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La sagesse consiste-t-elle à savoir davantage pour pouvoir davantage et conquérir la nature ; ou bien à maîtriser et à borner ses désirs afin de réduire au minimum la dépendance où nous nous trouvons par rapport aux choses ?

Publié le 27/02/2008

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Comme source d'énergie, le primitif ne connaissait que ses muscles. Une première conquête fut la domestication des animaux, dont la force musculaire fut utilisée pour les besognes les plus pénibles. Mais le grand progrès fut la découverte et l'exploitation rationnelle des immenses forces physiques qui se perdaient sur terre ou qui restaient enfouies dans le sous-sol. On eut d'abord recours à l'énergie du vent et à celle des rivières ; ensuite à la houille et au pétrole ; de nos jours, on aménage les chutes d'eau des montagnes, utilisant les réserves naturelles constituées par les glaciers et les lacs, en créant de nouvelles par de gigantesques barrages. Comment cette substitution des forces de la nature à celles de l'homme a-t-elle été possible, sinon grâce à la science des ingénieurs, qui ont conçu des machines nouvelles, organisé l'exploitation des ressources de notre planète, en particulier équipé le pays d'un réseau de distribution du courant électrique, qui se prête à tant d'usages. Ces progrès industriels, dus en définitive à un progrès du savoir, ont permis à l'homme de décupler son rendement tout en s'imposant moins de fatigues ; le bien-être a prodigieusement augmenté, et le modeste ouvrier du XX? siècle est mieux armé qu'un chef mérovingien pour lutter contre la nature. Néanmoins, on est bien loin encore de pouvoir dire que l'homme est heureux. Malgré les progrès de l'industrie, le développement du machinisme et l'extension du réseau électrique, il reste des hommes qui ne mangent pas à leur faim, qui habitent un logis insalubre, à qui le travail ôte la liberté d'esprit qui conditionne la pensée. Le rôle pratique de la science est donc loin d'être terminé. Une fois la planète complètement aménagée et les besoins essentiels des hommes largement satisfaits, la recherche scientifique pourra être considérée comme une occupation ayant sa fin en elle-même.

« incapable d'assurer les conditions morales du bonheur.Il ne faudrait d'ailleurs pas l'estimer capable de combler les désirs de l'homme dans le domaine matériel lui-même.Regardons autour de nous.

Celui qui a amassé une grosse fortune n'est pas rassasié pour autant : il lui faut assurerpar de nouveaux gains le train de vie auquel il est habitué ; il aspire surtout à développer ses affaires, à lancer denouvelles entreprises, à absorber les firmes concurrentes dont l'existence même lui porte ombrage.

Lorsque lesdésirs naturels sont satisfaits, apparaissent les désirs artificiels, qui grandissent sans fin et s'exaspèrent à mesureque se réalisent les événements qui devraient les combler.

Ainsi celui qui cherche la satisfaction de ses désirs, loinde se libérer de l'emprise des choses, se rend de plus en plus leur esclave.

La Fontaine l'a bien marqué dans sa fable« Le Savetier et le Financier » : le souci augmente à mesure qu'on accumule les moyens de s'en affranchir.Aussi on peut se demander si la vraie sagesse ne serait pas de renoncer à la science, incapable de nous assurer unpouvoir susceptible de nous procurer le bonheur et de chercher à borner nos désirs, moyen indirect mais plus sûrd'être heureux.C'est la solution de certains moralistes de l'Antiquité.

Ainsi Épicure n'admettait que les désirs naturels et nécessairesqui peuvent être aisément satisfaits et qu'on ne réussirait pas à étouffer ; pour les autres, il demandait qu'on lesrestreigne et qu'on parvienne à l'insensibilité, condition de la paix de l'âme; pour lui, avec du pain et de l'eau, le sagepouvait rivaliser de bonheur avec Jupiter lui-même.

Mais ce sont surtout les stoïciens qui ont prêché la restrictiondes désirs.

« Parmi les choses, certaines dépendent de nous ; d'autres ne dépendent pas de nous », ainsicommence le célèbre « Manuel » d'Épictète ; ce qui dépend de nous, ce sont l'opinion que nous faisons des choses,les désirs et les aversions ; parmi ce qui ne dépend pas de nous, il faut compter le corps, les richesses, laréputation.

Il n'y a qu'un moyen d'être heureux : maîtriser ses désirs et ne s'attacher à rien de ce qui ne dépend pasde nous : « Le bonheur et le désir ne peuvent se trouver ensemble ».

