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La raison entre-t-elle nécessairement en conflit avec la croyance religieuse ?

Publié le 10/03/2004

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  • Bien saisir ce qu'on peut penser sous le terme de « croyance religieuse «. Par exemple, ne pas identifier sans problème croyance religieuse à « foi « ou à « religion «. De la pertinence de cette analyse dépend l'essentiel de la valeur du devoir.
  • Le plus grand risque est de se laisser aller à discourir sans justification(s) des « preuves de l'existence de Dieu «, de l'athéisme, des interprétations athées du phénomène religieux ou même de religion et raison, des fondements rationnels ou raisonnables (ou non) de telle ou telle religion ou appréhension de « Dieu « : Il s'agit de ne pas perdre de vue que vous avez à instaurer et à développer une problématique fondée sur le sujet précis posé : La croyance religieuse est-elle en conflit avec la raison?
  • A ce propos, il convient de noter que conflit n'est pas identique à contraire et plus encore que le conflit dont il est question ici (et qui est en question) ne saurait être pensé comme celui entre les personnes « croyantes « et les personnes rationnelles et raisonnables (incroyantes?).
  • Bien lire le sujet: le mot «nécessairement« a toute son importance dans le libellé du sujet. Il ne s'agit pas - ou pas seulement - de recenser les conflits qui, défait, opposent la raison et la religion, mais de se demander si, en droit, ces conflits sont evitables. La raison et la religion sont-elles par leur nature respective, réduites à entrer en un conflit inéluctable? D'autre part, il serait fâcheux de réduire la raison à la seule rationalité scientifique: la philosophie est aussi rationnelle et le conflit entre la philosophie et la croyance est sans doute beaucoup plus pertinent que celui qui oppose la science et la foi.
  • Un point de départ à discuter: le sujet invite à dépasser l'opposition sommaire de la raison et de la religion. Celle-ci peut être aussi bien le fait d'un rationalisme étroit (sous la forme du scientisme par exemple) que d'un dogmatisme religieux. Il s'agira alors de rechercher les conditions, sinon d'un accord, du moins d'un dialogue entre la foi et la raison. Ainsi le conflit sera soit surmonté, soit porté à son niveau le plus profond.
  • Recherche du problème: le sujet repose sur l'opposition classique de la raison et de la croyance. On s'efforcera de montrer qu'en dépit de leur opposition, il y a une implication mutuelle de ces deux termes. La croyance peut fournir à la raison un matériau sur lequel elle réfléchit. Surtout, la raison est une exigence à laquelle le croyant ne peut se dérober. Ce dernier est alors immanquablement partagé entre sa fidélité à Dieu et sa soumission à la raison. C'est ici tout le paradoxe de la foi qui est posé : celle-ci ne doit pas choquer la raison sans cependant se réduire à elle. La foi peut-elle ne pas être rationnelle sans être irrationnelle? Peut-on passer de la raison à la foi sans que la foi cesse de dépasser la raison?

« 1.

Épicure : la raison contre la religion Lucrèce explique en ces termes ce que doit l'humanité à son maître Épicure(Ille siècle avant J.-C) :« Au temps où, spectacle honteux, la vie humaine traînait à terre les chaînesd'une religion qui, des régions du ciel, montrait sa tête aux mortels et leseffrayait de son horrible aspect, le premier, un homme de la Grèce, un mortel,osa lever contre le monstre ses regards, le premier il engagea la lutte.

Ni lesfables divines, ni la foudre, ni le ciel avec ses grondements ne purent leréduire ; son courage ardent n'en fut que plus animé du désir de briser lesverrous de la porte étroitement fermée de la nature.

Mais [...] il a parcourupar la pensée l'espace immense du grand Tout, et de là, il nous rapportevainqueur la connaissance de ce qui peut ou ne peut pas naître, de lapuissance des parties à chaque être et de ses bornes inflexibles.

Ainsi lasuperstition est à son tour terrassée, foulée aux pieds, et cette victoire nousélève jusqu'aux cieux » (De la Nature, L.I., G.F., pp.

20-21). Avant Épicure, les hommes étaient donc écrasés par des croyancesreligieuses effrayantes : d'où ces prières, ces sacrifices dont les croyantsattendaient qu'ils apaisent la colère des dieux ou qu'ils attirent leurbienveillance.

