ses propres désirs, Goetz affirme : « Le Ciel ignorejusqu'à mon nom.

Je me demandais à chaque minute ce que je pouvais être aux yeux de Dieu.

A présent je connaisla réponse : rien.

Dieu ne me voit pas, Dieu ne m'entend pas.

Dieu ne me connaît pas.

Tu vois ce vide au-dessus denos têtes ? C'est Dieu.

Tu vois cette brèche dans la porte ? C'est Dieu.

Tu vois ce trou dans la terre ? C'est Dieuencore.

Le silence, c'est Dieu.

L'absence, c'est Dieu.

Dieu, c'est la solitude des hommes.

» La solitude retrouvée etassumée dans un choix que personne ne peut faire à notre place, c'est, nous l'avons déjà vu à propos de laconclusion de La nausée, la seule voie offerte à l'homme lucide et responsable ; ce vocable de solitude n'est doncpas à saisir dans une intention négative, mais à recueillir dans une perspective qui se veut, au contraire, trèspositive ; l'homme doit prendre en charge son existence et aucun être, fût-ce Dieu, ne peut ainsi le soulager de saliberté à la fois première et ultime. Le deuxième point mis en évidence par la lecture des Mots, c'est l'importance du regard de Dieu dans l'athéismesartrien ; ce regard est un gêneur et sa fonction revient à nous transformer en chose inerte et sans défense devantun jugement qui nous transperce sans respect.

Alors qu'il avait déjà abandonné toute piété véritable, Sartre enfantconnut, à ce propos, une expérience révélatrice : « Pendant plusieurs années encore, j'entretins des relationspubliques avec le Tout-Puissant ; dans le privé, je cessai de le fréquenter.

Une seule fois, j'eus le sentiment qu'ilexistait.

J'avais joué avec des allumettes et brûlé un petit tapis ; j'étais en train de maquiller mon forfait quandsoudain Dieu me vit, je sentis Son regard à l'intérieur de ma tête et sur mes mains ; je tournoyai dans la salle debains, horriblement visible, une cible vivante.

» L'indiscrétion de ce regard insoutenable fut si violente qu'elleentraîna l'enfant, dans son indignation, vers les rivages protestataires de l'athéisme il rejeta hors de lui, et une foispour toutes, la foi en Dieu : « Il ne me regarda plus jamais », précise en effet l'auteur. Le regard de Dieu va jouer ainsi un rôle assez important dans l'œuvre de Sartre.

Lucien, dans L'enfance d'un cheféprouve aussi avec horreur la présence insidieuse de la Providence qui voit tout : « Lucien s'agenouillait sur le prie-Dieu et s'efforçait d'être sage pour que sa maman le félicite à la sortie de la messe, mais il détestait le Bon Dieu : leBon Dieu était plus renseigné sur Lucien que Lucien lui-même.

» Dans Le Diable et le Bon Dieu, Goetz repousse Hilda,parce qu'il sent que le regard de Dieu perce même l'obscurité ; Goetz se plaint alors en ces termes : « Si jeconnaissais une nuit assez profonde pour me cacher à son regard (...).

» Le cas le plus complexe est celui de Danieldans Le sursis ; Sartre lui consacre même plusieurs pages.

Si le regard de Dieu traverse ce héros de part en part endécouvrant sa condition homosexuelle et sa culpabilité permanente, ce regard omniscient de l'Eternel excusesimultanément Daniel qui trouve devant les yeux du Tout-Puissant une place, fût-ce au niveau le plus bas.

Leregard de Dieu le met à jour, mais, ce faisant, lui apporte une sorte de justification : Dieu l'aime tel qu'il est, Dieu lecomprend, Dieu pardonne.

Le regard de Dieu, premièrement indiscret et odieux, ce « viol perpétuel », devientfinalement pour Daniel la source d'un véritable apaisement, d'un « repos ». Troisièmement, le caractère purement artificiel et superficiel de la foi rencontrée autour de lui n'a rien fait pourconvaincre Sartre de la vérité religieuse.

C'est un christianisme de façade, un christianisme purement sociologiquequ'il a découvert dans sa famille ; la foi n'était dans ce milieu, comme il l'écrit dans Les mots, « qu'un nom d'apparat».

Le croyant vivait en aveugle nourri de traditions héritées que nul ne pensait à assumer personnellement, à choisirlibrement ou mettre simplement en question ; l'athée, lui, était « un maniaque de Dieu qui voyait partout Sonabsence et qui ne pouvait ouvrir la bouche sans prononcer Son nom, bref un Monsieur qui avait des convictionsreligieuses.

Le croyant n'en avait point : depuis deux mille ans les certitudes chrétiennes avaient eu le temps defaire leurs preuves, elles appartenaient à tous, on leur demandait de briller dans le regard d'un prêtre, dans le demi-jour d'une église et d'éclairer les âmes mais nul n'avait besoin de les reprendre à son compte : c'était le patrimoinecommun.

» Ces mots à la fois ironiques et sévères se passent de tout commentaire et décrivent fort bien l'étatd'âme de ceux qui, nés chrétiens, ne le sont jamais devenus. Avant de pousser plus loin cette analyse en nous attachant plus particulièrement à trois œuvres de Sartre où lareligion joue un rôle important (Les mouches, L'être et le néant, Le Diable et le Bon Dieu), il nous paraît nécessairede dire quelques mots de l'expérience significative que retrace le livre des Mots et dont nous venons de donner troiséléments fondamentaux. Sans répondre ici à Jean-Paul Sartre par un exposé théologique totalement déplacé dans le présent essai, il esttoutefois indispensable de souligner la responsabilité très grande portée par l'entourage d'un enfant exigeant ;Sartre a découvert le masque et les décors d'une religion dont les tenants s'avéraient être, finalement, moinsconvaincus que les opposants.

A la limite, on pourrait affirmer que l'athée ne reproche pas tant aux croyants d'êtrechrétiens que de ne l'être pas assez, pas vraiment. Il s'avère aussi indispensable de corriger l'idée selon laquelle le croyant peut trouver en Dieu un refuge statique ledispensant d'agir et d'être responsable.

Le chrétien n'ignore pas la condition humaine ; cette dernière est unchantier où nous sommes appelés à vivre une vocation inventive et créatrice ; toute véritable morale chrétienne estcelle de la volonté ; le fatalisme n'y trouve pas de place.

Dans une telle perspective, l'homme n'est pas figé dans unsystème abstrait, mais au contraire mû par une liberté d'autant plus réelle qu'elle trouve en Dieu sa seule source.Pas plus au niveau historique que personnel et moral, l'homme n'est l'esclave d'une inexorable stagnation ; il estlancé, lui aussi, dans un amour conquérant, toujours respectueux de la personne du prochain, à la recherche d'unehumanité encore inachevée et pour laquelle l'avenir est à faire librement plutôt qu'à recevoir passivement des mainsde Dieu.

Remarquons, en passant, que le combat mené par Sartre ces dernières années a rencontré la faveur denombreux chrétiens « engagés » et que l'auteur des Mots a probablement dû corriger déjà partiellement l'idéemonolithique qu'il a pu se faire un jour du christianisme et l'image très schématique, voire caricaturale, que son. »

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