La libération du désir peut-elle constituer un idéal moral ?
Publié le 29/09/2005
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Une libération, c’est-à-dire une opération par laquelle on passe d’un état de non liberté à un état de liberté, est une émancipation, une délivrance, ce qui suppose que l’objet concerné par la libération soit prisonnier ou bien encore emprisonnant. Le mot « du « dans l’expression « libération du désir « pose effet problème en ce qu’il peut avoir un sens double : ou bien on considère qu’il est question ici de la libération de l’objet « désir «, que le désir est ce qui est délivré (au sens où l’on parle par exemple de la libération d’un prisonnier), ou bien l’on comprend « libération du désir « comme délivrance de l’homme d’une puissance oppressante : le désir (au sens où l’on peut dire que l’on se libère d’une obsession, par exemple). Il faudra prendre en compte ces deux compréhensions possibles.
Le désir se définit comme une aspiration à un objet que l’on ne possède pas, et un caractère passionnel, irraisonné, lui est parfois attaché – ce qui peut expliquer que l’on puisse penser avoir à s’en délivrer.
« Pouvoir «, c’est « être en mesure de «, mais c’est aussi « avoir le droit de « : il est question à la fois d’une possibilité de fait et d’une possibilité de droit.
« Constituer « est à prendre ici dans un sens fort : celui de construire de manière fondamentale et réglée – la Constitution d’un Etat renferme ainsi ses principes fondamentaux.
Un idéal est le stade de perfection ultime d’un phénomène ou d’un concept ; on y aspire ou on le prend comme référence. Il est question ici d’un « idéal moral «, c’est-à-dire que cet idéal concerne, dans une compréhension courante, ce qui est ou n’est pas convenable pour un homme de faire ou de penser, ou, dans une compréhension philosophique, ce qui doit régler la conduite de la vie humaine.
Ce sujet a la particularité de pouvoir être compris de deux manières différentes, qu’il faudra confronter. Il pose la question générale de la place qu’il faut accorder au désir, considéré dans son rapport à la liberté, dans la fondation d’une morale idéale. Plus précisément, il est présupposé que l’on fait une place à cette question, et on interroge la pertinence de cette place.
«
Vouloir libérer l'homme du désir, c'est, en un sens, vouloir supprimer le désir chez l'homme – l'homme reste-t-il alorsun homme ? Mieux vaut sans doute envisager le désir comme une constituante essentielle de l'homme, et libérer ledésir peut alors signifier prendre en compte le désir sans l'opprimer, lui faire toute sa place dans le fonctionnementde l'être humain.
Cela peut constituer un idéal moral dans la mesure où c'est la perfection de la vie de l'homme entant qu'homme – en tant qu'être de désir – qui est recherchée.
Spinoza, Ethique , 3ème partie
« Le désir (cupiditas) est l'essence même de l'homme, en tant qu'elle est conçue comme déterminée, par unequelconque affection d'elle-même, à faire quelque chose.
EXPLICATIONNous avons dit plus haut, dans le scolie de la proposition 9 de cette partie, que le Désir est l'appétit qui aconscience de lui-même, et que l'appétit est l'essence même de l'homme, en tant qu'elle est déterminée à faire leschoses qui sont utiles à sa conservation.
Mais, dans le même scolie, j'ai fait observer aussi qu'en réalité, entrel'appétit de l'homme et le désir, je ne fais aucune différence.
Car, que l'homme soit conscient ou non de son appétit,cet appétit reste un et le même ; par conséquent, pour ne pas paraître énoncer une tautologie, je n'ai pas vouluexpliquer le désir par l'appétit, mais j'ai pris soin de le définir de façon à y comprendre à la fois tous les efforts(conatus) de la nature humaine que nous nommons appétit, volonté, désir ou impulsion (impetus).
J'aurais pu dire,en effet, que le désir est l'essence même de l'homme, en tant qu'elle est conçue comme déterminée à faire quelquechose ; mais de cette définition...
on ne pourrait pas tirer que l'esprit peut être conscient de son désir, autrementdit (sive) de son appétit.
