La sagesse : maîtriser les passions ?
Publié le 28/03/2015
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La passion est sans doute plutôt un symptôme de l'usage que nous pouvons faire de notre sensibilité à l'égard d'autrui.
L'être passionné use de son corps comme d'un sémaphore, c'est-à-dire littéralement comme d'un porteur de signes.
A cet égard, la généalogie de l'idée de passion que nous avons entreprise ici doit se doubler sans doute d'une genèse de l'objectivation des corps.
Dans le contexte ouvert par cette hypothèse, la physiologie des émotions importera toujours plus que l'ensemble des représentations que les cultures humaines ont élaborées pour les moraliser.
A ce compte, la passion serait un récit à l'occasion du devenir d'une émotion.
Ce récit permettrait d'accompagner les transformations de nos états mentaux à l'issue d'une émotion : une passion est ainsi un ensemble de phrases destinées à commenter pour l'autre humain les changements de ma physiologie.
de leur pâtir, elle n'aurait pas inventé la conduite passionnelle.
Car la tradition philosophique réflexive va sans doute un peu vite en récusant la possibilité d'une conduite pour l'être passionné.
Et ne confondons pas, comme le font trop souvent les psychologues, la conduite et le comportement.
Au reste nul ne s'y trompe.
De telle ou telle action, ne disons-nous pas : je ne sais pas ce qui m'a pris...
Dans des remarques introductives de cette sorte, nous pouvons repérer le nouage caractéristique de la philosophie réflexive, et ce qu'il faut bien nommer son assurance.
D'abord, la décision de vocabulaire à la place de la description de l'acte ; la correction intimée à une science humaine, coupable de faute intellectuelle ; et sans doute surtout le crédit accordé aux expressions de la doxa, comme si nous ne pouvions pas parler pour dissimuler, et donc pour croire protéger.
Ce n'est pas lui accorder une place inconsidérée que de faire de la passion une conduite mais c'est, dans une tradition philosophique plus spéculative que réflexive, se ranger sous la supposition que nous faisons nos passions, et qu'elles ne sont pas redevables d'une logique de la substance, mais de celle de l'événement, car nos actes comme nos récits arrivent aux autres au titre d'événement.
«
Philosophie de la passion
peut servir; seule la sagesse est une discipline qui peut nous procurer
l'idée des fins implicites dans
la recherche de la connaissance.
La sagesse
peut alors être présentée comme une discipline architectonique, c'est
à-dire capable de réordonner ses propres conditions, devenues ainsi des
niveaux préparatoires à son apparition.
Comme on
le voit dès lors, la
notion de passion ne peut recevoir dans une telle hiérarchie qu'une
place très accessoire :
tout au plus celle d'un obstacle au passage du
savoir à
la science, voire celle d'une entrave à la première généralisation
du savoir, qui permet d'aller au-delà de
la simple certitude sensible de
l'objet de l'expérience, perçu
hic et nunc.
Pourtant, il est aisé d'objecter à cette reconstitution du projet philo
sophique initial qu'elle fait
la part trop belle à l'orientation de l'huma
nité de l'homme vers
la connaissance.
Cette objection se soutient d'un
rappel de
la dualité humaine essentielle : l'humanité ne se contente pas
de chercher à connaître ses divers milieux, elle
se soucie aussi, et peut
être d'abord, de les aménager.
Les humains ne se satisfont pas de croire
et savoir : ils agissent et ils font.
Or l'introduction d'une thématique
de faction comporte aussitôt celle de la passion.
La grammaire la plus
familière associe ces orientations
antagonistes: l'opposition de la voie
active
et de la voie passive structure toutes les langues dans lesquelles
la philosophie s'est dite.
Nous en arrivons alors bientôt à la supposition
que
la notion de passion a au moins l'existence requise pour la maîtrise
de l'usage de
la voie passive, où le plus souvent un verbe -marqueur
de l'action -relie deux sujets
dont l'un est décrit sous la fonction
syntaxique du complément d'agent.
Pour reprendre une corrosive sug
gestion de Nietzsche, qui l'appliquait
même plus radicalement à la caté
gorie du sujet en
général: devons-nous croire à la passion comme nous
croyons à
la grammaire, mieux même parce que nous croyons à celle
ci ? Il y aurait alors nécessairement du pâtir et du subir parce qu'il y
a du faire et de l'agir.
Sur un plan strictement logique, dans une ratio
nalité qui ne veut alors pas rester serve de
la grammaire, rien n'interdit
de poser qu'une action porte toujours sur une autre action
et que toute
passion est alors une supposition facultative.
Le problème que nous devons dès lors tenter de poser, et éventuelle
ment de résoudre, touche aux raisons qui soutiennent cette divergence
de
la syntaxe et de la logique.
Si le thème de la passion est somme
toute secondaire en philosophie, il est en revanche central en littéra
ture.
Se pourrait-il que le théâtre et le roman se nourrissent des
passions parce
que la littérature est fille des articulations de la langue
pour laquelle
là où il y a une action, une passion est par là même
suscitée? Nous devrons peut-être même remonter jusqu'à une scission
originaire, qui oriente ensuite
la subdivision de la grammaire et de la
logique, à savoir le partage qui permet de dire l'Etre, selon qu'il s'énonce
- 17 -.
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