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La notion de fait

Publié le 22/02/2012

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Les sujets posés sous cette forme simple déroutent en général les candidats. Ce ne sont pourtant pas les plus difficiles et une analyse du vocabulaire usuel permet toujours de les traiter convenablement. Il faut donc d'abord que l'élève cherche à préciser la notion en se demandant à quoi il pense quand il emploie le terme proposé. L'étude de quelques exemples lui permettra de découvrir quels problèmes philosophiques se posent à propos de cette notion. Ici, par exemple, la définition du fait selon le sens commun le conduira tout naturellement à poser la question de la nature et de la valeur du fait scientifique. Pour l'analyse du concept, le candidat aura intérêt à se placer successivement au point de vue de l'extension (à quel genre de phénomènes ou d'objets le concept convient-il?) et au point de vue de la compréhension (quels sont les caractères communs et fondamentaux des divers phénomènes ou objets désignés par le concept?)

« II.

— Le point de vue de la science a) Définition du fait scientifique. Pour le savant comme pour le profane, la notion de fait implique l'idée d'une certitude expérimentale.

Mais le savantne se contente pas de constatations empiriques; la certitude à laquelle il veut atteindre n'est pas une certitudeimmédiatement donnée par la connaissance sensible; elle suppose des conditions qu'ignore le sens commun.

C'estainsi que le fait scientifique doit pouvoir se répéter.

Il ne suffit pas pour obtenir une certitude expérimentale d'uneseule constatation; pour être sûr d'un fait, le savant tient à le voir se produire plusieurs fois, et c'est pourquoi lesévénements historiques pour lui ne sont pas des faits.

Même celui qui assiste à l'événement n'a pas le droit de letenir pour un fait, parce qu'une erreur est toujours possible et qu'il y a des gens qui, comme dit Montaigne, « croientvoir ce qu'ils ne voient point ».

Il n'y a donc de faits scientifiques que les faits susceptibles de se reproduire et parsuite d'être observés précisément et objectivement.

Seule, en effet, une telle observation permet de découvrir lesconditions dans lesquelles se produit le fait, et cette connaissance des conditions est indispensable àl'établissement du fait scientifique.

Le passage d'une comète est un fait scientifique, depuis qu'on en connaît lesconditions; auparavant, c'était un pur événement.

Un phénomène qui ne se produirait qu'une fois et dont onignorerait les conditions ne serait pas un fait scientifique; ce ne serait même pas un fait selon le sens commun,puisqu'on ne pourrait avoir à son sujet aucune certitude véritable.

On pourrait dire : « C'est un fait que j'ai eu tellessensations », mais non : « C'est un fait que j'ai vu ceci ou cela »; en effet, en pareil cas, on ne pourrait vérifierl'interprétation des données sensibles. b) Nature du fait scientifique : « Il n'y a de fait que par Vidée » (Alain). Or, il y a dans toute perception une interprétation des données sensibles.

Percevoir un fait, c'est poser un objetdéterminé pour expliquer une diversité de sensations.

On peut dire du fait ce que Kant dit de l'objet : « C'est cedont le concept réunit les éléments divers d'une intuition donnée.

» Il ne faut pas oublier, en effet, que les seulesdonnées réelles sont les impressions sensibles.

C'est un chaos d'apparences dans lequel il faut mettre de l'ordre.Établir un fait, précisément, c'est ordonner, lier selon des lois, les impressions sensibles.

Or cet ordre est de l'esprit,c'est-à-dire que, selon la formule d'Alain, « il n'y a de fait que par l'idée ».

Il est bien évident par exemple que lemouvement de la terre a dû d'abord être supposé : pour saisir un fait, il faut premièrement en former l'idée.

En unsens, on pourrait dire que nous connaissons un fait lorsque nous faisons une hypothèse et que ses conséquencessont vérifiées par l'expérience.

La méthode qui sert à établir les faits dans les sciences est la même que celle donton se sert pour établir les lois; c'est la méthode inductive qui consiste à poser une hypothèse pour rendre comptedes données et à conclure que cette hypothèse est vraie, lorsqu'elle permet de prévoir exactement l'expérience.

Lefait est précisément ce que nous supposons pour expliquer les apparences. c) Valeur du fait scientifique : « L'idée ne suffit jamais » (Alain). Il est aussitôt évident que les faits n'ont pas la valeur absolue que leur accorde volontiers le sens commun; ilscontiennent, en effet, une part de supposition et la méthode inductive grâce à laquelle on les établit nous permetd'obtenir une probabilité plus ou moins grande, mais non une certitude.

L'hypothèse n'est jamais absolument vérifiéepar l'expérimentation; c'est d'ailleurs la raison pour laquelle la science est toujours susceptible de découvrir des faitsnouveaux.

Car découvrir un fait nouveau, c'est moins se trouver en présence de nouvelles données sensibles,qu'inventer une hypothèse capable de donner une nouvelle explication des apparences.

Mais s'il est possibled'obtenir ainsi de nouveaux faits, c'est que les concepts par lesquels nous unifions la diversité de nos intuitionssensibles n'ont jamais qu'une valeur relative; ils ne peuvent rendre compte du réel dans sa totalité.

« Le rapport del'idée au fait, dit Alain, est en ceci que l'idée ne suffit jamais.

» Aucune idée n'épuise toute la richesse de nosintuitions sensibles; en d'autres termes, il y a toujours dans le fait une part d'abstraction.

C'est en invoquant cetaspect du fait scientifique que les nominalistes ont cherché à nier la valeur de la science : la science seraitincapable de saisir la réalité toujours concrète et individuelle parce que les faits sur lesquels elle repose sontabstraits et généraux. Conclusion L'analyse que nous venons de faire de la notion de fait nous permet de comprendre le sens et la portée de lacritique nominaliste de la science.

Nous avons vu, en effet, que si la notion de fait est liée, pour le savant commepour le sens commun, à l'idée d'une certitude expérimentale, cette certitude, contrairement à ce que croit le senscommun, ne peut être obtenue qu'à la suite d'un travail d'élaboration intellectuelle.

Or il est évident que cetteélaboration nous éloigne de l'expérience immédiate et que le fait acquiert ainsi un caractère artificiel et abstrait.Mais il ne faut pas oublier non plus que l'expérience immédiate n'est qu'un chaos de sensations et que, pour parvenirà la connaissance, il faut mettre de l'ordre dans ce chaos, c'est-à-dire établir des faits.

« Au commencement, disaitAnaxagore, tout était confondu; mais l'intelligence vint, qui mit tout en ordre.

». »

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