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La plaine - Émile Verhaeren, Les Villes tentaculaires

Publié le 12/02/2011

Extrait du document

verhaeren

 

La plaine est morne et ses chaumes et granges

Et ses fermes dont les pignons sont vermoulus,

La plaine est morne et lasse et ne se défend plus,

La plaine est morne et morte — et la ville la mange. Formidables et criminels, Les bras et les machines hyperboliques, Fauchant les blés évangéliques, Ont effrayé le vieux semeur mélancolique Dont le geste semblait d'accord avec le ciel. L'orde fumée (1) et ses haillons de suie

Ont traversé le vent et l'ont sali :

Un soleil pauvre et avili

S'est comme usé en de la pluie. Et maintenant, où s'étageaient les maisons claires

Et les vergers et les arbres allumés d'or,

On aperçoit, à l'infini, du sud au nord,

La noire immensité des usines rectangulaires... Émile Verhaeren, Les Villes tentaculaires, 1855-1916.

SUJET Faites un commentaire composé de ce texte en montrant, par exemple, comment l'auteur a traduit dans les mots, les images, les rythmes et les sonorités, les rapports entre la ville et la campagne. (1) orde est un terme vieilli qui signifie sale (cf. le mot ordure).  

REMARQUES ■ Les rythmes et les sonorités. Diversité des vers. La première strophe et la dernière sont en alexandrins : elles décrivent Tordre de la campagne, d'une part, celui de la ville, de l'autre. Les deux quatrains du milieu contiennent des octosyllabes, des alexandrins, des décasyllabes : diversité qui traduit le déséquilibre, les bouleversements en train de s'opérer. A noter que le deuxième hémistiche «— et la ville la mange«, fortement coupé du reste de la strophe, appartient déjà, par le sens, au reste du texte. La lamentation répétitive « La ville est morne«, la proximité de sens et de son de «morne« et «morte«, l'ambigüité de «et lasse«, [hélas], basculent devant le surgissement de la ville. ■ Le vocabulaire. Il s'ordonne suivant les oppositions : lumière (s'etageaient, maison, claires, vergers; soleil, or) / obscurité (suie, sali, avili, pluie ; vermoulu ; fumée ; usé). — La violence avec « criminels « ne trouve plus de contrepoids puisque la plaine « ne se défend plus «. Elle est fortement liée à la peur «Ont effrayé le vieux semeur«; sens fort de «formidables« : gigantesques mais aussi qu'on doit craindre. — Hyperbolique : exagéré (ici, bras et machines géants puisque formidables); appartient aussi au vocabulaire de la géométrie et, en ce sens, se rapproche des usines « rectangulaires « de la fin du texte. — E. Verhaeren reprend, pour qualifier l'air pollué par les fumées des usines, le vieux vocabulaire paysan «orde« accompagné de «haillons« pour condamner davantage cette dégradation inexcusable qui modifie même « un soleil pauvre « « en de la pluie «. — Les blés « évangéliques « : dans le sens de conforme à l'évangile, qui n'offense donc pas le ciel, qui a son « accord «.  

■ Les images. « Fauche les blés« : dans sa simplicité, le paysan obéit à la loi des hommes. Il sème, donc donne la vie, tandis que les machines, en fauchant, appellent une autre faucheuse : la mort. — « Les haillons de suie « : image assez habituelle, qui souligne la pauvreté, mais aussi le déchirement, la dégradation. — « La ville la mange« : image du monstre qui se nourrit de la campagne et, la faisant ainsi disparaître, prend sa place. Le terme «mange« lui donne une réalité d'être vivant qui s'accroît inexorablement. — « S'est comme usé en de la pluie« : formule dont la lourdeur exprime bien la dégradation ; ce n'est pas une pluie fine, ou franche, qui lave, mais quelque chose qui ressemble à de la pluie, qui coule, mais salit : des haillons de suie. — «La noire immensité des usines rectangulaires...« Un bloc sans fin, sombre, qui a «mangé« «les maisons claires« et une profondeur éclairée par «les arbres allumés d'or« détruite «à l'infini, du sud au nord « par une « noire immensité «, une opacité qui ne révèle pas de vie.  

 

 

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