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La présence d'autrui nous évite-t-elle la solitude ?

Publié le 22/02/2012

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Sur ce, nous nous arrêtons, profondément insatisfaits: que faut-il répondre à la question "la présence d'autrui nous évite-t-elle la solitude"? Complexe, ce problème exigeait qu'on liât le s modalités de la manifestation d'autrui à la conscience humaine à la richesse du concept de solitude. On a, finalement, pu s'interroger sur la possibilité d'une rencontre authentique de l'autre. De définition en définition, notre analyse fut progressive: s'attachant dans un premier temps à l'opinion commune, la solitude étant considérée dans sa dimension la plus matérielle, on a pu montrer les limites d'une vision trop simpliste de notre rapport au monde. De l'esseulement a découlé la déréliction, l'isolement physique momentané a découvert un état d'abandon moral originel. On a, en dernier lieu, mis en avant la nécessité de s'accommoder d'un tel paradoxe, d'assumer sa solitude pour la dépasser. Insatisfaits donc, car dans l'incapacité d'apporter une solution unique, claire, au problème envisagé: dans l'absolu, non, la présence d'autrui ne nous évite pas la solitude. Il nous revient de faire face à la difficulté morale qu'a révélé notre étude pour édifier, sur les bases solides de la vérité, des relations authentiques avec nos prochains.

« L'auteur ne fait l'économie d'aucun terme péjoratif pour décrire le processus de déshumanisation auquel est livré sonpersonnage principal, seul rescapé d'un naufrage sur l'île déserte de Speranza.

Robinson note en effet dans sonjournal cette phrase révélatrice: "La solitude est un milieu corrosif qui agit sur moi lentement, mais sans relâche etdans un sens purement destructif".

La présence d'autrui est donc la marque inébranlable de notre humanité: lenaufragé solitaire fait un point d'honneur d'endosser chaque jour ses vêtements, non point par un quelconquesentiment de pudeur, souligne-t-il, mais parce que, tissés par des mains humaines, ceux-ci représentent desmillénaires de civilisation, il songe ainsi, nostalgique, à "la foule de ses frères, qui l'avait entretenu dans l'humainsans qu'il s'en rendît compte".Ce constat d'une déshumanisation progressive dans la solitude explique par ailleurs la fonction phatique du langage.La marque par excellence de notre humanité, par opposition aux autres êtres vivants, le langage, même s'il nedélivre aucun message de sens, vise à maintenir un contact avec autrui: il se pose ainsi en rempart à la solitude,dont le compagnon obligé est le silence.D'abord déshumanisation, la solitude, plus dramatique encore, devient ensuite synonyme de mort: "Tous ceux quim'ont connu, tous sans exception, me croient mort.

Ma propre conviction que j'existe a contre elle l'unanimité".

Ainsise désole Robinson, "repoussé aux confins de la vie, dans un lieu suspendu entre ciel et enfers, dans les limbes ensomme".Citons ici l'expression de Heidegger, "nous sommes des êtres-pour-autrui".

La présence des autres semble dépasserle simple problème désagréable de la solitude, se présentant comme la condition même, sine qua non, de notreexistence.

Etymologiquement en effet, "exister" (sistere ex) signifie "être dehors".

On en déduit logiquement que cequi est à l'extérieur existe et que, conséquemment, ce qui est à l'intérieur n'existe pas.

Robinson Crusoé prend ainsiconscience qu'il "n'existe qu'en s'évadant de lui-même vers autrui"; Sartre le dit aussi, l'expérience d'autrui est cellede la dépossession de soi, le sens de ce que nous sommes étant suspendu au jugement de l'autre.Notre existence donc, n'a de sens qu'au regard des autres, et le solitaire est réduit à vivre dans l'ombre du doute:doute de son existence, de ses pensées, en somme, de tout ce qui constitue son univers.

"Autrui, pièce maîtressede mon univers.

Mes relations avec les choses se trouvent elles-mêmes dénaturées par ma solitude.

Celle-ciattaque l'intelligibilité des choses et mine jusqu'au fondement même de leur existence.

Je sais que la terre surlaquelle mes deux pieds appuient aurait besoin pour ne pas vaciller que d'autres que moi la foulent".