« Supporte et abstiens-toi », telle était leurmaxime : supporte ce qui t'arrive de pénible et abstiens-toi de chercher et même de désirer ce qui te seraitagréable.

Cette maxime ne manque pas de grandeur, et la fière attitude du stoïcien a de tout temps fait l'admiration des âmesnobles.

De plus, il faut le reconnaître, un certain stoïcisme est bienfaisant : il tonifie et immunise contre lesmesquines déceptions de l'existence ; l'insensibilité voulue donne une délicatesse de sentiments qui manque à celuiqui n'a pas appris à se raidir contre la première impression ; il est bien vrai qu'il n'y a de bonheur possible sur terrequ'à la condition de freiner ses désirs et que la sagesse nous demande de nous abstenir de trop désirer.Mais la morale stoïcienne, et d'une façon générale toute morale prêchant la restriction des désirs, ne fournit qu'unprogramme négatif : elle se contente de porter des interdits et d'indiquer ce qu'il ne faut pas faire.

Un telprogramme peut-il suffire à encadrer la vie et est-il sage de s'y rallier ? Il ne le semble pas.En effet, désirer est naturel à l'homme, et la résolution d'étouffer tout désir est une prétention contre nature quiaboutirait à l'assoupissement de la vie de l'âme, si la nature elle-même, plus forte que la volonté, ne se ressaisissaitpas et ne prenait pas sa revanche, le plus souvent au détriment de la morale et de la sagesse.Ensuite, si un désir frustré est une source de peine, c'est au désir que nous devons les plus douces et les plusprofondes de nos joies : les événements ne nous font plaisir que dans la mesure où nous les désirons ; bien plus,avant qu'ils arrivent et même s'ils ne doivent jamais arriver, nous jouissons par avance de l'objet dont le désirescompte la possession ; les plus pures de nos joies sont, sans doute, celles que nous avons éprouvées dans laperspective d'un avenir heureux illuminé par le désir.Enfin, rien de grand ne se faisant que sous l'impulsion d'un grand désir, se défendre de rien désirer de difficile, c'estse vouer à la médiocrité et à l'inertie.

D'ailleurs, la maîtrise des désirs elle-même est une de ces grandes choses quin'est possible que grâce à un puissant désir de dominer sa nature sensible et de la soumettre à la raison ; par suite,celui qui prétend tuer tout désir en lui se contredit, car le ressort du désir est nécessaire pour réaliser cette grandeoeuvre de la régulation des désirs.Elle n'est donc pas sage, la résolution de restreindre systématiquement ses désirs, qui constituent un élémentessentiel du bonheur et un important facteur de l'activité morale ; il manque de sagesse celui qui met son idéal dansun désintéressement inerte.

S'il est des désirs qui asservissent et préparent des déceptions, il en est aussi quilibèrent et sont les précurseurs des grandes réalisations.

Par suite, ce n'est pas le désir de vivre, le désir d'accomplirune belle oeuvre, ni même le désir d'être heureux que la sagesse nous demande de comprimer.

Le sage s'efforced'étouffer les désirs bas et mesquins, mais pour susciter à leur place de nobles et généreux désirs, dont l'élansurmontera son inertie naturelle et dont la flamme sera capable d'illuminer l'existence la plus prosaïque.

Après avoir fait la critique des deux conceptions entre lesquelles nous avions à opter, la conclusion sera biendifficile.Le sage tend à vivre aussi large que possible une vie spécifiquement humaine, la vie de l'esprit.

S'il renonce pourcela à de nombreux plaisirs, ce renoncement, au lieu d'assombrir sa vie, conditionne le plein épanouissement de soi-même dans lequel on est illuminé des joies les plus pures.Mais pour que puissent germer et prendre racine dans les âmes les nobles désirs de la vie de l'esprit, il estnécessaire que le corps ne soit pas tiraillé par des besoins trop vifs : il est difficile de méditer quand l'estomac criefamine, et celui qui grelotte n'est guère disposé à goûté une oeuvre d'art.C'est pourquoi la sagesse demande que nous nous efforcions d'augmenter notre pouvoir sur la nature, de manière àsatisfaire les besoins essentiels de l'humanité et à répandre partout le bien-être.

Mais ces progrès matériels quepermettra la science ne sont qu'un moyen : le but est d'assurer aux hommes les conditions favorables à la vie del'esprit.

L'aspiration aux valeurs spirituelles, voilà le dernier mot de la sagesse.

Aussi, si on nous acculait à choisirentre les deux conceptions proposées, nous prendrions le contre-pied de la seconde et nous dirions que la sagesseconsiste à cultiver de grands désirs.. »

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