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La peinture aux XVIIe et XVIIIe siècles

Publié le 26/02/2010

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Les grands novateurs, les conquistadores dans le domaine de l'esprit, font leur apparition quand les valeurs en vigueur ne répondent plus aux besoins de l'époque, quand les formules établies n'expriment plus ce qu'il est besoin de dire. La Renaissance avait donné à l'Italie et à l'Europe une conception de la vie et un idéal artistique qui paraissaient contenir assez de valeurs absolues pour durer indéfiniment. Mais la grande crise religieuse, engendrée en partie par la Renaissance même, qui secoua l'Europe, prouva que cette conception et cet idéal ne correspondaient plus à la réalité. La tragédie de Michel-Ange en est témoin. Il fallait sortir des formules périmées, de l'idéalisme de la Renaissance et de son style planimétrique et équilibré aussi bien que des tensions internes, figées dans le corps humain, du michelangélisme. C'est alors, vers la fin du XVIe siècle, qu'entre en scène le Caravage. La révolution caravagesque refait entièrement l'image du monde ; elle regarde à nouveau la nature ; elle saisit de près et avec une intense exactitude le modèle individuel, en écartant tout cliché traditionnel. C'est à peu près ce que Jean van Eyck avait fait deux siècles auparavant pour sortir de la formule gothique. Mais la révolution de 1590 est plus consciente d'elle-même et beaucoup plus radicale que celle de 1420 ; c'est pourquoi elle sera dénoncée comme sacrilège par les défenseurs de la " dignité " et provoquera, peut-être pour la première fois dans l'histoire, une retentissante querelle esthétique parmi les contemporains. Cette révolution est surtout beaucoup plus profonde : le nouveau naturalisme ne se borne pas à voir avec force et à rendre véridiquement son modèle humain. L'essentiel est qu'il revit, avec une intensité toute nouvelle, le sujet qu'il traite. Il se penche sur l'acte, sur l'action humaine ; il suit de près la succession de ses phases ; il remonte aux sources psychologiques qui l'ont engendrée ; il met à nu le mécanisme de l'action en même temps que son dynamisme ; il la dramatise en faisant jouer les émotions et les passions. C'est cela avant tout : passionnelle elle-même, cette époque s'attache passionnément à l'analyse des passions humaines. Il ne lui suffit plus de rendre la surface, la belle forme statique des choses. Il lui faut creuser plus profond. La peinture s'intériorise. Par comparaison avec la vie intense qu'acquiert maintenant toute représentation, les oeuvres de la Renaissance nous apparaissent comme lointaines idoles impassibles de divinités reculées sur un plan qui nous est interdit, idées platoniques qui planent au-delà de notre sphère.

« avaient inspirées, ne répondaient-elles pas à un inéluctable besoin de l'âme moderne, à ce désir d'arriver, au delà dukaléidoscope du monde empirique, à des formules plus générales et plus stables et, sur le plan émotionnel, deretrouver cet âge d'or, " ce paradis ", où régneraient la sérénité et l'harmonie et où l'existence regagnerait uneplénitude et une validité perdues dans le processus de l'individuation ? En effet : du vivant même de Caravage et en pleine révolution naturaliste, nous voyons Annibal Carrache ressusciteret raviver, dans ses fresques du palais Farnèse, la grande manière romaine en s'inspirant des oeuvres que Michel-Ange et surtout Raphaël avaient créées, presque cent ans auparavant, dans la " Ville Éternelle ".

Le Guide, rentré àBologne après un court stage à Rome, y peindra des oeuvres d'un équilibre et d'une harmonie recherchés et d'uneparfaite tranquillité.

Enfin, ce sera un Normand, né aux Andelys, et un Lorrain, né à Chamagne-sur-Moselle, quiressentiront le plus intensément l'impact de l'Antiquité ; ils réaliseront, dans la composition figurative aussi bien quedans le paysage, l'idéal " classique ", le rêve de la grande existence, rêve d'une réalité durable élevée au-dessus deshasards de la réalité transitoire. Par la révolution caravagesque et la réaction qui se produit immédiatement, la peinture italienne (et par la suite lapeinture européenne) se trouvera devant une alternative ; comme disent les Anglais, elle sera empalée sur les deuxcornes d'un dilemme.

Elle s'appliquera à rendre l'action, le drame, les passions qui, par leur essence même, sontpassagers ; elle s'attachera à rendre, dans un rythme de plus en plus rapide, le flux des événements ; elle étudierales effets de la lumière changeante sur les formes et surtout sur les couleurs ; elle se mettra à la poursuite de l'effetinstantané et transitoire ; enfin, elle aboutira dans l'analyse du caractère transitoire de la sensation elle-même.D'autre part, il y aura des peintres qui chercheront la stabilité et la permanence ; ils cultiveront la forme statique ;ils la délimiteront par la ligne, par le contour net et précis qui fige l'objet et s'oppose à toute confusion ; leur visionsera déterminée par une conception quasiment sculpturale puisque, de par sa matière, la pierre est essentiellementimmuable.