(in Vendredi oules Limbes du Pacifique).Quoi de plus dévastateur en somme, pour l'âme humaine, que l'état d'esseulement? Fait pour vivre en société ( etce en dépit de l'éloge que fit Jean-Jacques Rousseau, au XVIIIe siècle, de l'état de nature d'individuation de l'êtrehumain, l'homme souffre de l'absence de ses semblables.

La sympathie, qui permet à deux amis de souffrir ensemble,même sous sa forme moins consciente, la contagion affective, est un lien qui se noue entre les membres d'unemême société, tandis que la solitude entraîne déshumanisation et mort psychologique de l'individu.

Ainsi, notreinstinct de survie nous pousse à affirmer avec force que la présence d'autrui nous évite la solitude.

Dans un élan dedésespoir, Robinson appelle intérieurement à l'aide: "Contre l"illusion d'optique, le mirage, l'hallucination, le rêveéveillé, le fantasme, le délire, le trouble d'audition...le rempart le plus sûr, c'est notre frère, notre voisin, notre amiou notre ennemi, mais quelqu'un, grands dieux, quelqu'un!" (in Vendredi ou les Limbes du Pacifique, collection Folio,Ed.

Gallilmard, p.55)Nous y venons cependant: l'hypocrisie des relations humaines, chacun préférant la présence physique de sonennemi à l'état d'esseulement.

Certes, nous l'avons dit, l'intersubjectivité est d'abord intercorporéité, mais elle nesaurait s'y réduire.

Qu'en est-il, par exemple, de la communication entre les consciences? Il semblerait qu'uneréflexion honnête nous force à reconnaître qu'une relation inauthentique à autrui ne masque aucunement unsentiment de solitude inscrit au plus profond de notre être. On a pu mettre en évidence précédemment la nécessité, littéralement vitale, d'éviter la solitude: c'est bel et bienpar la présence d'autrui que l'homme tente de fuir l'esseulement.

Or, paradoxalement, en dépit de ses efforts, ilconvient de douter de son succès, si l'on considère cette fois la solitude comme déréliction, soit comme sentimentd'abandon moral complet.Profondément pessimiste, La Rochefoucauld dénonce ainsi la comédie sociale à laquelle se livre chacun, "celle-ci nes'organisant qu'en vue d'intérêts personnels".

L'homme est décrit comme un être fondamentalement vain et égoiste,et le cynisme est poussé au plus haut point dans la remarque suivante; "Beaucoup de mal quand je me considère;beaucoup de bien quand je me compare".Dans cette optique, notre relation à autrui demeure le plus souvent instrumentale: Aristote, faisant de l'amitiévéritable le fait des vertueux seuls, le reconnaît, distinguant dans son Ethique à Nicomaque l'amitié fondée surl'utilité et qu'il définit comme "la connaissance de l'avantage qu'autrui peut apporter".

Reprenant ce thème au XVIIesiècle, La Fontaine use de son sarcasme dans son oeuvre Parole de Socrate, notant que "chacun se dit ami: maisfou qui s'y repose; rien n'est plus commun que le nom, rien n'est plus rare que la chose".Cette relation purement utilitaire à l'autre, dans un souci d'évitement de la solitude, et par opposition à une fusionauthentique et désintéressée des êtres, prend forme dans le divertissement pascalien, auquel semble adhérerl'auteur de Vendredi ou les Limbes du Pacifique, "autrui étant pour nous un puissant facteur de distraction, puisqu'ilnous dérange sans cesse et nous arrache à notre pensée actuelle".

En effet, notait avec sagacité Françoise Saganau cours d'une interview, "on n'en finit jamais avec le problème de la solitude et le désir d'y échapper...Personne nepeut admettre, quand il réfléchit, ce terrible chemin quotidien vers la mort...cette conscience d'un soi immuable,assez perdu et incommunicable à la fois".Ainsi l'homme, seul avec lui-même, n'a d'autre choix que de pesner à sa faible condition de mortel.

C'est pourquoi,selon la formule célèbre de Pascal, "un roi a toujours besoin de sa cour".

Le jeu, le divertissement, la société, sontautant de choses futiles qui, en nous occupant l'esprit, nous éloignent de la question essentielle que découvre la. »

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