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La vérité comme valeur

Publié le 08/01/2020

Extrait du document

ce que, pour affirmer ou nier, poursuivre ou fuir les choses que l’entendement nous propose, nous agissons en telle sorte que nous ne sentons point qu’aucune force extérieure nous y contraigne (...).

De tout ceci je reconnais que ni la puissance de vouloir, laquelle j’ai reçue de Dieu, n’est point d’elle-même la cause de mes erreurs, car elle est très ample et très parfaite en son espèce ; ni aussi la puissance d’entendre ou de concevoir : car ne concevant rien que par le moyen de cette puissance que Dieu m’a donné pour concevoir, sans doute que tout ce que je conçois, je le conçois comme il faut, et il n’est pas possible qu’en cela je me trompe. D’où est-ce donc que naissent mes erreurs ? C’est à savoir, de cela seul que, la volonté étant beaucoup plus ample et plus étendue que l’entendement, je ne la contiens pas dans les mêmes limites, mais que je l’étends aussi aux choses que je n’entends pas.

René Descartes, Méditations métaphysiques (1641), IVe Méditation, Vrin, 1966, pp. 56-58.

POUR MIEUX COMPRENDRE LE TEXTE

Pour résoudre le problème de l'erreur, Descartes distingue en l'esprit deux facultés : la « puissance de connaître », ou entendement, au moyen de laquelle je conçois les idées ; la « puissance d'élire » ou volonté, c'est-à-dire le pouvoir d'affirmer ou de nier les idées conçues par l'entendement (par exemple : l'entendement conçoit que les trois angles d'un triangle sont é'gaux à 180 degrés. Mais affirmer que cette relation est vraie est œuvre de la volonté).

Or l'entendement humain (contrairement à celui de Dieu) est fini : on ne peut tout concevoir, ni tout concevoir clairement. La volonté est quant à elle infinie. Elle relève du libre arbitre (aussi pouvons-nous nier l'évidence même).

L'erreur consiste ainsi dans un jugement abusif : quand ma volonté affirme plus que ce que l'entendement conçoit. Y remédier revient à décider de n'affirmer que les idées claires et à douter des autres. L'erreur provient en somme d'un mauvais usage de notre libre arbitre. C'est nous qui en sommes responsables (et non Dieu). Descartes fait ici du vrai et du faux non seulement une question de méthode mais, fondamentalement, de liberté.

Le vrai, le beau, le bien : le titre de cet ouvrage de Victor Cousin, célèbre au siècle dernier, indiquait clairement qu'il fallait ranger la vérité dans l'ordre des valeurs. L'exigence de vérité est affaire de morale, et aussi de politique.

On remarquera en ce sens que la vérité a plusieurs contraires.

L'erreur d'abord : contraire « épistémologique », elle se rectifie une fois les conditions de la vérité rendues effectives, ou s'évite en respectant les règles de la bonne méthode. Et pourtant, même si ses mécanismes ne sont intelligibles que du point de vue d'une juste compréhension du vrai, l'erreur n'engage-t-elle pas déjà plus qu'un manquement aux critères de la vérité ou un défaut de preuve ? Après tout, nous pouvons persévérer dans l'erreur : il y va donc aussi de notre responsabilité (cf. texte 16).

Il y a ensuite l'illusion, le deuxième contraire de la vérité, qui doit bien être autre chose que l'erreur puisqu'il ne suffit pas de connaître le vrai ou d'en énoncer les règles pour la dissiper. L'illusion ne relève pas de la simple théorie de la connaissance, mais d'une analyse de la nature et de la condition humaines, et en particulier d'une théorie du désir (cf. texte 17). On s'aperçoit alors que la vérité n'est pas toujours vivable et qu'il n'est pas rare de refuser une vérité triste pour une illusion heureuse ou secourable. Il ne va donc pas de soi d'aimer la vérité.

C'est ce qu'enseigne aussi, d'une autre manière, la pratique du mensonge, dernier contraire, explicitement moral celui-là, de la vérité*. Bien des gens le préfèrent à une vérité dont ils pensent souvent qu'elle « n'est pas toujours bonne à dire ». Ont-ils tort ? Mais après tout, la vérité n'oblige que ceux qui l'assument comme valeur positive.

Kant nous dit qu'il est moralement nécessaire de considérer la vérité comme un impératif toujours exigible.

« cette volonté même de vérité n'est-elle pas suspecte? Ne peut-elle se voir opposer des valeurs plus essentielles - la vie par exemple (cf.

texte 20) ? Nietzsche osa poser ces ques­ tions radicales.

Leur mérite est au moins d'obliger à assu­ mer le caractère moral de l'exigence de vérité.

La vérité est un choix: nous pouvons vouloir l'erreur, l'illusion, le men­ songe, parce que nous pouvons aimer d'autres choses plus que la vérité (le plaisir, le pouvoir, l'action ...

); et parce qu'aussi nous pouvons refuser de voir dans l'effort de la raison vers la vérité le signe de notre dignité d'hommes.

Il faut donc savoir que le projet de vérité ne peut pas se fonder sur ses propres bases.

Autrement dit, nous ne pourrons jamais démontrer que la vérité est aimable, sauf à tomber dans un cercle vicieux : car que peut une preuve devant celui qui, pour­ quoi pas, hait le discours de la raison, ou celui qui, comme les sophistes de la Grèce antique1, ne l'utilise que pour l'apparence du vrai, pour paraître, briller et dominer (cf.

texte 21)? Devant celui qui ne joue pas le jeu de la vérité, c'est-à-dire qui n'en accepte pas les règles? Descartes lui­ même reconnaissait qu'on peut nier l'évidence.

C'est une question de volonté (cf.

texte 16).

En ce sens, le problème de la vérité n'est pas seulement de la définir ou d'en énon­ cer les conditions, mais relève avant tout de notre liberté.

- Nous sommes responsables de l'erreur R.

DESCARTES Si la vérité tient à l'évidence des idées ou à la rigueur de l'ordre par lequel nous les enchaînons (cf.

textes 9 et 10), d'où vient que nous nous trompons ? Est-ce par simple manque de méthode ? Et suffit-il de connaître le vrai pour y acquiescer? Nul, alors, ne se trom­ perait volontairement...

Il faut pourtant, nous enseigne Descartes, considérer que nous sommes responsables de nos erreurs.

1.

Rappelons que les sophistes étaient, dans la Grèce du v• siècle av.

J.-C ..

des professionnels du discours qui enseignaient aux jeunes gens l'art d'user de ce discours pour convaincre, sans égard pour sa vérité ou sa fausseté.

Depuis la critique que Platon leur adressa, le mot «sophisme» est devenu synonyme d'argument fallacieux.. »

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