C'est la première fois que l'idéal esthétique d'une époque n'est plus homogène, mais se trouve scindé endeux visions contradictoires.

La polarité qu'un éminent critique français a récemment si bien décrite pour la peinturefrançaise du XIXe siècle et qu'il a caractérisée par la formule binomique : " Ingres et Delacroix " cette polaritéremonte, en vérité, à l'an 1600.

Et notons en passant qu'elle ne se borne pas à la peinture.

Nous en retrouvonsl'exact parallèle dans l'architecture : le style dynamique et dramatique de Borromini et de Bernin et de toute leurdescendance, de Guarino Guarini et Churriguera jusqu'à Fischer von Erlach et Balthasar Neumann, fera contrasteavec le style " classique ", dont Claude Perrault donnera l'exemple représentatif en construisant, en opposition àBernin, la colonnade du Louvre. Il ne faut pas croire, cependant, que les peintres aient suivi rigidement, en pratique, une des deux lignes que nousvenons de dégager en simplifiant peut-être un peu trop.

La réalité fut beaucoup plus compliquée.

Déjà les dernièresoeuvres de Caravage dénotent, par comparaison avec la fougue et le radicalisme des cycles de Saint-Louis-des-Français et de Santa Maria del Popolo, un certain apaisement.

Et, d'autre part, le côté dramatique des fresques dupalais Farnèse et la façon ramassée et incisive dont Carrache raconte ses histoires seraient impossibles sans lesnormes de précision imposées par Caravage.

Dans la génération suivante, ce syncrétisme est encore plus marqué.Gentileschi, en dépit de son caravagisme, est quelquefois presque " classique ".

Le Dominiquin fera entrer dans descompositions dont le sentiment académique est incontestable, des têtes et des nus dont le naturalisme feraithonneur au caravagiste le plus farouche.

Et que dire de Guerchin, que son clair-obscur ténébreux et mouvementé,et généralement son traitement de la lumière, mettent plus près de Caravage que de l'académisme auquel, pourtant,il appartient par la formule de ses compositions ? Mais il y a encore un phénomène plus curieux et plus profond que ce syncrétisme.

Pour l'expliquer, on fera bien dese tourner vers le plus grand maître qu'ait produit le XVIIe siècle.

On a remarqué, depuis longtemps, que le style deRembrandt s'apaise après le milieu du siècle, et on a très justement employé le terme " classique " pour décrire cettedernière phase de son évolution.

En effet, la grande action dramatique, dont La Ronde de nuit est l'apogée, et lemouvement transitoire disparaissent de ses toiles.

La composition, qui avait connu les élans diagonaux et enprofondeur, se tranquillise.

Elle devient planimétrique et très simple.

Et cela est tout aussi vrai pour les portraits,tels que celui du Bourgmestre Six ou l'autoportrait de Vienne, que pour la charpente rectilinéaire du Claudius Civilis.Les personnages n'agissent plus, ou presque plus ; ou bien, s'ils agissent, leurs mouvements extérieurs n'ont plus lamême importance qu'auparavant.

Ce n'est plus ce détail de Jan Six qui met son gant gauche qui compte, ni même lefait que les glaives convergent et se touchent par-dessus la table où se décide l'insurrection batave contre lesRomains.

La représentation vise à l'existence plutôt qu'à l'action.

Par contre, toute la vitalité de ces personnagessemble celée dans leur intérieur ; là, par un processus de condensation suprême et prodigieuse, elle acquiert uneforce et une intensité qui lui confèrent, pour ainsi dire, une validité et une durée absolues.

Le regard impassible etpénétrant de Jan Six, la présence du borgne Claudius Civilis qui trône comme le Destin même, l'expression d'amourconjugal de l'homme pour sa " fiancée juive ", n'ont plus aucun caractère transitoire.

Ils sont devenus des symbolespermanents d'états d'âme qui, eux-mêmes, sont permanents parce qu'ils sont universellement humains.

C'est cettequalité de permanence de quelque façon toujours présente dans les oeuvres de l'antiquité qui est l'essence même dece que nous désignons par " classique ".

Il est donc parfaitement légitime d'appeler la dernière phase de l'art deRembrandt, son époque classique. Mais alors, ne vaudrait-il pas mieux parler, au lieu de " peintres baroques ou peintres classiques ", de " peintresbaroques et peintres classiques " ?. »

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