Donc, voulant que la cause de cette conscience fût impliquée dans ma définition, il m'aété nécessaire (selon la même proposition) d'ajouter : en tant qu'elle est déterminée par une quelconque affectiond'elle-même, etc.
Car, par affection de l'essence de l'homme nous entendons toute organisation de cette essence,qu'elle soit innée ou acquise qu'elle soit conçue par le seul attribut de l'Étendue, ou enfin rapportée à l'un et àl'autre à la fois.
J'entends donc ici sous le nom de Désir tous les efforts, impulsions, appétits et volitions del'homme ; ils sont variables selon l'état variable d'un même homme, et souvent opposés les uns aux autres, au pointque l'homme est entraîné en divers sens et ne sait où se tourner.
»
Transition : cette position permet de faire toute sa place au désir, mais cela ne signifie pas qu'il faille faire l'économie des composantes passionnelles du désir, qui sont susceptibles d'être pernicieuses pour l'homme.
Ladernière partie devra donc chercher les conditions auxquelles le désir peut être librement assumé sans qu'il nedevienne un facteur d'asservissement de l'homme.
III.
Ce qui peut constituer un idéal moral n'est pas tant la libération du désir que la définition d'un bonusage de celui-ci
Le point essentiel ici est le rapport que l'homme entretient avec le désir dans le cas où il choisit à la fois de ne pasle faire taire et de ne pas se laisser submerger et emprisonner par lui.
La démarche pouvant répondre à cettedifficulté correspond à la recherche d'un rapport bien réglé au désir.
Cela peut constituer un idéal moral pourl'homme dans la mesure où c'est l'excellence de la conduite de l'homme qui est en jeu dans cette démarche.
Rousseau, Emile ou de l'éducation
« Tout sentiment de peine est inséparable du désir de s'en délivrer ; toute idée de plaisir est inséparable du désird'en jouir ; tout désir suppose privation, et toutes les privations qu'on sent sont pénibles ; c'est donc dans ladisproportion de nos désirs et de nos facultés que consiste notre misère.
Un être sensible dont les facultéségaleraient les désirs serait un être absolument heureuxEn quoi donc consiste la sagesse humaine ou la route du vrai bonheur ? Ce n'est pas précisément à diminuer nosdésirs, car, s'ils étaient au-dessous de notre puissance, une partie de nos facultés resterait oisive, et nous nejouirions pas de tout notre être.
Ce n'est pas non plus à étendre nos facultés, car si nos désirs s'étendaient à la foisen plus grand rapport, nous n'en deviendrions que plus misérables : mais à diminuer l'excès des désirs sur lesfacultés, et à mettre en égalité parfaite la puissance et la volonté.
C'est alors seulement que, toutes les forcesétant en action, l'âme cependant restera paisible, et que l'homme se trouvera bien ordonné.
»
Hegel
« C'est seulement chez l'homme et dans l'esprit humain que cette opposition prend la forme d'un monde dédoublé,de deux mondes séparés : d'une part le monde vrai et éternel des déterminations autonomes, d'autre part la nature,les penchants naturels, le monde des sentiments, des instincts, des intérêts subjectifs, personnels.
Nous voyons,d'une part, l'homme emprisonné dans la vulgaire réalité et la temporalité terrestre, accablé par les besoins et lestristes nécessités de la vie, enchaîné à la matière, courant après des fins et des jouissances sensibles, dominé etentraîné par des penchants naturels et des passions ; d'autre part, nous le voyons s'élever jusqu'à des idéeséternelles, vers le royaume de la pensée et de la liberté, nous le voyons plier sa volonté à des lois et déterminationsgénérales, dépouiller le monde de sa réalité vivante et florissante pour le résoudre en abstractions, l'espritn'affirmant son droit et sa liberté qu'en traitant sans pitié la nature, comme s'il voulait se venger des misères et desviolences qu'elle lui avait fait subir.
»
Conclusion.
»
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