La vérité se constate-t-elle ?
Publié le 11/02/2019
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Observer scientifiquement n'est pas synonyme de simplement constater : l'observation scientifique se nourrit des théories disponibles, et c’est pourquoi elle en perçoit les lacunes. De son côté, le constat ordinaire, qui s'en tient au simple recensement des phénomènes, est dépourvu de cadres théoriques : il risque donc d’ignorer même ce qu’il conviendrait de privilégier dans les éléments auxquels il a accès. Rien ne le prouve mieux que la visite d’un laboratoire : qui ignore les théories déterminant les recherches menées ne peut avoir aucune idée de ce qui est cherché.
Mais cette observation « instruite » n’est que le début de la démarche expérimentale, dont tous les moments sont en complète contradiction avec ce que suppose le simple constat. Envisager d’expérimenter, c’est en effet comprendre d’abord que les phénomènes ne peuvent par eux-mêmes dévoiler les lois auxquelles ils obéissent : c'est donc être déjà très au-delà des apports possibles d’un constat. L'expérience elle-même, dans son montage, a pour but de répondre à une question précise, et Kant a précisément souligné que pour comprendre les lois de la nature, il faut en effet élaborer son questionnement, faute de quoi elle demeure, en elle-même, « muette ».
«
du
pain a augmenté, ou que mon journal quotidien est mal imprimé ...
et
sans doute de tels constats correspondent-ils à une certaine forme de
vérité : il est vrai qu'il ple u t, que le prix du pai n a a ugment é, etc.
Dans de
telles situations banales, constater l'existence d'un phénomène coïncide
avec le niveau de vérité dont j'ai besoin.
On remarque aisément qu e tel
n ·est pas toujours le cas.
Le simple « constat » que doivent rédig er deux
automobilistes après un accident peut être l'occasion de désaccords entre
eux : de quel côté se trouve alors la vérité? Et pour peu qu'un événement
mette en cau se plusie urs témoins, « constater » cc qu'il fut n'est pas chose
facile, tant les témoignages diffè ren t.
Pour peu que l'on s'interroge sur
nos moyens d'accéder à la vérité lorsqu'on prend ce dernier mot dans son
sens le plus exigeant, on peut prévoir que constater n'y suffira pas.
[1.
Le constat est lié aux phénomènes apparents]
Lorsque Socrate interroge un jeune esclave dans Ménon pour lui faire
trouver la solution d'un petit pro blèm e de géométrie.
il lui fait constater
par exemple que les côtés du carré qu'il trace dans le sable ont pou r pro
pri été d'être égau x .
Mais.
puisque le p rob lème posé concerne la duplica
tion de la surface du carré, ce consta t visuel semble ensuite influencer
l'interlocuteur, qui propose tout simplement de doubler chaque côté.
Socrate lui fait alors constater son erreur, en dessinant une surface qua
druple de celle d'o ri gin e, et ce n'est finalement qu'en raisonnant et en
ca lcul ant -même s'il continue à prendre appui sur les lignes que trace
S oc rat e- que l'esclave parvient à la solution.
Par définition, le constat est déterminé par la percept ion : il prend acte
des phénomènes (étymologiquement, ce qui nous app araî t) .
Or, ceux-ci,
on le sait bie n d ep ui s Platon, sont peu fiables : ils ne cessent de se modi
fier et nous donnent l'image d'un monde soumis à de permanentes trans
formations.
Comment dès lors poun·ions-nous accéder à la vérité, dont la
notion impliqu e au contraire stabilité et un iv ers al ité ? Ce que je constate
n'est «vrai» qu'au sens où le phénomène est présent devant moi, ici et
maintenant, mais cette présence, en admettant même qu 'e lle soit incontes
table (après tout, je peux être victime d'un mirage, ou d'u ne hallucina
tion), ne peut pas me donner accès à ce qui le détermine.
D'autre part, constater, c'est être dans une attitude mentale passive: on
accuei lle ce qui veut bien se manifester, et si l'on prétend atteindre la
vérité, il faut au moins admettre que celle-ci est précisément de nature à
s e révéler, en quelque so rte de son propre mouvement.
C'est, en gros, ce
q u'a d met tait Aristote : la raison de l'homme, recu eilla nt les faits tels qu 'il
les constate, doit être cap abl e de les classer et de les organiser pour élabo
rer les lois de la nature.
Ce qui l'entraîne à afftrmer, puisqu'un caillou jeté.
»
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