L'intelligence d'Épicure délivre de ces croyances absurdes.

«Ces ténèbres de l'esprit, il faut donc, pour les dissiper, non les rayons du soleil, ni les traits lumineux du jour mais l'étude rationnelle de la nature » (p.

54). On peut en effet rendre raison de tout ce qui est sans faire appel aux puissances divines : « Toutes choses seforment sans intervention des dieux » (p.

23).

« L'univers n'a pas été fait pour nous de création divine, tantl'ouvrage est défectueux ! » (p.

57).

La raison d'Épicure guérit de la croyance qui naît de l'ignorance.

La crainte dela mort s'accompagne toujours de la crainte des dieux.

Nous sommes animés d'une superstition ridicule et d'un désirde survie déplacé.

En mauvais physiciens, nous oublions que la mort ne fait que libérer les atomes qui composaientnotre être.

La survie n'a, de ce point de vue, aucun sens.

Quant à notre sentiment religieux, il ne vaut guère mieuxsi l'on ne voit pas que les dieux sont, quant à eux, bienheureux, en d'autres lieux, et indifférents à notre sort. Une des premières cause d'angoisse chez les humains est, selon Epicure, l'inquiétude religieuse et la superstition.Bien des hommes vivent dans la crainte des dieux.

Ils ont peur que leur conduite, leurs désirs ne plaisent pas auxdieux, que ceux-ci jugent leurs actes immoraux ou offensants envers leurs lois et ne se décident à punir sévèrementles pauvres fauteurs, en les écrasant de malheur dès cette vie ou en les châtiant après cette vie.

Ils pensent aussiqu'il faut rendre un culte scrupuleux à ces divinités, leur adresser des prières, des suppliques, leur faire desoffrandes afin de se concilier leurs bonnes grâces.

Car les dieux sont susceptibles, se vexent pour un rien, et sontparfois même jaloux du bonheur des simples mortels, qu'ils se plaisent alors à ruiner.

Toutes ces croyances quiempoisonnent la vie des hommes ne sont que des superstitions et des fariboles pour Epicure. Pour s'en convaincre, il faut rechercher quels sont les fondements réels des choses, il faut une connaissancemétaphysique, cad une science de la totalité du monde.

Celle-ci nous révélera que le principe de toutes choses estla matière, que tout ce qui existe est matériel.

Ainsi, la science peut expliquer tous les événements du monde, tousles phénomènes de la Nature, même ceux qui étonnent et terrorisent le plus les hommes, comme procédant demécanismes matériels dépourvus de toute intention de nuire, et nullement d'esprits divins aux volontés variables.

Parexemple, les intempéries qui dévastent vos biens et vous ruinent ne sont nullement l'expression d'une vengeancedivine pour punir vos fautes passées, mais seulement la résultante de forces naturelles aveugles et indifférentes àvotre devenir.

C'est ce qu'établira de façon complète Lucrèce, en donnant même le luxe de plusieurs explicationspossibles des mêmes phénomènes, arguant du fait que l'essentiel n'est pas de connaître la vraie cause duphénomène, mais de savoir qu'il possède une cause matérielle non intentionnelle.

C'est en effet cela seul qui importeà notre bonheur, puisque ce savoir nous délivre des angoisses religieuses. Plus précisément, cette pensée rationnelle travaille, comme l'écrit encore Lucrèce, « à dégager l'esprit des lieuxétroits de la superstition » (p.

42).

Elle n'est incompatible qu'avec la crédulité religieuse, qui rend impossiblel'ataraxie (l'absence de trouble, de crainte) que vise le Sage.

Elle n'entre pas nécessairement en conflit avec unecroyance raisonnée en des dieux qui, « par le privilège de leur nature, doivent jouir d'une durée immortelle dans unesouveraine paix, séparés, éloignés de nous et de ce qui nous touche [...] sans aucun besoin de nous, insensibles ànos services, inaccessibles à la colère » (p.

20).

Mais une telle croyance, toute extérieure à la superstition, « nousélève jusqu'aux cieux ».

Le divin que cherche la religion ne serait-il pas, en dernière analyse, notre raison elle-même? 2.

Une raison indépendante de la foi. »

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